Chapitre 1 - Les bases économiques de la stratégie des firmes contemporaines Section 1 - L’analyse économique de la firme en concurrence imparfaite Section 2 - Les marchés et l’analyse de la concurrence complexe Section 3 - La dynamique de l’avantage concurrentiel en économie ouverte
Le cadre de concurrence pure et parfaite est un modèle rarement vérifié dans la réalité. Dès qu'une des conditions de la CPP n'est pas respectée, la concurrence devient imparfaite ; la concurrence est même « inexistante » dans le cas du monopole. On observe souvent l’apparition d’une concentration des firmes qui désigne un phénomène d'augmentation de leur taille moyenne et la diminution de leur nombre. La concentration met en cause une des conditions de la concurrence pure et parfaite (atomicité du marché) et est due à 3 causes principales : - l’existence de rendements croissants dans certaines activités, : les firmes réalisent des économies d'échelle. Plus la taille de l'entreprise est importante, plus les CM de production sont faibles. Les firmes les plus compétitives sont les plus grandes et elles mènent des stratégies de fusion et d'acquisition pour devenir encore plus compétitives et dominer le marché. Ce phénomène conduit à l'apparition d'oligopoles, voire de monopoles. Les activités à rendements croissants sont traditionnellement celles qui utilisent des réseaux (lignes téléphoniques, voies ferrées...), mais de nombreuses activités industrielles, telles celles qui ont des coûts fixes considérables, réalisent aussi des rendements croissants.
-Des contraintes naturelles ou technologiques apparaissent dans d’autres activités qui limitent le nombre de producteurs. Lorsque la production requiert l'utilisation de ressources rares, le nombre de producteurs est limité : ressources naturelles (eaux minérales, gisement minier...), ressources technologiques. Lorsqu'un brevet protège une innovation, son détenteur est en situation de monopole. - Des comportements anticoncurrentiels peuvent empêcher de nouveaux offreurs d'entrer sur le marché: politique de prix, publicité agressive... Sur certains marchés, des barrières à l'entrée et à la sortie, qui peuvent être liées à la nature du marché et/ou aux comportements des entreprises en place, créent des obstacles à l'arrivée de nouveaux offreurs. Développons une analyse économique de la firme en concurrence imparfaite.
Section 1 - L’analyse économique de la firme en concurrence imparfaite L'analyse des marchés réels montre qu'un nombre réduit de grandes firmes contrôle l'essentiel du marché. L'atomicité est peu respectée. Le degré de concentration du marché peut être évalué par la part de marché détenue (% des ventes sur le total des ventes) par les x premières entreprises du marché. Ainsi, sur le marché mondial de l'automobile, les 8 premières firmes mondiales contrôlent plus des 2/3 de ce marché. Comment peut-on expliquer que les marchés soient aussi concentrés et quelles en sont les conséquences ? Plusieurs raisons expliquent que les conditions de la CPP ne sont pas respectées : -La concurrence détruit la concurrence : sur un marché en CPP, les firmes ayant les meilleures technologies de production peuvent proposer les prix les plus bas aux consommateurs. La concurrence permet d’évincer du marché les entreprises les moins compétitives. Les firmes voient donc leurs profits et leur nombre se réduire peu à peu. La concurrence concentration et remise en cause de l'atomicité du marché.
- Ensuite, le marché concurrentiel est créateur d’incertitude : la flexibilité journalière des prix et la concurrence permanente d’un marché en CPP empêchent les entreprises d’avoir une vision claire du futur (marché aveugle) et les placent dans une instabilité permanente. Les firmes vont chercher à se mettre à l’abri des lois de la concurrence et du marché par des relations stables (contrat à terme, entente, coopération…) remettant en cause à la fois l'atomicité et la mobilité des facteurs. Les intérêts de la firme et du marché peuvent donc être contradictoires. M. Porter montre que, d’une manière générale, toute entreprise présente sur un marché est menacée par 5 « forces » : Les concurrents déjà présents (Toyota, Volkswagen ou PSA pour Renault par exemple), les nouveaux entrants (les constructeurs automobiles chinois ou indiens), les substituts (les transports urbain, les cycles), le pouvoir de négociation des fournisseurs (les équipementiers disposants de technologies prioritaires) et le pouvoir de pression des clients (menaces de boycott ou de procès par les groupes de consommateurs –ou « class action »- aux Etats-Unis par exemple).
- le recours au marché génère des coûts de transaction : coûts de recherche d’information et de négociation avant la signature d’un contrat (sélection d’un fournisseur ou d’un candidat à l’embauche, etc), ainsi que les coûts de contrôle de l’exécution de ce contrat après sa signature (vérification du respect de l’engagement contractuel du fournisseur en terme de qualité, de prix, de délais, etc). Leur réduction passe par l’internalisation des liens contractuels (contrats à LT avec les fournisseurs plutôt que contrats ponctuels, préférence pour les CDI par rapport au CDD etc.) au lieu de passer par les relations journalières du marché (Coase, Williamson). Le marché est souvent en concurrence imparfaite (conditions de la CPP non réunies sur un marché). L’information peut être imparfaite. Les firmes ont la possibilité d’agir sur leur environnement et de définir une stratégie contrairement au modèle néo-classique de la CPP. Les firmes sont en partie, responsables de la concurrence imparfaite. Leur stratégie correspond à l'ensemble de leur politiques coordonnées pour atteindre un objectif global à long terme (acquisition d’un avantage concurrentiel déterminant la plaçant durablement dans un rapport de force favorable. Ceci suppose :
- La définition du ou des objectifs à atteindre (devenir le n°1 sur le marché, part du marché à conquérir, taux de rentabilité à atteindre, etc) ; - Une analyse de l'environnement de la firme ou du groupe (type de marchés, concurrents, état de la demande, relations avec l'Etat, relations avec les fournisseurs...) ; - Une analyse des forces et des faiblesses de l'entreprise (positionnement sur le marché, portefeuille d'activités, gamme de produits, organisation interne....) ; - La définition des moyens à mettre en œuvre (concentration, réduction des coûts, conditionnement du consommateur, politique de recherche...) ; - La mise en place d’un échéancier (définition des étapes pour atteindre les objectifs). Analysons plus, précisément la micro-économie de la firme en concurrence imparfaite.
A - L’équilibre de la firme en situation de concurrence imparfaite Distinguons le cas de l’oligopole de celui de la concurrence monopolistique en situation dynamique. 1 - Le cas de l’oligopole Oligopole = petit nombre de firmes. Chacune des firmes doit tenir compte de la stratégie de ses rivales : anticiper la réaction des autres à ses propres actions. Dilemme de l’oligopole : éliminer ses concurrents mais risque de guerre des prix avec aucun gagnant ou coopérer avec ses concurrents dans le but d’accroître le prix et le profit à se partager en rationnant la demande. En agissant, les firmes de l’oligopole déterminent la taille du gain, des rentes de monopole à se partager. Mais en voulant accroître leur part, les firmes peuvent faire disparaître ce gain.
Quelle stratégie adoptée dans le cas d’un oligopole ? 1) Doit-on coopérer (pratiquer la collusion) ou tenter d’évincer ses concurrents ? 2) Si on ne peut pas coopérer explicitement, comment peut-on réduire la concurrence à l’intérieur de l’oligopole ? 3) Comment peut-on empêcher l’entrée sur le marché de nouveaux concurrents ? 4) Comment un rival réagit-il à l’action d’une firme ? Suit-il la hausse du prix, ou au contraire tente-t-il de s’emparer d’un supplément de demande ? Quels vont être le prix et la quantité échangée ?
Détaillons la pratique de la collusion Détaillons la pratique de la collusion *La collusion consiste pour l’oligopole à agir comme un monopole en maximisant le profit joint et en se le partageant. *Forme de coopération. Un oligopole pratiquant la collusion est un cartel. Ainsi, l’OPEP est le cartel des producteurs de pétrole : elle s’efforce de restreindre l’offre de pétrole pour en accroître le prix, et les revenus des pays producteurs. * La collusion (l’entente) est illégale, car contraire au principe de concurrence (accord de partage des marchés entre les opérateurs téléphoniques, par exemple).
Mais la collusion est fragile, car après s’être entendu sur un prix élevé, des quotas de production restrictifs, etc, chaque membre a intérêt à accroître sa production individuellement, et peut tenter d’accroître son profit en profitant du prix élevé. Chacun sachant que l’autre peut procéder de la sorte, la coopération est difficile à réaliser. Cela est renforcé par le caractère illégal de la collusion qui empêche les membres de signer tout accord ou contrat par lequel il s’engagerait à respecter ce à quoi ils se sont engagés. Il peut apparaître une situation de type «dilemme du prisonnier».
Recourons à la théorie des jeux Recourons à la théorie des jeux. Chaque joueur est rationnel et sait que l’autre l’est aussi. 2 stratégies : coopérer ou ne pas coopérer. Ci - après la matrice des gains résultant de la mise en place des stratégies individuelles :
- Quelque soit la stratégie choisie par la firme B, la firme A a intérêt à ne pas coopérer. La non-coopération est la stratégie dominante de la firme A. - La firme B raisonne comme la firme A. La seule issue (équilibre) du jeu est la non-coopération (en bleu). Situation inefficace comparée à une situation de coopération.
- Chacune des firmes participant à un cartel sait que la collusion permet d’obtenir un profit maximum… mais chacune a individuellement intérêt à dévier en accroissant son niveau de production. - Sans possibilité de s’engager par contrat, la coopération n’est pas une stratégie crédible pour les partenaires. Cette défiance crée la difficulté de maintien du cartel (exemple de l’OPEP). - Elle devient plus complexe si le jeu se répète. Il est alors possible de menacer l’autre joueur de représailles futures, en cas de non-coopération. - Cela peut suffire à discipliner les joueurs, et à assurer que la coopération répétée puisse émerger comme une issue du jeu.
2 - Le cas de la concurrence monopolistique De nombreuses firmes produisent des variétés différenciées d’un même bien. Deux situations : le coût fixe est suffisamment faible pour qu’une concurrence s’exerce, impliquant l’existence d’un grand nombre de firmes réalisant des profits nuls ou le coût fixe est suffisamment fort pour que chaque variété du bien différencié soit produit par une seule firme. Chaque firme est confrontée à une demande décroissante pour sa variété, dont le niveau dépend des actions des autres firmes de l’industrie. L’entrée de concurrents sur le marché est possible et se réalise.
Chaque producteur de variétés est confronté à une demande décroissante. Le niveau de cette demande dépend du prix des concurrents offrant des variétés substituables du bien (produits différenciés). La firme choisit p1 et Q1, impliquant un profit positif (rectangle hachuré). Un profit positif stimule l’entrée de firmes concurrentes, ce qui va réduire la demande adressée à la firme.
L’entrée de concurrents réduit le niveau de la demande de chaque firme. l’équilibre est atteint en (Qe, pe), où la courbe de coût moyen est tangente à la courbe de demande. Le profit d’équilibre est alors nul.
Examinons à titre complémentaire les conditions de l’équilibre économique dans une situation de concurrence imparfaite de clusters.
B - Clusters d’entreprises et situations d’équilibre du cluster Prenons l’exemple de l’UE. Sur un plan domestique, l’appareil productif communautaire, à défaut d’être régulé par des politiques communes, peut créer des avantages comparatifs par des stratégies de production axées sur la constitution de districts industriels. Des pays de l’UE tentent des expériences nationales de ce type (Espagne, Danemark, etc) sans implication directe des instances communautaires. En France, cette politique est incarnée par les pôles de compétitivité définis par les pouvoirs publics. Quels sont les avantages d’une telle organisation de la production ?
Une des premières analyses consacrées à la dimension géographique de l’industrie est due à A. Marshall : une entreprise bénéficie de 3 effets positifs en se localisant près d’autres firmes du même secteur: des économies de coûts de transport dans la production et la distribution, un marché du travail local spécialisé efficace, et des échanges intenses d’information entre producteurs. Il s’agit d’économies d’échelle localisées. Plus récemment, M. E. Porter a développé la théorie des clusters qui définit les clusters comme une concentration géographique de firmes et d’institutions dont les activités sont interconnectées et interdépendantes dans un secteur économique particulier.
Le succès d’un cluster sera fondé sur la compétitivité résultant de l’interconnexion entre les entreprises et les institutions dans un espace donné. Le secteur concerné devra cependant posséder un ou plusieurs avantages concurrentiels. Il y a quatre déterminants à l’avantage concurrentiel : les facteurs de productions, notamment les facteurs spécifiques, la demande, les industries amont et apparentées, la stratégie et la structure des entreprises. Pour expliquer le développement des clusters, la théorie insiste sur le concept d’économies d’échelle ou de rendements croissants, c’est-à-dire l’existence de gains à la concentration de la production sur un espace donné.
Il existe un second élément déterminant à toute analyse d’économie géographique : l’apparition de coûts de transaction lorsque les agents ne sont pas localisés au même endroit et qu’ils interagissent dans leurs activités économiques pour échanger des biens ou des services. Ces 2 conditions sont nécessaires pour expliquer la question de la concentration géographique. L’interaction des forces de concentration - l’exploitation d’économies d’échelle localisées - et des coûts de transaction explique l’existence de clusters.
Aujourd’hui, l’analyse des clusters doit prendre en compte les évolutions de la concurrence imparfaite (mondialisation des activités) émergence des formes de concurrence monopolistique et oligopolistique. En particulier toute entreprise aujourd’hui des efforts continus et de plus en plus importants de différenciation des produits. Une politique de clusters peut représenter une politique alternative au protectionnisme.
Le cluster courbe de coût moyen de longue période en U : inefficiences initiales dans la phase de croissance du cluster (déséconomies externes induites par sa faible taille) et dans une phase ultérieure s’il ne parvient pas à éviter les coûts de la croissance urbaine et ceux de la périphérie.
En particulier l’éloignement d’une zone portuaire risque de rendre difficile son insertion dans le commerce international (condamnation à terme des pôles de compétitivité qui, par exemple dans l’UE, seraient situés en dehors du pentagone industriel communautaire. La zone d’efficacité du cluster permet de faire émerger de nouveaux avantages compétitifs que les firmes pourront exploiter sur les marchés internationaux : activités intenses en recherche développement et innovation et en travail qualifié.