Réunion préparée avec Marypierre Baylé et John Rodriguez. Valeur(s) Réunion préparée avec Marypierre Baylé et John Rodriguez. 1. Étymologie / Définitions 2. Notions / Concepts : Retour sur la théorie des ordres d’André Comte-Sponville. Valeurs (primautés) / Vérité (primats) 3. Questions / Discussion (1/4 h environ par question) 4. En guise de conclusion Une petite novation méthodologique pour la discussion
Étymologie et définitions Valeur : mot du XI e siècle qui vient du bas latin valor, valoris qui proviennent de valere (valoir) Valeureux signifie : « qui a du prix » au XIIIe s ; puis « qui témoigne de vaillance » au XVe s. Définitions : Petit Robert : i. Ce en quoi une personne est digne d’estime ii. Caractère mesurable (d’un objet) en tant que susceptible d’être échangé iii. Caractère de ce qui répond aux normes idéales de son type, qui a de la qualité. Mesure d’une grandeur variable (mesurer, c’est fixer la valeur) Dictionnaire philosophique de Comte-Sponville (extrait) Il faut distinguer : Ce qui a une valeur : c’est ce qu’un prix, dans une logique d’échange (offre/demande), mesure à peu près. Ce qui est une valeur et qui n’a pas de prix et ne saurait être échangé valablement contre de l’argent, ni même contre une autre valeur (par exemple : la justice contre la générosité ou le courage... ou vice versa) Mais, c’est par le désir que les 2 types de valeur peuvent philosophiquement se rejoindre, dès lors qu’aucune valeur ne saurait être si personne ne la désirait : Comment une pierre précieuse pourrait-elle valoir quelque chose si personne n’en voulait ? Comment la Justice pourrait-elle exister si personne ne désirait qu’elle soit ?
Notions Concepts La hiérarchie des ordres d’André Comte-Sponville Primautés et primats /Angélisme et barbarie Enchaînement descendant des primats Ce qui est objectivement le plus important dans un enchaînement descendant de détermination. Le primat est explicatif : c’est l’ordre des causes et de la connaissance. C’est ce qui sert à comprendre. L’amour C’est l’ordre de l’éthique. C’est ce qui éclaire la morale. C’est la valeur suprême de « l’esprit ». Hiérarchie ascendante des primautés Ce qui vaut le plus, subjectivement, dans une hiérarchie d’évaluations. C’est l’ordre des valeurs et des fins, qui tend au meilleur ou au plus élevé. C’est ce qui sert à juger et à agir. L’ordre de la morale C’est l’ordre où l’on se pose la question du bien et du mal. C’est l’ensemble de nos devoirs : des règles que l’on se fixe soi-même. C’est parce que nous ne sommes pas ‘‘tout amour’’ que nous avons besoin d’une morale. L’ordre juridico-politique C’est l’ordre où l’on se pose la question du légal et de l’illégal. C’est l’ordre des lois de la vie en société. C’est parce que nous manquons de moralité que nous avons besoin de lois. L’ordre de l’Economie, des sciences et des technologies C’est l’ordre où l’on se pose la question du vrai et du faux, du possible et de l’impossible. C’est l’ordre de la « matière »; de la vérité par excellence. La dialectique (primat de la matière ou de la vérité/primauté de l’esprit ou des valeurs) vaut aussi bien à titre individuel que collectif. On ne passe du primat à la primauté qu’à la condition de le vouloir : c’est le mouvement ascendant du désir. Chaque ordre a sa logique propre : confondre les ordres entre eux est donc ridicule. Pour expliquer un ordre donné, on doit faire appel aux ordres inférieurs. Pour juger un ordre donné, on doit faire appel aux ordres supérieurs. La dialectique valeur / vérité s’exerce ainsi de proche en proche. Soumettre un ordre donné, avec ses valeurs propres, à un ordre inférieur : renoncer à la primauté, c’est de la barbarie. Prétendre annuler ou déstructurer un ordre donné au nom d’un ordre supérieur : oublier le primat, c’est de l’angélisme. Principales références : Le capitalisme est-il moral ? / Dictionnaire philosophique (primats et primautés) Document réalisé par JP Colin et validé par André Comte-Sponville
QUESTIONS Sans désir, les valeurs existeraient-elles ? Toute valeur est-elle subjective ou objective ? S’il y a aujourd’hui crise des valeurs, peut-on l’expliquer ? Les valeurs ont-elles à voir avec la vérité ?
Sans désir, les valeurs existeraient-elles ? Animation John Rodriguez Différences et similitudes entre une valeur matérielle (marchande) et une valeur morale (spirituelle) ? Le désir n’est-il pas sous-jacent à l’une et l’autre ?
1. Sans désir, les valeurs existeraient-elles ? De la valeur marchande à la valeur morale. Une valeur marchande, c’est ce qui a un prix. Le prix indique la valeur d’échange d’une marchandise, telle qu’elle résulte du temps de travail nécessaire à sa production (selon Marx) ou de la loi de l’offre et de la demande (selon la plupart des économistes libéraux). Une valeur morale, c’est ce qui n’a pas de prix. Elle peut avoir un coût, mais elle n’a pas de prix car elle n’est pas à vendre et ne saurait être échangée contre de l’argent, ni même contre une autre valeur. « Echanger la justice contre la liberté, ce serait manquer à la justice » dit CS Aussi faut-il distinguer dit A.CS, ce qui a une valeur parce qu’elle a un prix, de ce qui est une valeur, précisément parce qu’elle n’en a pas. Du désir tenseur des valeurs marchandes (matérielles) et morales (spirituelles) Un objet, même apparemment inutile peut avoir une grande valeur si beaucoup le désire : c’est le cas d’une pierre précieuse ou d’une œuvre d’art. « Ce n’est pas l’utilité qui fait la valeur d’usage, c’est la valeur d’usage, telle qu’elle résulte du désir, qui fait l’utilité. » dit CS Que les valeurs morales soient en dehors de tout marché (sans prix) cela ne prouve pas qu’elles soient en dehors de tout désir. « Comment la justice pourrait-elle valoir, si personne ne désirait la justice. » dit CS Ce qui vaut, c’est ce qui plait ou réjouit, pour un individu et dans une société donnée, aussi bien matériellement que moralement. « C’est pourquoi l’argent, pour certains, vaut plus que la justice et que c’est l’inverse pour d’autres » dit CS « Nous nous efforçons à rien, ne voulons rien, n’appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne, mais au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons. » dit Spinoza. D’où le relativisme des valeurs, certes, mais d’où l’on peut penser aussi que les valeurs ne sont que pour autant qu’on les désire. Les valeurs dirait CS, c’est la hiérarchie ascendante des primautés, de ce qu’on aime et veut.
Toute valeur est-elle subjective ou objective ? Peut-on être absolument objectif ? N’avons nous pas au fond que des désirs plus ou moins égocentrés ? Faire son devoir est-ce un plaisir objectif ? Les valeurs morales sont-elle universelles ?
2. Toute valeur est-elle subjective ou objective ? De l’objectivité et de la subjectivité Est objectif tout ce qui doit davantage à l’objet qu’au sujet. L’objectivité absolue ne tiendrait par conséquent qu’à l’objet, indépendamment du sujet. C’est pourquoi nul ne peut l’atteindre absolument et qu’on ne peut qu’y tendre. « Seule la vérité, qui ne juge pas, est objective » dit CS Ce qui revient à dire que nul ne peut connaître la vérité qu’au travers de ses jugements qui restent subjectifs, qu’en s’efforçant néanmoins d’être objectif. Même si, tout jugement est subjectif, cela n’en justifie pas pour autant le nihilisme selon lequel tout se valant, rien ne vaudrait, car c’est précisément la volonté d’objectivité (l’amour de la vérité) qui fait la différence, puisqu’elle seule peut permettre, sinon d’atteindre, du moins de tendre à la vérité. Objectivité ou subjectivité des valeurs?: Primauté de l’amour; primat de la morale Pour Kant, la générosité, par exemple, est d’autant plus morale, qu’on y prend moins de plaisir. Ce qui tendrait à dire que la morale est une valeur objective puisqu’elle s’impose au sujet alors qu’il n’en tire aucun avantage personnel. C’est le primat de la morale. Pour Aristote ou Spinoza, la logique est contraire, car celui qui donne sans plaisir n’est pas généreux : c’est un avare qui se force. C’est la primauté de l’éthique, de ce qu’on aime et veut. Mais dit CS, « La primauté de l’éthique ne saurait pour autant abolir la morale (puisque la vertu presque toujours fait défaut) ». La morale n’est bonne que pour les méchants (ils manquent d’amour) ou pour plutôt les égoïstes. C’est pourquoi, en pratique, elle est bonne pour nous tous. Primauté de l’éthique, de l’amour qui donne pour le seul plaisir de donner. Ce qui n’est pas évident, loin s’en faut ! Mais nul n’a besoin d’être objectif, si son amour l’y pousse; la subjectivité suffit à la morale. Primat de la morale, pour ceux qui manquent d’amour. La morale, c’est de l’anti-égoïsme; le sujet s’efface laissant place à l’objectivité de la règle. Ce n’est plus le plaisir qui nous pousse, c’est le devoir et/ou la raison qui s’imposent à nous. Nul n’a besoin d’être objectif si ses valeurs morales lui procurent du plaisir. Mais,dit CS « Le plaisir n’est pas tout, ni le bonheur, ni même la sagesse, et c’est ce que signifie le devoir. Il y a quelque chose de désespéré, par quoi il échappe à l’ego ». C’est pourquoi on peut penser que la morale librement consentie tend à l’objectivité et à l’universalité des valeurs.
Qu’est-ce qu’une crise ? S’il y a aujourd’hui crise des valeurs, peut-on l’expliquer ? Qu’est-ce qu’une crise ? Quelles peuvent être les causes de la régression des valeurs du monde occidental ?
3. S’il y a aujourd’hui crise des valeurs, peut-on l’expliquer ? Une crise ? Etymologiquement, c’est le moment de la décision ou du jugement. « C’est le moment décisif : non qu’on décide d’une crise, mais parce qu’elle nous oblige à nous décider, ou décide à notre place. » dit CS. S’agissant de la crise des valeurs CS s’interroge : « Comment survivre à la mort de Dieu, à la disparition des fondements, à l’entropie généralisée du sens- au nihilisme ? » S’il y a crise des valeurs, c’est que quelque chose est en train de se décider sans nous. C’est pourquoi, si on le pense, il est urgent, si on le peut, de faire quelque chose. Des causes de la crise des valeurs de la civilisation occidentale contemporaine Le libéralisme économique, à côté du moteur d’accroissement de richesses qu’il constitue, c’est aussi les écarts de richesses qu’il creuse ; l’individualisme et le chômage qu’il accentue. L’individualisme, c’est aussi la négation de la solidarité. « L'individualisme, qui est une chose positive sur le plan de l'autonomie et de la responsabilité personnelle, s'est développé en provoquant le dépérissement des solidarités. », dit Edgar Morin. Le recul de la croyance en Dieu, c’est aussi un facteur propice à l’émergence du nihilisme (rien ne vaut car tout se vaut) par la perte des valeurs morales dogmatiques des religions. Or dit CS (bien qu’il ne croie pas en Dieu), « La religion n’est haïssable que lorsqu’elle débouche sur la haine ou la violence : ce n’est plus religion mais fanatisme » car dit-il: Mieux vaut aimer Dieu que n’aimer rien ou n’aimer que soi (nihilisme ou égoïsme) Mieux vaut une vertu soumise que pas de vertu du tout . Autrement dit : mieux vaut une morale dogmatique que pas de morale du tout. S’il y a crise des valeurs dans le monde occidental, ne peut-on pas l’expliquer par : La progression de l’individualisme inhérent au libéralisme économique (recul des valeurs de solidarité) La progression du nihilisme (rien ne vaut car tout se vaut) par suite de la régression des religions ? Si la civilisation occidentale contemporaine peut constituer un progrès des valeurs en matière de droits de l’Homme (fyc) et un contrepoids au fanatisme religieux par la laïcité, en revanche, ne peut-on pas penser que le gaspillage égoïste du type société de consommation, la régression des solidarités par la promotion de l’individualisme libéral ainsi que la régression de la morale religieuse constituent des facteurs de recul des valeurs, voire une crise, si rien ne vient les compenser ?
Les valeurs ont-elles à voir avec la vérité ? Toute valeur n’est-elle pas dépendante de ce que nous aimons, désirons et voulons ? La vérité n’est-elle pas ce qui est, indépendamment de ce que nous aimons, désirons et voulons ?
4. Les valeurs ont-elles à voir avec la vérité ? La vérité relève de la connaissance. « La vérité est l’objet au moins possible d’une connaissance » dit CS Que nous la connaissions (ne fut-ce que partiellement) ou pas du tout, la vérité est ce qu’elle est. Et c’est pourquoi elle s’impose à tous. « La vérité s’impose à tous, certes, mais n’impose rien » dit C-S. Connaître la vérité, c’est ce qui est objectivement le plus important. Si aimer la vérité (la rechercher) dépend de nous, la vérité elle-même n’en dépend pas. Indépendamment de ce que nous désirons ou en connaissons, la vérité s’impose à nous. Quand bien même nous aurions accès à la vérité (qui oserait le prétendre en certitude !); de quel droit (en vertu de quelle valeur/à quel titre) pourrions-nous l’imposer ? Les valeurs relèvent du désir, de ce qu’on aime et veut (selon Spinoza/CS). Le bien (ce qui a de la valeur) n’est pas une vérité qui s’impose à tous ex cathedra (dogmatiquement/absolument), sinon ça se saurait ! C’est quand nous aimons que c’est bien et non parce que c’est bien que nous aimons. Une valeur, c’est ce qui est le plus important subjectivement, car nul ne peut choisir à notre place ce qui est bien ou ce qui a de la valeur pour soi. C’est pourquoi la morale est toujours strictement personnelle. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas universalisable sans contradiction : objectivement, ce ne peut être le contraire. Mais nulle valeur ne saurait être si personne ne voulut qu’elle fût. Contrairement à la vérité, les valeurs dépendent de nous, de ce qu’on aime et veut (ce qu’on désire). Nulle valeur ne saurait être si personne ne voulut qu’elle fût. C’est pourquoi nos valeurs engagent notre responsabilité pleine et entière. Primauté de la hiérarchie ascendante des valeurs, de ce qu’on aime et veut, de ce qui est subjectivement le plus important dans une hiérarchie ascendante d’évaluations. C’est l’ordre des valeurs et des fins, qui tend au meilleur. C’est ce qui sert à juger et à agir. Primat de l’enchaînement descendant des causes; de ce qui est objectivement le plus important. Le primat est explicatif. C’est l’ordre des causes et de la connaissance en quête de la vérité. C’est ce qui sert à comprendre. On en revient toujours à la théorie des ordres de Comte-Sponville ! Disjonction par conséquent des ordres valeurs et vérité (les confondre, dit Pascal,c’est être ridicule). Mais dialectique permanente entre les deux si l’on veut à la fois juger et comprendre bien.
Toute valeur est relative; toute vérité est absolue. En guise de conclusion « Toute valeur est subjective (y compris la vérité comme valeur); aucune vérité ne l’est. Toute valeur est relative; toute vérité est absolue. C’est pourquoi nous sommes toujours dans le vrai, et hors d’état pourtant de posséder la vérité absolument. C’est pourquoi nous la cherchons. C’est pourquoi nous la désirons. Le jour où plus personne n’aimera la vérité, elle aura cessé par la même d’être une valeur. Mais n’en sera pas moins vraie pour autant. » André Comte-Sponville extrait de Valeur /Dictionnaire philosophique. Quoique relatives et subjectives, dès lors qu’elles contribuent à faire ce que nous sommes et faisons, nos valeurs débouchent sur la réalité; sur le vrai. C’est par quoi elles engagent notre responsabilité.
Prochains rendez-vous Vendredi 4 avril à 18h30 : A Comte-Sponville Mondialisation et civilisations : quelles valeurs pour le XXI e siècle ? mardi 8 avril : Objectivité mardi 13 mai : Plaisir et choix des sujets du 1er trimestre de la saison 2008-2009 mardi 10 juin : Egalité et tentative de synthèse de la saison 2007-2008. Toutes les informations et documents sont disponibles sur : http://www.cafe-philo.eu/