La Turquie kémaliste
1) L’instauration de la République de Turquie A) Musafa Kemal : un officier de l’armée impériale -Naissance à Salonique en 1881 ou 1880. -Entrée au collège militaire de Salonique en 1893, au lycée militaire de Monastir en 1896, à l’Ecole de Guerre d’Istanbul en 1899 (8e sur 459). Devenu capitaine, il est affecté à la 5e armée à Damas en 1905, puis à la 3e armée en Macédoine en 1907. A des contacts minimes avec le Comité Union et Progrès et ne joue pas de rôle important lors de la révolution « Jeune Turc ». -Participe aux guerres en Libye en 1911-1912, puis dans les Balkans en 1912-1913. Devient attaché militaire en Bulgarie en 1913. -Devenue lieutenant-colonel, il est placé à la tête d’une division en janvier 1915, puis au commandement de la défense turque des Dardanelles. -Devenu général, Mustafa Kemal est envoyé sur le front caucasien en janvier 1916 (succès contre les Russes). -Nommé à la tête de l’armée de Syrie le 1er septembre 1918 et aide de camp honoraire du sultan le 21 septembre.
B) Un refus du démantèlement de la Turquie. -Accords Sykes-Picot-Sazonov divulgués par le pouvoir bolchevik en novembre 1917. -14 points du président Wilson. En son point 12 : « Aux régions turques de l’Empire ottoman actuel devraient être assurées la souveraineté et la sécurité ; mais aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque on devrait garantir une sécurité absolue de vie et la pleine possibilité de se développer d'une façon autonome ; quant aux Dardanelles, elles devraient rester ouvertes en permanence, afin de permettre le libre passage aux vaisseaux et au commerce de toutes les nations, sous garantie internationale. »
-Nommé inspecteur impérial à Samsun, sur les rives de la mer Noire, pour éviter un débarquement allié. Arrivée le 19 mai 1919. -Se rallie au principe de résistance nationale et démissionne de l’armée le 8 juillet. Participe au congrès régional de résistance débuté le 23 juillet et dont Kemal est élu président. Motion finale : *solidarité des provinces orientales contre toute attaque étrangère. *défense du sultanat et du califat. *souveraineté nationale. *contre tout abandon de territoires aux Grecs prise d’Izmir) et aux Arméniens (prise de Kars). *pas de privilèges particuliers aux non-musulmans. -Congrès de Sivas du 4 au 11 septembre. *récupération des territoires non occupés par les armées étrangères avant l’armistice de Moudros. *correspondance directe avec le sultan Mehemet VI.
-Accord d’octobre 1919 entre le congrès national et le pouvoir impérial avec des élections organisées en décembre et une écrasante victoire du mouvement pour la défense des droits nationaux. La nouvelle chambre avalise les résolutions des congrès d’Erzerum et de Sivas (le Pacte national). Résultat confirmé en avril 1920 par l’élection de la Grande Assemblée Nationale de Turquie. -Forte connotation musulmane que laisse faire Mustafa Kemal : *contrebalancer le pouvoir religieux du sultan. *maintenir le soutien des musulmans d’Asie centrale et de l’empire des Indes. *ne pas inquiéter les Kurdes. -Dans le même temps, discours à connotation socialiste (voir le tableau sur la rhétorique de Kemal).
-Traité de Sèvres du 10 août 1920.
-Refus du traité et vers une rupture avec la monarchie impériale : *guerre gréco-turque : bataille d’Inönü entre et mars janvier 1921 qui stoppe une offensive grecque ; échec grec pour prendre Ankara en septembre (bataille de la Sakarya). Kemal reçoit le titre de Gazi (Victorieux) à cette occasion. *Début de la reconnaissance internationale par la participation d’une délégation kémaliste à la conférence de Londres débutée le 21 février 1921. *traité avec la jeune Union soviétique et avec l’Afghanistan en mars 1921. *accord avec la France le 20 octobre 1921 à propos de la Cilicie et du mandat en Syrie. Idem avec l’Italie à propos de la province d’Antalya. * après deux semaines d’offensive, les troupes nationalistes turques prennent Izmir (Smyrne) entre les 9 et 14 septembre. *11 octobre 1922 : armistice de Mudanya entre les Alliés, les Grecs et les Turcs. Le 19 octobre, les forces alliées évacuent Istanbul et les Dardanelles.
Izmir en flammes
Traité de Lausanne du 23 juillet 1923 -Echange de population : 385 000 musulmans d’Épire et de Thrace, 1,6 millions de chrétiens d’Asie Mineure.
La Turquie du traité de Lausanne
1er novembre 1922 : abolition du sultanat 1er novembre 1922 : abolition du sultanat. Mehmet VI part pour l’exil une semaine plus tard. La République est officiellement proclamée le 23 octobre 1923.
2) Une République réformiste et autoritaire A) La mise en place d’un régime autoritaire -Election d’une nouvelle Assemblée en avril 1923 : triomphe des partisans de Kemal qui s’organisent en Parti républicain du peuple en septembre. Les opposants libéraux tentent de s’organiser avec le Parti républicain pour le progrès. Répression de l’opposition à l’occasion de la révolte kurde en 1925 et d’un attentat manqué en 1926. Entre 1925 et 1927, les tribunaux de l’indépendance condamnent à mort 640 personnes dont la moitié par contumace. -Mustafa Kemal est élu à l’unanimité de l’Assemblée président de la République de Turquie, le 29 octobre 1923 (le 13 octobre, Ankara a été officiellement proclamée capitale de la Turquie). Personnalisation et concentration du pouvoir illustré par le discours d’octobre 1927 lu pendant 36 h 30 (!) et relatant la guerre d’indépendance. Devenu un livre, le Discours (Nutuk) est traduit en français, anglais et allemand. -Tentative avortée de la formation d’un parti d’opposition, le Parti libre (12 août-17 novembre 1930).
Culte de la personnalité
B) Une laïcisation à la hussarde -Conservation du califat en la personne d’Abdülmecid, cousin du dernier sultan. Abolition du califat le 3 mars 1924. Abolition également des tribunaux chariatiques, des écoles coraniques et des confréries alors que les imams deviennent des fonctionnaires. -Adoption d’un code civil, en 1926, interdisant la polygamie tolérée par le texte coranique : « Epousez deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais si vous craignez de ne pas être justes avec chacune d’entre elles, alors une seule » (sourate 4, 3). Seul le mariage civil est reconnu et le voile est interdit dans la fonction publique. -Alors que l’article 2 de la constitution de 1924 proclamait l’islam comme religion d’Etat, cette disposition est abolie le 10 avril 1928. Au début des années 1930, il n’y a plus aucune référence religieuse dans le corpus juridique turc. Adoption de l’alphabet latin. -Adoption du calendrier grégorien le 26 décembre 1925, remplacement du fez par le chapeau annoncé par le discours du 27 août 1925 dit « du chapeau » (une centaine d’exécutions pour non respect de cette interdiction), du dimanche comme jour de repos à la place du vendredi en 1935. -Le PRP fait de la laïcité un des piliers du régime en 1931. -Le 5 décembre 1934, le droit de vote est accordé aux femmes. -Le 5 février 1937, un amendement à la constitution fait de la Turquie une République laïque.
C) Y-a-t-il une idéologie kemaliste? Les « Six Flèches » structurant les principes du kémalisme et énoncées en 1931 (elles sont placées dans les statues du parti en 1935 et dans la constitution en 1937): -Nationalisme. -Républicanisme. -Populisme. -Etatisme. -Laïcisme. -Révolutionnarisme.
Ismet Inönü
Recep Peker, secrétaire général du Parti républicain du Peuple de 1928 à 1936.
Celâl Bayar, Premier ministre d’octobre 1937 à janvier 1939.
Mort de Mustafa Kemal Atatürk le 10 novembre1938 Mort de Mustafa Kemal Atatürk le 10 novembre1938. Son mausolée à Ankara inauguré le 10 novembre 1953.
Ouvrages généraux : Bibliographie -Bozarslan (Hamit), Histoire de la Turquie de l’Empire à nos jours, Paris, collection Texto, Tallandier, 2015 ; Histoire de la Turquie contemporaine, Paris, La Découverte, 2016. Biographies de Mustafa Kemal : -Jevakhoff (Alexandre), Kemal Atatürk. Père fondateur de la Turquie, Paris, collection Texto, Tallandier, 2016 (1989). -Monnier (Fabrice), Atatürk. Naissance de la Turquie moderne, Paris, CNRS édition, 2015. -Sükrü Hanioğlu, Atatürk, Paris, Fayard, 2016. Sur la Turquie kémaliste : -Dumont (Paul), Mustafa Kemal invente la Turquie moderne, Bruxelles, Complexe, 2006 (1983). -Lewis (Bernard), Islam et laïcité. La naissance de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988. -Vaner (Semih), sous la direction de, Modernisation autoritaire en Turquie et en Iran, Paris, L’Harmattan, 1991.