Les théories hétérodoxes ont-elles quelque chose en commun Les théories hétérodoxes ont-elles quelque chose en commun? Un point de vue postkeynésien Texte tout d’abord présenté au Matisse. Publié dans Économies et Sociétés (2005), et en anglais dans Intervention (2006)
Hétérodoxie vs Orthodoxie LES NON-ORTHODOXES LES HÉTÉRODOXES PARADIGME POST-CLASSIQUE L’ÉCONOMIE POLITIQUE RADICALE L’ORTHODOXIE LE PARADIGME DOMINANT LE ‘MAINSTREAM’ L’ÉCONOMIE NÉOCLASSIQUE
Les économistes hétérodoxes (au sens large) les marxistes, les radicaux américains les postkeynésiens les sraffiens (ou néo-ricardiens) les structuralistes (du développement) les institutionnalistes les régulationnistes les économistes humanistes ou sociaux les anti-utilitaristes les behaviouristes les économistes des conventions les schumpétériens (ou évolutionnistes) les circuitistes les économistes féministes les nouveaux keynésiens du 3ème type (post-walrasiens) ?
Forces centrifuges vs forces centripèdes Éclatement Hyper-spécialisation Différentiation du produit Fortes individualités, batailles de clocher Forces centripèdes Rapprochements, interactions Minorités en péril, curiosité intellectuelle Organisations (Hétérodoxies MATISSE, SHE, ICAPE)
L’économie hétérodoxe Va au-delà de la critique de l’économie dominante Va au-delà de l’étude de l’histoire de la pensée économique Possède son propre champ d’analyse et ses propres méthodes Développe ses propres théories Teste empiriquement ses théories Élabore des versions simplifiées à des fins pédagogiques Cf. Pasinetti 2005 CJE
Plan d’une étude partielle et partiale Comparaisons PK, Marxistes, Sraffiens, Régulationistes Les présupposés et la rationalité La théorie des prix (de la valeur ?) La théorie de la croissance et de la répartition L’intégration du réel et du monétaire
Présupposés des programmes de recherche néo-classiques et hétérodoxes Paradigme Présupposé Écoles hétérodoxes École dominante Épistémologie Réalisme Instrumentalisme Ontologie/Méthode Holisme, organicisme Individualisme Rationalité Raisonnable ou écologique Hyper rationalité Coeur de l’analyse Production, croissance Échange, rareté Noyau politique Intervention étatique Libre marché
La rationalité instrumentale vs la rationalité absolue Rationalité raisonnable et incertitude radicale (PK, conventions) Impossibilité de traiter l’information (Herbert Simon), incertitude épistémique Monde non-ergodique (Davidson, Shackle), incertitude ontologique Rationalité écologique (psychologie) Choix non-compensatoires (écologie)
Rationalité et DL «…les agents sont décentralisés, en déséquilibre, possédant une information limitée, ne connaissant ni le vrai modèle de l’économie, ni les lois de distribution des variables aléatoires, ni les caractéristiques des autres agents, dans un environnement en perpétuelle mutation et largement imprévisible, c’est-à-dire placés dans une situation d’‘incertitude radicale » (Duménil et Lévy 1995).
Le principe de l’ajustement vs la maximisation sous contrainte « … l’ajustement concerne tous les comportements .... Il peut servir à décrire le comportement d’un individu ... il s’applique à une institution, telle l’entreprise. On peut l’étendre au système bancaire et au système complet qui gouverne la politique monétaire » (DL 1995) Cf. régimes de régulation Cf. Godley, ajustement dynamique vers la norme de stock-flux Qu’est-ce qui est le plus ad hoc? Supposer que les marchés se vident tout le temps, ou supposer que les entreprises ajustent leur production quand leurs stocks en inventaire augmentent?
La théorie des prix: certaines convergences DL, régulationnistes, radicaux américains, postkeynésiens, institutionalistes acceptent les prix de production, ou à tout le moins une forme allégée des prix de production (où les taux de profit cibles ne sont pas nécessairement égaux)
La question de la convergence vers les prix de production Grands progrès sur cette question: Au tout début, les prix de production étaient tout simplement postulés; il n’était nullement question de stabilité, convergence ou gravitation. Par la suite, parmi les premiers modèles, de nombreux auteurs adoptaient des mécanismes qui imitaient les mécanismes de l’économie dominante (les prix de la période s’ajustaient pour apurer temporairement les marchés, et les quantités réagissaient à la période suivante) Je crois qu’il existe maintenant un consensus selon lequel ces modèles ne reflètent pas adéquatement les marchés industriels ou de services.
Deux points de vue apparemment contradictoires Dans leur addendum de la conférence de Sienne de 1990, DL considèrent qu’il existe deux types de modèles de convergence, qu’ils opposent: Les modèles de dualité croisée, d’inspiration classique (les prix varient en fonction des déséquilibres de quantités (et les quantités varient en fonction du taux de profit réalisé)). Les modèles de cost-plus, d’inspiration kaleckienne et institutionnelle (les prix varient en fonction des coûts unitaires), dont Boggio est le principal représentant.
Convergence entre kaleckiens et (certains) sraffiens Les théories du cost-plus, comprennent: La théorie du mark-up sur les coûts unitaires variables, la plus élémentaire La théorie du coût normal et la théorie du taux de rendement cible (Hall et Hitch, Andrews, Lanzillotti, Means). Cette dernière version est acceptée des sraffiens, notamment Roncaglia (1995): « Les entreprises considèrent comme coûts unitaires, dans leur estimation de la situation, la somme des coûts variables et fixes unitaires, calculés non pas sur la base des niveaux d’output courants, mais selon un taux ‘normal’ d’utilisation de la capacité ». Les prix sont (habituellement) fixés en fonction d’un coût unitaire normal, calculés sur la base d’un taux d’utilisation normal et en fonction d’un taux de rendement cible. Ainsi il est possible que les prix soient ‘normaux’, même si les taux d’utilisation de la capacité divergent des taux d’utilisation normaux.
Cost-plus modifié et long-terme La principale critique adressée aux modèles de cost-plus c’est qu’ils ne comprennent pas d’ajustements à long terme. Cependant, le modèle de cost-plus modifié de Boggio (1986) est un bon compromis puisque les marges de profit s’ajustent dans le long terme. De plus les modèles PK à la Wood/Eichner supposent qu’à des taux de croissance plus rapides correspondent des marges plus élevées. Plusieurs modèles classiques de dualité croisée comprennent des ajustements de type keynésien, avec les quantités qui s’ajustent face à des déséquilibres de quantités. Finalement, DL (1999) semblent reconnaître l’intérêt et la généralité des modèles de cost-plus modifié puisqu’ils écrivent: « … dans l’équation (1), les prix ne dépendent pas des coûts de production (en conséquence, les variations de coûts n’ont aucun impact sur les prix). Un modèle alternatif, et peut-être une meilleure alternative, serait un modèle de markup où le markup s’ajusterait plutôt que le prix. Nous utilisons l’équation (1) pour simplifier »
Cost-plus et marshalliens On lit souvent que les keynésiens fondamentalistes (Davidson) ont une théorie des prix qui est marshallienne et qui est incompatible avec celle des autres postkeynésiens. Mais Davidson (1972, ch. 3) montre que sous bien des aspects Marshall est plus proche du cost-plus que des théories néoclassiques (profit normal, taux de rendement cible, taux d’intérêt déterminant le taux de profit normal), et Davidson accepte volontiers le principe du cost-plus et des rendements constants.
Macroéonomie: modèles de croissance kaleckiens Ces modèles ont une grande souplesse Ils reposent essentiellement sur trois équations: Équation d’investissement Équation d’épargne Équation de détermination des prix Ils permettent d’intégrer les préoccupations de la plupart des écoles de pensée, notamment à propos de la répartition du revenu Le taux d’utilisation de la capacité y est endogène, et le modèle est mené par la demande. Certains paradoxes macro y apparaissent: paradoxes de l’épargne et des coûts.
Le modèle kaleckien comme exemple de méthodes hétérodoxes communes Modèle créé par Del Monte (1975), un napolitain ne portant qu’un intérêt marginal aux théories hétérodoxes. Modèle relancé par Rowthorn (1981), un marxiste, puis, indépendamment, par Dutt (1984) et Amadeo (1985), des étudiants de Lance Taylor, un structuraliste du MIT. Une nouvelle variante a eu passablement de succès, celle de Bhaduri et Marglin (1990), kaleckien marxiste et radical américain respectivement. Une variante très similaire a été créée simultanément par Kurz (1990), un sraffien. Le modèle a donné lieu à de nombreux débats, entre marxistes et postkeynésiens, ainsi qu’entre sraffiens et postkeynésiens. Le modèle permet de mieux comprendre la critique de DL à l’égard des régulationnistes et des kaleckiens, tout en permettant d’offrir une réponse aux critiques de DL.
Modèle de croissance kaleckien vs modèle cambridgien Les modèles de croissance à la Kaldor et Robinson souffrent d’un défaut; ces auteurs postulent qu’à court terme les ajustements se font par les quantités (via les variations du taux d’utilisation de la capacité), pourtant tout le poids de l’ajustement à long terme est supporté par les marges de profit, en postulant (sans expliquer comment se fait la transition) que les taux d’utilisation sont à leur niveau normal. C’est la critique de Davidson (1972) et Marglin (1984). Dans le modèle kaleckien, cette schizophrénie n’existe pas.
La convergence vers les taux d’utilisation normaux Comment le taux d’utilisation réalisé peut-il diverger à long terme de son taux normal? C’est la question posée par certains sraffiens, marxistes et DL, qui y voient une incohérence logique (notamment dans les modèles régulationnistes). DL mettent de l’avant certains mécanismes d’ajustement qui garantissent, à long terme, ce retour vers le taux normal. Ces mêmes mécanismes assurent le retour vers des prix de production et la légitimité des propositions classiques (g = rn.sp) Mais d’autres ajustements peuvent être proposés qui vont préserver l’endogénéité du taux d’utilisation, même en supposant u = un , et préserver, parfois, les paradoxes keynéso-kaleckiens(Lavoie 1996, Dutt 1997).
Modèle kaleckien et régimes d’accumulation En modifiant la fonction d’investissement des kaleckiens, en incorporant la part des profits (Bhaduri et Marglin) ou le taux de profit normal (Kurz), on peut identifier deux ou trois régimes d’accumulation différents, notamment le ‘profit squeeze’, semblables aux différents régimes précédemment mis de l’avant par les régulationnistes (Boyer 1988).
Des marges de profit endogènes On peut aussi intégrer à ces modèles l’idée que les marges de profit dépendent des taux d’utilisation (ou des taux de chômage), rendant ainsi ces marges endogènes. C’est la contribution notamment de D. Gordon (1994), avec sa courbe en cloche liant taux de profit normal et taux d’utilisation, qu’on retrouve aussi sous une forme similaire chez les régulationnistes Ceci enrichit le modèle et complique l’étude de la stabilité.
D’autres variantes La dépendance à l’égard du sentier, hystérésis (Lavoie 1996, Dutt 1997, Bruno 1999). La prise en compte du taux de chômage et d’un taux de croissance naturel (Stockhammer 2004) La loi de Verdoorn, la productivité (You 1994) L’inflation conflictuelle (Taylor 1990, Cassetti 2002) Le cadrisme (cf. DL 2003) Le rôle accru des actionnaires et son impact sur la répartition (cf Cordonnier 2006) La prise en compte de la classe des rentiers et des taux d’intérêt (Epstein 1994)
L’intégration du réel et du monétaire Thème (éculé) qui semble regrouper l’attention renouvelée de toutes les branches de l’hétérodoxie: Régulationnistes (Aglietta, Boyer, Plihon, Passet, Du Tertre), marxistes (Semmler, DL), sraffiens (Park 2002). Pour des raisons de cohérence théorique? Pour des raisons liées à l’importance qu’a prise le secteur financier? Quoi qu’il en soit les idées de Steindl et Minsky semblent être bien à la mode.
Le stock-flow consistent approach (SFC) Il existe aussi un intérêt renouvelé pour les travaux de Godley et Cripps (1983), qui s’efforçaient d’intégrer le réel et le monétaire, les stocks et les flux, les normes stock-flux, etc, et de proposer des mécanismes d’ajustement. Godley et Lavoie, Monetary Economics: An Integrated Approach to Credit, Money, Income, Production and Wealth, Palgrave/Macmillan, Décembre 2006. A la New School (Shaikh, Foley, Taylor) En France (Paris-Nord, Mazier; et ailleurs) Similarités avec OFCE (Creel, Sterdyniak, Villa)
Un cadre comptable cohérent (comme l’aurait voulu Denizet) Matrice des bilans Théorie du portefeuille Contrainte de richesse Contraintes d’addition Matrice des transactions (emplois, ressources) Flux des dépenses et revenus, incluant les paiements d’intérêt Flux d’acquisition des actifs (financiers) Contrainte de budget Intégration, bilan en t /transactions/ bilan en t+1
Le cadre cohérent contraint les résultats possibles Ce cadre comptable et les restrictions qu’imposent la cohérence stocks-flux “retirent plusieurs degrés de liberté aux configurations possibles des structures de paiement au niveau macroéconomique, rendant ainsi soluble la tâche de construire des théories permettant de ‘clore’ les relations comptables sous la forme de modèles complets”. (Taylor 2004)
Matrice des flux d’opération Ressources +, Emplois - Ménages Production Gouvt Banque centrale Somme Courant Capital Consomme - C + C Dépenses gouvtales + G - G Revenu=PIB + Y - Y Intérêts + r(-1).Bh(-1) - r(-1).B(-1) +r(-1).Bbc(-1) Profits de la banque centr. + Fbc - Fbc Taxes - T + T Changt monnaie - dH + dH Changt titres - dBh + dB - dBcb
Applications du cadre comptable Théorie pure Permet de mieux comprendre certaines propositions des circuitistes, et permet d’expliquer enfin la fermeture du circuit En économie ouverte Intégration de la thèse de la monnaie endogène Redécouverte de la thèse de la compensation de la Banque de France (Berger, Coulbois) avec taux de changes fixes En économie financière Permet d’intégrer adéquatement la question des actions en bourse
Conclusion Oui, les théories hétérodoxes ont de nombreux points en commun, tant en méthodologie, qu’en microéconomie, ou qu’en macroéconomie. Convergence actuelle de tous les courants hétérodoxes sur la nécessité d’intégrer les questions monétaires et réelles, en particulier les phénomènes boursiers et bancaires. Fenêtre d’opportunité, en ce sens que les procédures d’intervention des banques centrales sont actuellement beaucoup plus transparentes, et correspondent tout à fait aux théories de la monnaie et du crédit décrites par les théoriciens hétérodoxes (monnaie endogène, taux fixés explicitement par la banque centrale)