Médiathèque A. Malraux (Béziers) Pourquoi faut-il sauver l'amour ? Médiathèque A. Malraux (Béziers) 22 janvier 2014 1. Étymologie / Définitions : 2. Notions / Concepts / Prise de vue : L'amour vu par quelques grands philosophes : Platon, Aristote, Lucrèce, Descartes, Spinoza et Schopenhauer. 3. Questions / Discussion : 2 questions préalables, 20 mn par question. 4. En guise de conclusion
Étymologie et définitions • Amour est un mot apparu au IX s sous la forme amur ou ameur du latin amor qui ne prendra sa forme actuelle qu'au XII s sous l’influence de la littérature courtoise. • Mot de la même famille que amare, aimer; amator, qui aime et amicus, ami. Définitions : Larousse sur internet (extraits): • Mouvement de dévotion qui porte un être vers une divinité, vers une entité idéalisée ; adhésion à une idée, à un idéal : Amour de Dieu. • Intérêt, goût très vif manifesté par quelqu'un pour une catégorie de choses, pour telle source de plaisir ou de satisfaction : Amour des objets d'art. Son amour du jeu le perdra. • Affection ou tendresse entre les membres d'une famille : Amour paternel, filial. • Inclination d'une personne pour une autre, de caractère passionnel et/ou sexuel. Dictionnaire de philosophie Godin (extrait) : Le mot amour traduit trois mots grecs érôs (la dimension sexuelle), philia (la dimension sociale) et Agapè (la dimension morale et religieuse). L'amour est à la fois plus ou moins chacun d'eux. cu
Notions / Concepts / Prise de vue L'amour vu quelques grands philosophes. Platon (IV s av JC) / L’amour comme l’attrait exercé par la beauté : Mais il existe pour lui 2 types de beauté : - La beauté sensible, qui n' est qu'apparence, reflet et illusion - La beauté intelligible, la vérité absolue de l'Idée qui est la véritable beauté L’amour humain, c'est le désir, et le désir est manque : ce qu’on n’est pas, ce qu’on n’a pas, ce dont on manque, tels sont pour Platon les objets du désir et de l’amour. Mais cet amour malheureux est une bénédiction s'il ouvre au dépassement de soi vers le véritable amour, l'amour de Dieu. Aristote (1/2 s après Platon) / Aimer, c’est avant tout se réjouir. Tout amour n’est pas manque mais joie ou jouissance : - Aimer un paysage ou un compositeur, c’est se réjouir de sa vue ou jouir de sa musique - S’aimer soi, c’est être pour soi-même cause de joie - Aimer ses amis, c’est se réjouir de ce qu’ils sont et se soucier d'eux, pour que perdure la joie dans la fraternité (philia). Lucrèce (I s av JC) et l'épicurisme / L'amour, passion ennemie mortelle de la sagesse La sagesse épicurienne voudrait que l'on assouvisse le besoin sexuel avec ceux qui nous attirent, puis que l'on s'en retourne à des préoccupations plus sérieuses, car en effet : - La passion amoureuse est à la fois aveugle et aveuglante - Le passionné ne voit pas les choses telles qu'elles sont, mais telles qu'il les rêve - C'est pourquoi l'amour passionnel s'éteint quand on ne rêve plus… - Et que l'amour conjugal fondé sur les qualités et mérites réels de chacun (que seule l'habitude permet de dévoiler), vaut mieux.
Notions / Concepts / Prise de vue Descartes (1596-1650) / : Aimer le bien pour aimer bien (maîtriser ses passions). Comme les scolastiques, Descartes distingue : - L'amour de concupiscence; désirer la chose qu’on aime en ne songeant qu’à sa propre satisfaction - De l’amour de bienveillance, tourné vers le bien de l’autre. Pour lui, on ne peut aimer vraiment qu'en aimant corps et âme donc en se référant aux deux : - Que l'on aime sans estimer, et c'est un amour sans esprit qui ne fera pas la joie de l'âme - Que l'on estime sans aimer, et c'est un amour sans désir qui ne fera pas la joie du corps Enfin que si le sage sait si bien aimer l'autre et se rendre heureux lui-même, c'est parce qu'un amour plus puissant le guide : l'amour du bien. Spinoza (1632-1677) / Aimer comme puissance d'exister en se réjouissant : Spinoza est à la fois : - Proche d'Aristote pour lequel "Aimer, c’est se réjouir", puisque, pour lui, l'amour est joie "L'amour n'est autre chose qu'une joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure" - Opposé à Platon puisque pour lui, le désir n’est pas « manque » mais « puissance d'exister » Schopenhauer (1788-1860) / L'amour- désir est le pire des fléaux Comme Platon, Schopenhauer estime que l’amour est désir et que le désir est manque. D'où il tire une conclusion très pessimiste : la vie oscillerait en permanence entre la souffrance et l’ennui : - Souffrance, parce que nous désirons ce que nous n’avons pas et que nous souffrons de ce manque - Ennui, parce que dès lors que nous avons obtenu l’objet de nos désirs et qu’il ne nous manque plus, nous nous découvrons incapables d’aimer Ainsi, Schopenhauer estime que le salut pour l’Homme consiste à s’affranchir de l'amour-désir (qui n'est qu'un égoïsme malheureux) au profit de l'amour-compassion véritablement tourné vers l'autre. Amour : manque ou puissance d'exister ? Passion ou vertu ? Si comme, le pensent Lucrèce et Schopenhauer, l'amour est un fléau, pourquoi faudrait-il le sauver ?
QUESTIONS Deux questions préalables : Amour - désir : manque ou puissance ? Amour : vertu ou passion ? Avant d'essayer de répondre à la question : Pourquoi faut-il sauver l'amour ?
Amour - désir : manque ou puissance ? Aime-t-on pour satisfaire un manque ? Ou aime-t-on pour exprimer sa puissance et/ou sa joie de vivre ?
1. Amour - désir : manque ou puissance ? Le désir-manque de Platon : Désirer c’est manquer : « Quand on ne croit pas manquer d'une chose, on ne la désire pas. » Je désire manger parce que j'ai faim (je manque de nourriture). L’insatisfaction ou la souffrance ne sont-elles pas toujours à l’origine du désir-manque ? Si le désir d'amour est manque, comment l'amour ne serait-il pas manqué ? Le désir-puissance d’Aristote, Spinoza et Nietzsche : Désirer, c’est avoir de l’appétit. Le désir n’est plus signe de manque; mais de puissance, de vie, de joie. "Le désir est puissance de jouir ou jouissance en puissance : le plaisir est son acte", dit à peu près ACS Pour Spinoza, la puissance c’est l’être même en temps qu’il est puissance d ’être (conatus, force, énergie) : « Exister, c’est persévérer dans son être ». Nietzsche voyait dans la volonté de puissance « l’essence la plus intime de l’être » : vivre c’est dominer, surmonter son être, manifester sa puissance et l’accroître. Il ne s’agit pas seulement de résister à la mort, mais d’exister, d’agir et de se réjouir le plus possible : dangereusement pour Nietzsche, plus sagement pour Spinoza. Si le désir d'amour, c'est la puissance d’exister, comment pourrait-on se passer d'aimer ? L'amour-manque n'est-il pas seulement la frustration de l'amour-puissance ? Eviter le premier et cultiver le second, ne serait-il pas une bonne solution ? 7
Amour : vertu ou passion ? Expression du corps ou de l'esprit ? Soumission ou volonté ? Plaisir de prendre ou joie de donner ?
2. Amour : vertu ou passion ? Le mot vient du latin virtus qui signifie une puissance ou une excellence. Si la vertu d'un couteau est de couper, la vertu d'un être humain ne serait-elle pas d'agir humainement ? Pour Spinoza, c'est l'occurrence du conatus et sa forme spécifiquement humaine. La vertu, c'est la puissance de vivre et d'agir humainement sous le contrôle de la raison. Mais comment la raison pourrait-elle suffire sans l'impulsion du désir d'agir humainement ? La vertu n'est-elle pas un effort réussi : la puissance en acte, en vérité et en joie ? (sic ACS) L'amour-vertu ne consisterait-il pas à désirer le bien d'autrui parce que la raison l'estime nécessaire afin de parvenir à vivre humainement et donc plus heureux parmi les autres ? Passion ? Vient du latin passio qui s’oppose à actio, action. L'acte passionné s'oppose à l'action raisonnée. L'âme se soumet au corps (par opposition à l'esprit), disent les classiques, donc à la partie de soi qui ne pense pas. C'est un affect dont je ne suis pas la cause adéquate, dirait Spinoza. La passion ne serait-elle pas ce qui, en moi, est plus fort que moi ? Toute passion n'est-elle pas l'expression d'un manque dont le passionné reste prisonnier ? L'amour-passion ne se réduit-il pas au besoin de satisfaire un manque ? Tourné exclusivement vers soi, cet amour ne pourrait-il durer que si le manque perdure ? Bienveillance sans concupiscence, joie sans égoïsme (comme une amitié libérée de l'ego), l'amour-vertu n'aurait-il pas pour nom Agapè (l'amour qui donne et ne manque de rien) ? Aimer l'autre pour son bien à soi, n'est-il pas le propre de l'amour-passion ? Cet amour qui prend parce qu'il manque, n'aurait-il pas pour nom Eros ? Entre ces deux extrêmes, Philia (l'amour qui partage) n'aurait-il pas sa place ? 9
Pourquoi faut-il sauver l'amour ? De quel amour s'agit-il : éros, philia ou agapè ? Pourquoi est-il nécessaire d'aimer ?
3. Pourquoi faut-il sauver l'amour ? Quel amour : éros, philia ou agapè ? Eros: " Je t'aime, je te veux, j'ai besoin de toi, tu me manque". Cet amour passionné, celui du manque qui prend, ne donnerait-il pas raison à Platon ? Philia: " Je me réjouis de ta présence et de ce que nous partageons". Cet amour qui se réjouit, partage et ne manque de rien, ne donnerait-il pas raison à Aristote ? Agapè: "Je t'accepte tel que tu es, je te donne et te protège" . Cet amour qui donne et s'abandonne sans compter, ne donnerait-il pas raison à Spinoza ? Ces 3 types d'amour ne sont-ils pas complémentaires dans le champ d'aimer ? Pourquoi est-il nécessaire d'aimer ? On peut n'aimer rien, c'est ce que Freud appelle la mélancolie : la perte de la capacité d'aimer. Ne se suicide-t-on pas que lorsque l'amour échoue ou plutôt lorsque l'on échoue à aimer ? La vie ne vaudrait-elle d'être vécue que pour qui l'aime ? Etre en capacité d'aimer n'est-il pas nécessaire pour vivre heureux ? Si tout commence par le manque, Eros, mais tend vers une joie de plus en plus vaste et libre, ne convient-il pas de sauver du champ d'aimer Philia et Agapè ? Philia si l'on veut aimer comme un homme qui sait partager joyeusement et non comme un enfant ? Agapè, si l'on ambitionne d'éprouver la joie du sage qui aime tout ce qui est et donne ce qu'il a ? 11
En guise de conclusion La vie ne vaut que pour qui l'aime. L'amour ne vaut que pour qui l'aime. Ces deux amours vont ensemble, dit André Comte-Sponville. C'est l'amour qui fait vivre, puisque c'est lui qui rend la vie aimable. C'est l'amour qui sauve, et c'est donc lui qu'il faut sauver.
Informations et documents sont disponibles sur : Prochaines réunions MDS Agde de 18h30 à 20h : " Angoisse " : mardi 11 février " Responsabilité " : mardi 11 mars " Justice " : mardi 8 avril " Cosmologie" : mardi 6 mai (1er mardi du mois exceptionnellement) "Le monde s'est-il créé tout seul ?" Conférence-débat afin de préparer la conférence de Trinh Xuan Thuan du samedi 14 juin " Bonté " : mardi 10 juin MAM Béziers mercredi 23 avril de 18h30 à 20h (sujet à définir) Informations et documents sont disponibles sur : http://www.cafe-philo.eu/ 13