Egalité Réunion préparée avec Josette Delaporte, Delphine Laurent et Michel Rumeau. 1. Étymologie / Définitions 2. Notions / Concepts : Egalité de fait; égalité de droit ? Retour à la théorie des ordres de CS en guise d’éclairage. 3. Questions / Discussion (1/4 h environ par question) 4. En guise de conclusion Tentative de synthèse de la saison 2007-2008
Étymologie et définitions Rare avant le XIII e siècle, le mot « égalité » est issu du latin aequalitas. Définitions : Petit Robert : Caractère de ce qui est égal (équivalence, parité, équilibre, ex aequo) Egalité matérielle ou réelle : égalité de fait entre des personnes ayant mêmes avantages naturels, mêmes aptitudes, mêmes fortunes... Egalité formelle ou extérieure : Egalité devant la loi. Egalité civile, politique, sociale. Rapport existant entre des grandeurs égales : = est le symbole mathématique qui l’exprime. Qualité de ce qui est constant, régulier, uniforme : humeur, pouls, terrain (plat) etc Dictionnaire de philosophie Christian Godin : L’identité est une forme absolue d’égalité Uniformité, persistance d’un même état (humeur, pouls, mouvement...) Absence de distinction établie entre les hommes. L’égalité n’est pas l’identité (au sens d’identique) : L’égalité des droits et des devoirs ou égalité civile ou politique (devant l’urne) et juridique (devant la loi). L’égalité s’oppose aux privilèges. L’égalité des chances : l’inégalité théorique des résultats n’étant due en principe qu’aux seuls mérites supposés. L’égalité des conditions ou égalité sociale (systèmes de type communiste)
Notions/concepts Les hommes sont-ils égaux ? La notion d’égalité est ambiguë dans cette question; tout dépend de quoi l’on parle : d’égalité de fait, c’est-à-dire d’identité (au sens d’identique), ce qui signifie dans l’affirmative que les hommes seraient identiques, pareil, tous les mêmes. d’égalité de droit, ce qui fait appel à une notion distincte de l’égalité de fait, puisque, dans l’affirmative, cela signifie que les hommes, quoi qu’il en soit de l’égalité de fait, disposeraient tous des mêmes droits. La théorie des ordres de CS est très éclairante sur ce point. En effet : Soit, c’est dans la logique de l’enchaînement descendant des primats, dans l’ordre des causes et de la connaissance que l’on se situe et c’est en terme d’égalité de fait, en vérité que la question se pose. Soit, c’est dans la logique de la hiérarchie ascendante des primautés, autrement dit dans l’ordre des valeurs qui ne dépend que de nous que l’on se place et c’est en terme d’égalité de droit que la question a un sens.
La hiérarchie des ordres d’André Comte-Sponville Primautés et primats /Angélisme et barbarie Enchaînement descendant des primats Ce qui est objectivement le plus important dans un enchaînement descendant de détermination. Le primat est explicatif : c’est l’ordre des causes et de la connaissance. C’est ce qui sert à comprendre. L’amour C’est l’ordre de l’éthique. C’est ce qui éclaire la morale. C’est la valeur suprême de « l’esprit ». Hiérarchie ascendante des primautés Ce qui vaut le plus, subjectivement, dans une hiérarchie d’évaluations. C’est l’ordre des valeurs et des fins, qui tend au meilleur ou au plus élevé. C’est ce qui sert à juger et à agir. L’ordre de la morale C’est l’ordre où l’on se pose la question du bien et du mal. C’est l’ensemble de nos devoirs : des règles que l’on se fixe soi-même. C’est parce que nous ne sommes pas ‘‘tout amour’’ que nous avons besoin d’une morale. L’ordre juridico-politique C’est l’ordre où l’on se pose la question du légal et de l’illégal. C’est l’ordre des lois de la vie en société. C’est parce que nous manquons de moralité que nous avons besoin de lois. L’ordre de l’Economie, des sciences et des technologies C’est l’ordre où l’on se pose la question du vrai et du faux, du possible et de l’impossible. C’est l’ordre de la « matière »; de la vérité par excellence. La dialectique (primat de la matière ou de la vérité/primauté de l’esprit ou des valeurs) vaut aussi bien à titre individuel que collectif. On ne passe du primat à la primauté qu’à la condition de le vouloir : c’est le mouvement ascendant du désir. Chaque ordre a sa logique propre : confondre les ordres entre eux est donc « ridicule ». Pour expliquer un ordre donné, on doit faire appel aux ordres inférieurs. Pour juger un ordre donné, on doit faire appel aux ordres supérieurs. La dialectique valeur / vérité s’exerce ainsi de proche en proche. Soumettre un ordre donné, avec ses valeurs propres, à un ordre inférieur : renoncer à la primauté, c’est de la barbarie. Prétendre annuler ou déstructurer un ordre donné au nom d’un ordre supérieur : oublier le primat, c’est de l’angélisme. Principales références : Le capitalisme est-il moral ? / Dictionnaire philosophique (primats et primautés) Document réalisé par JP Colin et validé par André Comte-Sponville
QUESTIONS Les hommes sont-ils égaux de nature ? Pourquoi l’égalité de droit ? Comment et jusqu’où l’égalité ? Sans l’égalité la justice serait-elle possible ?
Les hommes sont-ils égaux de nature ? Animation Michel Rumeau L’égalité est-elle synonyme d’identité ? La nature est-elle égalitaire ?
1. Les hommes sont-ils égaux de nature ? Que signifie égalité ? De l’égalité à l’identité. La notion d’égalité n’a de sens que relative à un critère. On parlera par exemple de l’égalité de 2 distances, de 2 poids, de 2 fortunes, de 2 intelligences (quoique !) . . . Mais une distance n’est pas comparable à un poids et ne saurait donc lui être égale. Une égalité absolue (tous critères confondus) c’est une identité. Prise absolument la notion devient autre. « On ne peut rester fidèle à la notion d’égalité qu’à condition d’accepter qu’elle soit relative » dit CS. Prise absolument la notion d’égalité rejoint celle d’identité. On ne peut lui rester fidèle qu’à condition qu’elle soit relative. La nature est-elle égalitaire ? Les hommes ne sont ni aussi forts, intelligents, beaux, généreux etc... les uns que les autres. Ne sont-ce pas précisément leurs différences qui sautent aux yeux ? Parfois ces différences peuvent s’équilibrer ou se compenser. Mais la comparaison reste alors éminemment subjective. Parfois et peut-être plus souvent, elles s’ajoutent : certains semblent avoir alors toutes les chances ou tous les talents. Ne fut-ce que parce que tout être humain est génétiquement singulier, à l’évidence la nature n’est pas égalitaire. La nature n’a que faire de l’égalité ! De par la diversité de l’univers, n’est-elle pas précisément tout le contraire ? Identifiés selon l’enchaînement descendant des primats de CS (ce qui sert à comprendre), les hommes ne sont pas égaux de nature. Dieu merci, sinon quel ennui !
Pourquoi l’homme devrait-il accepter les « diktats » de la nature ? Pourquoi l’égalité de droit ? Pourquoi l’homme devrait-il accepter les « diktats » de la nature ? N’est-ce pas précisément parce qu’elle n’est pas de fait que l’égalité de droit a un sens ? Confondre l’égalité de droit avec l’égalité de fait n’est-ce pas être « ridicule » (1) ? (1) Qualificatif utilisé par Pascal
2. Pourquoi l’égalité de droit ? Pourquoi l’homme devrait-il accepter les diktats de la nature ? A quoi pourrait bien servir l’égalité de droit si les hommes étaient égaux de fait ? N’est-ce pas précisément parce que les hommes sont inégaux de fait que l’égalité de droit a un sens ? Pourquoi l’homme devrait-il accepter aveuglément les lois de la nature ? A quel titre l’homme devrait-il soumettre ses principes, ses valeurs aux lois de la nature ou aux résultats des laboratoires ? Etre un homme n’est-ce pas précisément résister à la nature, à sa propre nature ? N’est-ce pas précisément parce que la matière (la nature) est inégalitaire que l’égalité de droit, celle de l’esprit a un sens, une valeur ? Confondre l’égalité de fait avec l’égalité de droit, n’est-ce pas être ridicule ? Ce n’est pas parce que la biologie réfute le racisme qu’il est haïssable. Ce serait confondre le fait et le droit. Même si demain la biologie nous disait le contraire, ça ne changerait. C’est parce que le racisme est contraire à nos valeurs qu’il est haïssable. C’est au titre de la hiérarchie ascendante des primautés (des valeurs qu’on aime et que l’on veut / ce qui sert à juger et à agir) de CS, qu’il convient de faire appel concernant l’égalité de droit et non pas à l’enchaînement descendant des primats (ce qui sert à comprendre). Ce n’est pas parce que la vérité de la matière a un sens que celle de l’esprit doit avoir le même. Ce n’est pas parce que les hommes sont inégaux de fait qu’ils n’ont pas droit à la même dignité. Comme le dit CS après Pascal, confondre les ordres entre eux, c’est s’exposer au ridicule. Ne pas confondre la vérité de la matière avec celle de l’esprit, n’est-ce pas une condition nécessaire pour savoir les regarder en face l’une et l’autre ? Pourquoi l’égalité de droit ? Tout simplement parce qu’elle n’est pas de fait ! L’égalité de droit ne peut exister qu’à condition que les hommes la veuillent. A quoi pourrait bien servir l’esprit s’il ne résistait pas à la matière ?
L’égalité doit-elle tendre à l’égalitarisme ? Comment et jusqu’où l’égalité ? Animation Delphine Laurent L’égalité doit-elle tendre à l’égalitarisme ? Les régimes totalitaires ne sont-ils pas, du moins théoriquement, égalitaristes ? Si administrer ce qui est de l’ordre de la morale, c’est confondre l’ordre moral avec l’ordre juridico-politique, jusqu’où faut il aller ?
3. Comment et jusqu’où l’égalité ? De l’égalité de droit à l’égalitarisme Le développement des aspirations sociales a entraîné une critique de l’insuffisance de la simple égalité des droits. Marx par exemple, lui reproche d’être purement formelle ou illusoire. La pensée de l’égalité s’oriente alors vers un égalitarisme qui tend à égaliser les moyens et conditions d’existence. Pour Tocqueville, cette passion de l’égalité sociale est le trait dominant des démocraties modernes. L’égalité de droit n’est pas l’égalitarisme. L’égalitarisme tend à l’égalité de fait. Egalité des chances et discrimination positive entre égalité de droit et égalitarisme Parce qu’il tend à uniformiser les conditions sociales, l’égalitarisme tend à l’identité. Aussi peut-on penser que l’égalitarisme constitue un obstacle à la liberté individuelle. Pourquoi faudrait-il que les hommes vivent tous de la même façon s’ils ne le veulent pas ou ne s’efforcent pas de s’en donner les moyens ? Dans cette optique on peut penser qu’égalité et différences sont parfaitement conciliables, dès lors qu’il y aurait : Egalité des chances : même probabilité de réussite entre individus (compensation des inégalités innées, sociales et de circonstances (hasard); l’inégalité des résultats n’étant due qu’à leurs seuls mérites Voire discrimination positive, au cas par cas selon les catégories de défavorisés, ce qui constitue un pas supplémentaire vers l’égalitarisme. L’égalitarisme n’est-il pas que la forme extrême de l’égalité, celle qui tend à uniformiser en faisant obstacle à la liberté ? Si l’égalité des chances est connexe à l’égalité de droit, la discrimination positive n’est-elle pas connexe à l’égalitarisme ? Vouloir administrer l’ordre moral, n’est-ce pas confondre l’ordre de la morale avec l’ordre juridico-politique ? Ce n’est pas de dogmatisme religieux dont il s’agit alors mais de totalitarisme. L’un comme l’autre ne sont-ils pas contraires à la liberté ?
Justice et équité est-ce la même chose ? Sans l’égalité la justice serait-elle possible ? Justice et équité est-ce la même chose ? L’égalité de droit est-elle une condition nécessaire et suffisante à l’équité ?
4. Sans l’égalité la justice serait-elle possible ? De la justice à l’équité La justice est la vertu qui respecte l’égalité (le droit des individus) et la légalité (le droit de la cité), ce qui suppose que la loi soit la même pour tous et que le droit respecte les droits, afin que la justice (au sens juridique) soit juste (au sens moral). L’équité, « c’est justice appliquée, justice en situation, justice vivante, et la seule qui soit vraiment juste » dit CS. « C’est un correctif de la loi » écrit Aristote, car la justice ne peut se réduire ni à l’égalité (donner ou demander à tous les mêmes choses ne serait pas juste : ex les impôts proportionnels) ni à la légalité (puisqu’une loi peut être injuste). L’équité, c’est la justice au sens moral du terme. L’équité, c’est la justice au sens moral car la justice ne saurait se réduire ni à l’égalité ni à la légalité. De l’égalité en tant que condition nécessaire mais non suffisante à la justice Quelle justice pourrait être rendue, si les citoyens n’étaient pas égaux devant la loi de la cité ? (égalité des devoirs, des obligations) Quelle justice pourrait être rendue, si les lois de la cité ne respectaient pas les droits des individus (égalité des droits) C’est pourquoi, on peut penser que l’égalité est une condition nécessaire à la justice (au sens juridique/judiciaire). Mais qui pourrait prétendre qu’il suffit d’être légaliste pour être juste ? (d’où « le salaud légaliste » de CS) La justice au sens moral ne saurait se réduire ni à l’égalité ni à la légalité, puisque être équitable, c’est précisément aller au-delà. C’est pourquoi, on peut penser que l’égalité n’est pas une condition suffisante à la justice. La justice au sens moral ne peut se réduire à l’égalité, mais sans égalité, ne fut-ce qu’en droits et devant la loi, aucune justice ne serait possible.
Cette réponse là n’est pas de raison, elle est du cœur. En guise de conclusion Que les hommes ne soient pas égaux de fait, n’est-ce pas là que réside toute la richesse de l’altérité ? C’est la richesse de la nature, celle qui nous éclaire en vérité mais qui ne dépend pas de nous. Que les hommes soient égaux en droit et en dignité, c’est ce qui dépend de nous. Cette réponse là n’est pas de raison, elle est du cœur. Ce n’est pas la vérité de la nature qui s’impose à nous. C’est la vérité du cœur qui résiste aux inégalités de la nature.
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