Gestion péri-opératoire des traitements. Dr Nathalie CROS-TERRAUX Médecin Anesthésiste-Réanimateur CHU DIJON
Généralités L’anesthésiste –réanimateur a peu de contact professionnel avec le médecin généraliste qui le principal acteur de santé en France. Une étude prospective a été faite par le CHU d’Amiens pour déterminer le niveau de connaissances en anesthésie des médecins généralistes, la formation qu’ils ont eu et celle qu’ils jugent nécessaire. (488 médecins) Il en ressort que 17% des MG ont reçu un enseignement théorique sur l’AR au cours de leurs études alors que 90% pensent que ce serait nécessaire, 82.5% pensent qu’une FMC serait utile,79% déclarent connaître les médicaments à interrompre avant une anesthésie.
Généralités Rappel : la consultation d’anesthésie est rendue obligatoire par le décret du 5 décembre 1994. 70% des patients vus en consultation d’anesthésie prennent au moins un médicament: β‐bloquants antagonistes du système RA antiplaquettaires Maladies cardiovasculaires sont les plus fréquentes ▲Risque = aggravation de la pathologie Interactions avec médicaments de l’anesthésie→effets hémodynamiques
Rôle initial du médecin traitant Liste des médicaments habituels Bilan cardiaque récent, courrier …. Suivi thérapeutique entre la consultation d’anesthésie et l’intervention (par ex. TA, relais anticoagulant) Ne pas se substituer à la consultation d’anesthésie !
Prise de médicaments et intervention chirurgicale planifiée Plusieurs questions se posent: Faut-il continuer de prendre des médicaments? Conséquences avec la conduite de l’anesthésie et de la chirurgie Faut-il arrêter de prendre des médicaments ? Si oui, quand ? Comment gérer cette situation ?
Pourquoi arrêter un traitement ? Risque hémorragique plus marqué ? Type de chirurgie ? Interactions pharmacologique (dynamique ou cinétique) entre médicaments usuels et ceux de l’anesthésie Majoration des effets secondaires Problème de la non disponibilité d’un relais parentéral ? Conséquences pour le patient ?
Quels risques de l’arrêt thérapeutique ? ●Déséquilibre simple pathologie préexistante antihypertenseurs antidépresseurs, antipsychotiques antidiabétiques antiépileptiques, antibiotiques (antituberculeux)… ● Progression de la maladie ? Effet rebond –syndrome de retrait antiagrégants plaquettaires β‐bloquants, clonidine
Quels risques de l’arrêt thérapeutique ? Pas d’arrêt thérapeutique entre la consultation d’anesthésie et l’intervention sans information de l’anesthésiste Avant tout arrêt: Le traitement est il indispensable ? Pourquoi quelle(s) raison(s) a t-il été prescrit ? (attention aux indications différentes ‐ par ex. IEC dans HTA versus insuffisance cardiaque ‐ ex. des antiagrégants...) Décision au mieux consensuelle
Quels risques de l’arrêt thérapeutique ? ÉVALUER LE RAPPORT BÉNÉFICE‐RISQUE de l’arrêt ou du maintien du (des) médicament(s) Maintien du traitement Arrêt du traitement Arrêt avec substitution Recommandations formalisées d’experts en juin 2009 (SFAR): éviter si possible l’arrêt d’un traitement
Médicaments ne nécessitant aucune modification du traitement Antiarythmiques Antihypertenseurs Anticonvulsivants Antiparkinsoniens Antirétroviraux β‐bloquants Bronchodilatateurs Dérivés nitrés Digitaliques Statines Poursuivre le traitement sans rien changer, y compris le matin de l’intervention
Médicaments cardiovasculaires β‐bloquants Dérivés nitrés Inhibiteurs calciques Digitaliques Agonistes α2‐adrénergiques Statines NE PAS ARRÊTER NE PAS ARRÊTER
Médicaments cardiovasculaires Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine II (IEC) et les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II (ARA II): HTA ou IC Diurétiques (ne pas administrer le jour de l’opération) Antiarythmiques (arrêt 24 h avant pour Classe I et FA) Antiplaquettaires
IEC ‐ ARA II et anesthésie Indications dans HTA, insuffisance cardiaque, maladie coronarienne et insuffisance rénale chronique Interfèrent dans la régulation de la pression artérielle –préserver la volémie Majoration du risque d’hypotension artérielle si maintenus jusqu’au matin de l’intervention En pratique: Arrêt au moins 12 h avant chirurgie si HTA Maintien des IEC et ARA II si insuffisance cardiaque
AVIS CARDIOLOGIQUE • Une optimisation du traitement médical. • Une évaluation de la pathologie cardiaque, de sa gravité, de sa stabilité. • Une optimisation du traitement médical. • Une aide à l’évaluation du risque péri-opératoire par la réalisation d’examens diagnostiques. Cette démarche devant aboutir à une discussion de l’indication ou de la technique chirurgicale.
AVIS CARDIOLOGIQUE La prescription éventuelle d’un traitement préventif de l’ischémie myocardique péri-opératoire par un bêta-bloquant par exemple. Une réponse à des questions spécifiques telle que la gestion des anticoagulants, antiagrégants, plaquettaires, ou d’un PM.
GESTION DES ANTIAGREGANTS PLAQUETTAIRES La gestion des antiagrégants plaquettaires doit faire l’objet d’une discussion entre l’anesthésiste et le cardiologue. Il s’agit de la gestion d’un double risque : d’une part le risque d’une thrombose artérielle, d’autre part celui d’un saignement dont les conséquences peuvent être vitale (neurochirurgie), fonctionnelle (orthopédie), ou liée à la transfusion. Si les situations extrêmes telles que l’angor instable ou la chirurgie à haut potentiel hémorragique posent peu de problème quant au maintien ou à l’arrêt des antiagrégants plaquettaires, les situations intermédiaires doivent faire l’objet d’une discussion.
Antiagrégants plaquettaires Médicaments inhibiteurs des fonctions plaquettaires Aspirine, dipyridamole, thiénopyridines (ticlopidine, clopidogrel…) antagonistes du récepteur plaquettaire GPIIb-IIIa (abciximab, eptifibatide, tirofiban) Balance entre risque hémorragique spécifique à la chirurgie, technique anesthésique envisagée (péridurale…) et risque cardiovasculaire pour le patient si arrêt du traitement Problème des patients porteurs de stents coronaires
Antiagrégants plaquettaires
SFAR
Que faire du traitement AVK en préopératoire? Balance Risque-Risque Arrêt? Substitution? Quel type de relais? Albadejo et coll.,Mapar 2007
Risque hémorragique faible Chirurgie dentaire, cutanée, cataracte. Etudes montrent qu’avec moyens hémostatiques , respect des CI médicamenteuses et maintien INR dans zone entre 2-4: pas d’arrêt. Cohorte : 19 283 patients 681 sous AVK pas de complications hémorragiques dans la chirurgie de la cataracte. Techniques d’anesthésie / topique Albadejo et coll., Mapar 2007
Risque hémorragique modéré ou élevé Il reste préférable d’arrêter le traitement. Combien de temps? Quel relais?
Risque hémorragique d’un acte chirurgical sous AVK (Ickx & Steib, 2006) Chirurgie avec un risque faible Chirurgie cutanée Chirurgie de la cataracte Fibroscopie et coloscopie avec biopsie simple Chirurgie avec un risque majoré Chirurgie prothétique Neurochirurgie Chirurgie de la prostate Chirurgie digestive Chirurgie thoracique Chirurgie cardiaque
Traitement par AVK Chez le patient à risque thrombotique faible, le traitement peut être arrêté 3 à 5 jours avant l’opération pour permettre à l’INR de se normaliser. Chez le patient à risque modéré, on peut être tenté de proposer un relais, essentiellement pour les AVC. Chez le patient à risque élevé, la substitution s’avère nécessaire: héparine non fractionnée versus HBPM est controversé.
Traitement par AVK En cas de relais, les HBPM sont de plus en plus souvent proposées, mais restent à évaluer à grande échelle. D’autres possibilités sont également explorées telles l’absence d’arrêt préopératoire associé à l’administration d’une petite dose de vitamine K la veille de l’intervention pour corriger rapidement l’ INR.
Risque thrombotique Valves cardiaques mécaniques ACFA MTEV
Valves cardiaques ●Les complications thromboemboliques des valves cardiaques mécaniques incluent les embolies systémiques (principalement AVC et infarctus du myocarde) et les thromboses de la lumière de la valve, dont la principale manifestation est une insuffisance cardiaque congestive. Le risque dépend de la valve : il est plus important avec les valves en position mitrale qu’avec les valves aortiques. ● Les emboles systémiques sont plus fréquents avec les valves à billes tandis que les thromboses de valve sont d’avantage le fait des valves à disques.
Valves cardiaques Un patient porteur d’une valve mécanique doit être considéré à risque thromboembolique élevé selon l’avis des experts. Par conséquent, l’arrêt des AVK implique un relais pré et postopératoire par les héparines
ACFA CHADS2 0 point: pas d’indication d’AVK chronique 1 et 2 points: indication d’AVK chronique pas de relais d’héparine:arrêt 5 jours avant, reprise 5 jours après ≥ 3 points:relais héparine AVK 5 jours avant intervention (HBPM possible), le delai pour un traitement efficace et le choix héparine-HBPM dépend du risque hémorragique et de la fonction rénale.
CHADS2 C: 1 pour insuffisance cardiaque H: 1 pour HTA A:1 pour âge < 75 ans D: 1 pour diabète 2: pour ATCD ischémique S comme stroke max de 6 points possible.
ATCD de maladies thromboembolique veineuse Ainsi, les experts ont défini les patients à haut risque thromboembolique « par un accident (thrombose veineuse profonde et/ou embolie pulmonaire) datant de moins de 3 mois, ou une maladie thromboembolique récidivante idiopathique (nombre d’épisodes ≥ 2, au moins un accident sans facteur déclenchant) ». Les patients sont à très haut risque si l’accident date de moins d’1 mois. Lorsque le risque thromboembolique est estimé élevé alors le relais des AVK par des héparines en pré et postopératoire est recommandé. Godier et coll., Mapar 2008
Relais des AVK par une héparinothérapie Arrêt des AVK 4 jours avant la chirurgie Relais par héparine non fractionnée ou HBPM Intervention a lieu quand INR < 1,5 (1,2 en neuro‐chirurgie) et à distance de la dernière injection d’héparine lorsque le TCA s’est normalisé AVK repris en période postopératoire
Relais des AVK par une héparinothérapie En préopératoire Les recommandations détaillent les schémas de prise en charge, et sont reprises ici : « Si l’INR est en zone thérapeutique, il est recommandé d’arrêter l’AVK 4 à 5 jours avant l’intervention et de commencer l’héparine à dose curative 48 heures après la dernière prise de fluindione (Previscan®) ou de warfarine (Coumadine®) ou 24 heures après la dernière prise d’acénocoumarol (Sintrom®) ».
Relais des AVK par une héparinothérapie La réalisation d’un INR la veille de l’intervention est recommandée. Il est suggéré que les patients ayant un INR supérieur à 1,5 la veille de l’intervention bénéficient de l’administration de 5 mg de vitamine K per os. Dans ce cas, un INR de contrôle est réalisé le matin de l’intervention.
Relais des AVK par une héparinothérapie «L’arrêt préopératoire des héparines est recommandé comme suit : • HNF intraveineuse à la seringue électrique : arrêt 4 à 6 heures avant la chirurgie, • HNF sous-cutanée : arrêt 8 à 12 heures avant la chirurgie, • HBPM : dernière dose 24 heures avant l’intervention. Le contrôle du TCA ou de l’activité anti-Xa le matin de la chirurgie n’est pas nécessaire Godier et coll., Mapar 2008
Relais préop par héparine Relais postop par héparine (6-48h) Type de traitement Héparine (dose curative) Valves cardiaques mécaniques Quelle que soit la valve + HBPM 2 inj/24h ou HNF IV ou HNF s.c FA et MTEV Haut risque Risque modéré - Si non re AVK HBPM ou HNF
Médicaments du système nerveux central Évaluer le risque d’interaction avec médicaments anesthésiques par rapport au risque d’une aggravation de la maladie ou la survenue de symptômes de sevrage Antidépresseurs -Tricycliques: potentialisent l’effet des catécholamines; longue durée d’action; traitement maintenu -IMAO: iproniazide et moclobémide maintenus avant chir. mépéridine = syndrome d’hyperactivité sérotoninergique sympathomimétiques indirects (éphédrine) = libération NA ++ -ISRS: traitement conservé sinon risque de sevrage
Médicaments du système nerveux central Lithium: psychose maniaco‐dépressive; lithémie 0,7‐1 mmol/L; surdosage > 1,5; interaction AINS; potentialisation des myorelaxants; équilibre hydrosodé; pas d’arrêt Neuroleptiques: effets anticholinergiques, antisérotoninergiques… pas d’arrêt; attention: syndrome malin des neuroleptiques – ↑ du QT –hypotension artérielle. Antiparkinsoniens: L‐Dopa à continuer au décours de la chirurgie; agonistes dopaminergiques (bromocriptine) interrompus matin chirurgie; substitution si besoin Antiépileptiques: inducteurs enzymatiques; augmentation des besoins en agents anesthésiques; à continuer
Antidiabétiques oraux Diabète doit être contrôlé Glycémie surveillée et équilibrée dans la période périopératoire Médicaments: biguanides, sulfamides hypoglycémiants et glinides (répaglinide), inhibiteurs des α‐glucosidases intestinales (acarbose et miglitol), thiazolidinediones) Interventions mineures: continuer mais pas matin de l’intervention; reprise quand transit intestinal normal Interventions lourdes ou diabète déséquilibré: relais par insuline
Antidiabétiques oraux Metformine: pas de risque à l’arrêt mais risque d’acidose lactique si maintenu . La chirurgie n’a jamais été identifiée comme cause d’acidose lactique mais une insuffisance rénale développée à bas bruit en raison d’une hypovolémie, un sepsis, bas débit peut influencer.
Antidiabétiques oraux Les insulinosecréteurs ( les sulfamides et les glinides): l’arrêt expose au risque d’hyperglycémie et à ses complications, le maintien expose à une hypoglycémie chez les patients les plus âgés notamment.
Antidiabétiques oraux Les inhibiteurs des alphaglucosides intestinales: pas de risque à l’arrêt et peu au maintien Les thiazolidinediones (glitazone): peu de risque à l’arrêt, peu au maintien
Chir Mineure Modérée Urgence Metformine + Stop Sulfamides Glinides stop 12 à 24h avant Stop Sulfamides Pas le matin Stop la veille au soir Glinides Id Inhibiteurs α g Glitazones Inhibiteurs DPP-4 Analogue GLP-1 Insulines
Corticothérapie au long court Jamais suspendue brutalement Axe surrénalien fonctionnel si prise < 5 mg de prednisone par jour, mais pas si tt > 5 jours Autres situations: maintenir traitement habituel + renforcer corticothérapie par hydrocortisone i.v. en périopératoire 50‐75 mg à l’induction si chirurgie modérée ou sévère: 50 mg/6h pdt 2‐3j Retour progressif aux doses habituelles en postopératoire
Analgésiques Prise chronique d’analgésiques ou patient toxicomane en traitement substitutif: morphine orale, méthadone, etc… Continuer jusqu’au matin de l’intervention Besoins augmentés dans la période péri-opératoire: désensibilisation récepteurs μ Administrer des doses supérieures d’opioïdes sinon risque de sous dosage ou signes de sevrage
Autres traitements Contraception orale: même pilules microdosées ↑ risque thromboembolique; arrêt 4 semaines avant chirurgie à haut risque et période d’immobilisation postopératoire Idem avec traitement hormonal substitutif Antirétroviraux: interactions médicamenteuses (oursuivre traitement tout au long de la période périopératoire Antituberculeux: isoniazide, rifampicine = maintien
Autres traitements Traitements immunosuppresseurs: inhibiteurs du TNFα = arrêt sinon risque infectieux Étanercept (Enbrel©): 1‐2 semaines avant intervention Infliximab (Rémicade©): 6 semaines Adalimumab (Humira©): 4 semaines Inhibiteurs de calcineurine:Ciclosporine A (Néoral©): pas le matin si anesthésie générale Tacrolimus (Prograf©): maintenu (voie sublinguale) Méthotrexate, azathioprine, mycophénolate mofétil (Cellcept©), cyclophosphamide: maintenus
Anesthésie et produits naturels ▲Un patient sur 3 / 4 avant une chirurgie programmée prends des produits naturels souvent prise non déclarée spontanément Contenu est souvent très variable Plantes médicinales sont associées à certaines complications périopératoires: IM, AVC, saignements, ↓↑ actions des anesthésiques, interactions médicamenteuses Conseil: arrêt 7 jours avant chirurgie
Recommandations formalisées d’experts ‐ 2009 Gestion périopératoire des traitements chroniques et dispositifs médicaux Société Française d’Anesthésie‐Réanimation Protocoles MAPAR 2010