Envoyer, aujourd’hui, une lettre à New York ou à Beijing semble aussi simple que d’acheter une baguette de pain. Et si le courrier met quelques jours à parvenir à destination, on s’en étonne. Pourtant, la première livraison de courrier par voie aérienne ne date que de 1919 ! Contée par les plus grands écrivains, comme Saint-Exupéry ou Kessel, l’Aéropostale et ses fous volants sont restés dans les mémoires…
C’est Pierre-Georges Latécoère (1883-1943), un entrepreneur français dans l’aviation, qui créera la première ligne aérienne Toulouse-Casablanca en 1919. Il le fit malgré l’opposition du gouvernement espagnol peu enclin à laisser survoler son territoire.
En 1924, la ligne est prolongée jusqu'à Dakar et, cette fois, ce sont les tribus maures qui posent des difficultés. Elles capturent, en effet, les aviateurs contraints à un atterrissage forcé sur leurs territoires et ne les rendent que contre de fortes rançons. C’est en 1926 que Marcel Bouilloux-Lafont (1871-1944), banquier et homme d’affaires français, rachète à Pierre-Georges Latécoère la ligne postale Toulouse-Saint-Louis du Sénégal et lui donne le nom de Compagnie Générale Aéropostale plus connue sous le nom d' Aéropostale.
Pierre-Georges Latécoère fonde, en 1917, la Société industrielle d’aviation Latécoère à Toulouse. Les avions sont commandés par le gouvernement. Sitôt la fin de la guerre, il songe à prévoir l’avenir de ce moyen de locomotion. En Mai 1918, il reçoit la visite d’un de ses amis d’enfance, un officier aviateur : Beppo de Massimi. Ensemble, ils imaginent une ligne aérienne pour transporter le courrier, partant de Toulouse pour atteindre Dakar, soit 4.600 km. Mais Latécoère veut porter bien au-delà de l’Atlantique, en Amérique du sud.
Le 19 Mars 1919, Latécoère et Lemaitre partent pour Rabat Le 19 Mars 1919, Latécoère et Lemaitre partent pour Rabat. Ils y arrivent le 20 au matin apportant des violettes au Maréchal Lyautey. L’appui de ce dernier, convaincu de la valeur de l’entreprise, lui permet d’obtenir enfin l’aide gouvernementale. La ligne s’ouvre et l’industriel va développer la compagnie jusqu’en 1927. A cette époque, l’essor est ralenti , vers l’Amérique du sud, par la concurrence allemande et le laxisme politique. Lassé, Pierre-Georges Latécoère cède ses parts à Marcel-Bouilloux-Lafont, industriel français établi en Argentine. Les appareils Latécoère ont donné à la France 31 records du monde et bien sûr la majorité des avions utilisés par l’Aéropostale. En 1941, Pierre-Georges Latécoère vend ses usines à la Société des ateliers d’aviation Bréguet. Le 10 Août 1943, il s’éteint, son rêve devenu réalité.
Avions fabriqués par les usines Latécoère. Bréguet XIV Avions fabriqués par les usines Latécoère. Salmson 2a2
Les dernières franges du désert, parsemées de boqueteaux d’épineux chétifs, avant l’arrivée sur Saint-Louis de la ligne Agadir-Saint-Louis.
Le 1er Septembre 1919, Didier Daurat et Jean Dombray prennent les commandes d’un Bréguet XIV avec des sacs de lettres factices et un passager : le consul de France à Malaga. L’essai est réussi et la première ligne aéropostale voit le jour six mois plus tard. Le recrutement se fait parmi les pilotes de la dernière guerre mondiale : Beauté, Daurat, Delrieu, Dombray, Moraglia, Rodier, Vanier. Cette aventure ne se fait pas sans risques puisque 120 pilotes sont morts entre 1920 et 1933 (écrasés, brûlés vifs dans l’avion, disparus en mer, torturés dans le désert par des pillards…) ce qui représente un mort pour 100 km sur le trajet de Santiago de Chili. Ce sont de bien lourds sacrifices pour transporter du courrier et quelques passagers. L’envie d’aventure et de gloire, la satisfaction – à l’égal des marins – de maitriser, dans les éléments hostiles, des engins fragiles et capricieux, sont pour les pilotes des motivations bien plus importantes que l’argent. Pris dans le vertige de cette mystique, stimulés pas Daurat, Saint-Exupéry, Mermoz, Guillaumet et aussi de modestes agriculteurs qui ont un jour abandonné leur terre pour voler, n’auraient donné leur place, pour rien au monde.
A l’escale africaine, Saint-Exupéry et ses amis Dumesnil, Guillaumet et Reine.
Un Bréguet XIV s’est écrasé au sud de l’Espagne Un Bréguet XIV s’est écrasé au sud de l’Espagne. A ses débuts, la ligne connait une véritable hécatombe. Entre 1920 et 1921, onze pionniers trouvent la mort en vol, une trentaine d’avions sont sérieusement touchés.
Après avoir été chef « d’aéroplace » à Malaga, Didier Daurat (1891-1969) prend la direction de l’exploitation des lignes Latécoère à Toulouse dès le 1er Octobre 1920. Là, il va promouvoir plus qu’une ligne postale : il instaure un esprit. Ses pilotes n’ont qu’une consigne : « le courrier doit passer ». C’est lui qui développe l’Aéropostale en Amérique du Sud. A la mise en liquidation de la société en 1931, il reste aux commandes de l’exploitation en dépit de différends avec les nouveaux responsables. Le 27 juin 1932, il ne peut ouvrir son bureau, la serrure a été changée dans la nuit. Peu après, l’Aéropostale est absorbée par la future compagnie Air-France. En 1933, Didier Daurat crée Air-Bleu, compagnie spécialisée dans le courrier postal de nuit.
Après la seconde guerre mondiale, lorsqu’Air-France reconstruit ses lignes, c’est à lui qu’elle fait appel. Il garde ce poste jusqu’à la retraite, après « 40 ans d’aviation » comme il aime le dire. Celui qui engagea Mermoz et dont Saint-Exupéry écrivait qu’il avait fait de l’Aéropostale « une sorte de civilisation à part où les hommes se sentaient plus nobles qu’ailleurs », décède le 2 février 1969. Il est inhumé sur l’aérodrome de Toulouse-Montaudran, berceau d’une légende, sa ligne.
Un Bréguet XIV piloté par Rozès décharge son courrier sous le contrôle des gabelous espagnols.
Il existe une route mythique : Toulouse-Santiago du Chili soit plus de 13 000 km et des dizaines d’heures de vol, une quinzaine d’escales. A la grande époque de l’Aéropostale, le courrier voyageait par étapes, transbordé d’avion en avion au fil des escales. Inlassablement, pilotes, mécanos et radios prenaient le relais pour l’acheminer dans les meilleurs délais. L’horaire était implacable. Dès 1930, après la première traversée commerciale inaugurée par Mermoz, le courrier traverse l’océan à bord d’hydravions. Parvenu en Amérique, il poursuit sa route à bord d’avions terrestres. Une lettre partie de Toulouse arrivait 4 à 5 jours plus tard (cent neuf heures exactement en 1930) à Santiago du Chili. Une gageure !
En attente de dépannage dans le désert. Ci-dessus, un ravitaillement de fortune. Ci-contre, à droite, un méhari sert d’échelle pour atteindre et dépanner le moteur d’avion.
En Octobre 1998, le Catalina, avion amphibie capable de se poser aussi bien sur la terre ferme que sur l’eau, relève le défi. Patrick Baudry et son équipage s’apprêtent à parcourir la voie Mermoz à bord d’un seul et même avion sur toute la longueur du parcours. Le 29 Octobre 1998, l’impossible est accompli : 66 heures de vol en tout, pour rallier Toulouse à Santiago. Bravant les sables, l’océan et la Cordillère , la « Princesse des étoiles » a tenu ses promesses.
Le Catalina, l’avion à bord duquel, Patrick Baudry et son équipage refit le périple de Mermoz et du Courrier du Sud, en Octobre 1998.
Les contours du port de Malaga, dernière étape du Catalina dans le défi Mermoz relevé par Patrick Baudry.
Ci-dessus, Dabry, Mermoz et Gimié. Embarquement du courrier pour Buenos-Aires. Ci-dessus, Dabry, Mermoz et Gimié.
Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) après des études un peu laborieuses et un échec à l’Ecole navale, est affecté en 1921 à Strasbourg au 2ème régiment d’aviation. C’est en prenant des leçons de pilotage avec un instructeur civil qu’il acquiert les bases du métier. Il est transféré à Rabat, au Maroc, et passe son brevet de pilote civil. Il est muté à l’école de pilotage militaire d’Istres et, en 1922, il est affecté au Bourget. Après sa démobilisation, il veut poursuivre dans cette voie et entre comme pilote remplaçant dans la « compagnie aérienne française » pour effectuer des vols à la demande, des photos aériennes et des contrats publicitaires.
En 1929, il rejoint Mermoz et Guillaumet en Argentine . En 1926, Saint-Exupéry est embauché par Didier Daurat. En 1929, il rejoint Mermoz et Guillaumet en Argentine . Saint-Ex, nommé directeur d’exploitation de l’Aéroposta Argentina, filiale de l’Aéropostale, suit la voie tracée par ses deux amis. Il gère les équipages et achemine le courrier à travers l’Amérique du sud. En Juin 1930, il participe activement au sauvetage de Guillaumet dans les Andes. Saint-Exupéry défriche la route vers la Patagonie tout en écrivant ‘Vol de nuit’, un livre dédié à Daurat. C’est l’époque où Mermoz impose les vols de nuit en Amérique du sud. Les délais d’acheminement ne cessent de diminuer. En 1931, ‘Vol de nuit’ reçoit le prix Fémina. Le pilote est sacré écrivain.
Antoine de Saint-Exupéry laisse le souvenir d’un grand aviateur parfois distrait, oubliant tantôt de rentrer son train d’atterrissage, tantôt de brancher ses instruments de bord, se perdant dans l’immensité du ciel. Le surnom de « Pique la Lune » lui est ainsi resté, non seulement en raison de son nez en trompette mais aussi d’une tendance certaine à se replier dans son monde intérieur. C’est au cours d’une mission de cartographie à bord d’un P-38 Lightning, le 31 Juillet 1944, que disparaitra Saint-Ex au large des côtes de Provence. En 1998, un pêcheur remonte sa gourmette dans son chalut. En 2000, l’épave de l’avion est repérée et elle sera remontée en 2003.
Ci-contre, Saint-Ex, à droite de la photo et Prévôt au Bourget. A gauche, le dernier décollage de Saint-Exupéry à bord de son Lightning. Ci-contre, Saint-Ex, à droite de la photo et Prévôt au Bourget.
Des affiches de Philippe Mitschké montrant Saint-Ex à l’escale de Juby, dans le Sahara marocain. L’écrivain pilote avait adopté les coutumes locales.
Jean Mermoz (1902-1936), surnommé l’Archange ou le Grand, fait ses classes à Istres. Il est breveté pilote de guerre le 8 février 1921. Il se porte volontaire pour le Levant et prend son premier contact avec le désert. Ce sont les premières pannes aussi : en 1922, après un atterrissage forcé, il marche 4 jours , mourant de soif et de faim, il est sauvé in extremis. De retour en France, il retrouve la vie de caserne. A Thionville il fait la connaissance de Guillaumet, ami fidèle au-delà de la mort. En 1924, libéré des obligations militaires, il intègre la Compagnie Latécoère mais après une démonstration de voltige, il est affecté aux ateliers, Daurat n’appréciant pas les têtes brûlées.
Comme les autres, il apprend le métier les mains dans les moteurs. Il rejoint rapidement le groupe des pilotes, traversant le désert sans relâche. En 1925, il totalise 800 heures de vol et 120 000 km. En Octobre 1927, à la demande de Daurat, il effectue une première : Toulouse-Saint-Louis de Sénégal sans escale. Un mois plus tard, Mermoz s’installe à Buenos Aires, où des responsabilités l’attendent : il faut lancer la ligne reliant le Brésil à l’Argentine. Cependant il continue à voler. Il s’adjoint un mécanicien : Alexandre Collenot et ensemble ils affrontent la terrible Cordillère des Andes. Par deux fois, ils en réchappent. Cet excellent mécanicien trouvera la mort en février 1936, lors d’une traversée de l’atlantique. Mermoz en sera terriblement affecté.
Le Couzinet 70, piloté par Jean Mermoz, ce trimoteur a traversé l'Atlantique Sud en janvier 1933.
Mermoz et Régnier en Février 1932.
La Croix du Sud En mai 1930, Mermoz lance un nouveau défi au ciel : la 1ère traversée de l’Atlantique sud mais pour respecter les instructions officielles interdisant de survoler l’océan, le Laté 28 est équipé de 2 flotteurs remplaçant les roues et cela fait un mauvais bateau et un avion de fortune. Trois ans plus tard, le pilote rencontre l’ingénieur Couzinet qui construit un trimoteur révolutionnaire.
Mermoz fait une traversée triomphale mais les Autorités continuent à imposer les hydravions sur l’océan. Ils sont trop lourds pour être de bons avions et de piètre secours en cas d’amerrissage forcé. Le 7 Décembre 1936, ‘la Croix du Sud’ décolle de Dakar pour Natal mais revint deux heures plus tard pour remédier à une avarie. Il redécolle à 6h53, à 10h40, son radio, Edgar Cruveilher donne sa position. Sept minutes plus tard, la radio de Dakar capte : « Coupons moteur arrière droit ». Suit un terrible silence … ‘La Croix du Sud’ vient de disparaître, Mermoz aurait eu 35 ans le surlendemain.
au centre, Mermoz et l’ingénieur Couzinet.
Picard et Reine recueillis par une famille de nomades non loin du fortin de Cap Juby.
Henri Guillaumet (1902-1940) obtient son brevet de pilote en Octobre 1921. Il s’engage dans l’armée de l’air afin de poursuivre son rêve. Après sa formation à Istres, il s’envole pour Thionville. Il est affecté à la 8e escadre de chasse et se fait remarquer par ses qualités de pilote. A la caserne, il se lie d’amitié avec Jean Mermoz qui revient du Levant. Le 1er janvier 1926, Guillaumet quitte l’armée de terre et postule chez Latécoère. Le 16 février, il rejoint Mermoz au sein de la ligne. Comme tous les autres pilotes, il passe par les ateliers. Il effectue ses premiers vols sur le trajet Toulouse-Barcelone-Alicante. Il évolue très vite. Daurat l’affecte avec Mermoz au courrier Casablanca-Dakar. Au cap Juby, il fait la connaissance de Saint-Exupéry alors chef d’escale.
Une amitié extraordinaire nait entre ces deux hommes d’exception. En 1929, Guillaumet rejoint Mermoz en Amérique du sud, on lui confie la partie la plus dangereuse de la ligne : la Cordillère des Andes. Il pilote un Potez 25. Il assure la liaison Mendoza-Santiago 393 fois. Les conditions de vol sont terribles : au froid et aux vents violents s’ajoute le manque d’oxygène en altitude. Après son exploit de 1930, il est surnommé « l’Ange de la Cordillère ». Quatre jours et quatre nuits, il marche dans la glace et la neige pour regagner la vallée. Vingt jours plus tard, il reprend la route du ciel sur les Andes. Le 25 Septembre 1930, Guillaumet découvre l’Atlantique sud à bord de l’Arc-en-ciel.
l’ Arc-en-ciel construit par Couzinet et avec lequel Mermoz établit un nouveau record au-dessus de l’Atlantique.
Un Potez 25 au-dessus de la Cordillère des Andes, barrière de monts meurtriers. En médaillon, Guillaumet.
Depuis 1933, année ou l’Aéropostale est absorbée par la toute nouvelle compagnie Air-France, Guillaumet vole sous les couleurs de l’Hippocampe ailé. La régularité des liaisons Afrique-Amérique étant toujours la priorité de la ligne, il survole l’Atlantique avec la régularité d’un métronome que même la disparition de Mermoz en 1936 n’entamera pas. A bord d’un nouvel hydravion , le ‘Lieutenant de Vaisseau Paris’, le pilote établit 3 records internationaux Le 27 Novembre 1940 alors qu’il convoie le haut-commissaire de France au Levant, Jean Chiappe, vers le Liban, il disparaît en méditerranée, abattu par les forces ennemies. C’est ainsi que, comme Mermoz et Saint-Exupéry, ses grands amis, la mer aura eu raison de Guillaumet.
Saint-Exupéry et Guillaumet devant un Laté 28, en 1930.
Arrivée à Buenos Aires de la première liaison totalement aérienne entre Toulouse et Santiago du Chili. Sur cette photo, on voit Reine, Guillaumet, Barrière, Padilla et Bernis.
et tous ceux qui ont donné leur vie ce diaporama est un hommage à l’Aéropostale et à ses pionniers qui ont payé un lourd tribut Mermoz, Saint-Ex, Guillaumet et tous ceux qui ont donné leur vie pour rester fidèle à la devise de Daurat : « le courrier doit passer » . Auraient-ils donné leur vie pour rien ? Certainement pas: leur courage et leur détermination ont ouvert les portes aux lignes d’aviation qui nous transportent aujourd’hui d’un continent à un autre. En outre, ces hommes ont soulevé l’enthousiasme de toute une génération en offrant également à la France des records internationaux. Ils restent et resteront les figures de légende qui ont conquis le ciel.