Les leçons des catastrophes

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Transcription de la présentation:

Les leçons des catastrophes Comment éviter les accidents sériels ou limiter leurs conséquences Françoise LALANDE

Les accidents graves ne sont pas une fatalité Les accidents sériels ont tous un point commun : il n’y a pas de cause unique, plusieurs facteurs interviennent à un niveau ou un autre Face à chaque facteur (organisation, formation, fonctionnement, moyens, procédures, traçabilité, facteur humain…) des marges de manœuvre peuvent changer le résultat final L’auteur final de l’erreur mortelle n’est que le dernier maillon de la chaîne

Quelques accidents sériels dans lesquels on retrouve ces multiples facteurs étiologiques Accidents de radiothérapie (Epinal, Toulouse) Accidents liés à des erreurs d’injection (SVP, Marseille, Le Havre (2 décès simultanés), Ecully, ETS Lyon…) Défauts de surveillance dans des hôpitaux psychiatriques (Alpes maritimes, Bouches-du-Rhône, Isère, Oise, Pyrénées atlantiques, Somme, Val de Marne …)

Les points communs Ces accidents présentent des facteurs étiologiques similaires Mais leurs conséquences varient selon l’importance des erreurs ou des bonnes réactions à chaque étape Les gestionnaires ont souvent la volonté de rassurer et de minimiser les problèmes, ce qui se révèle contre productif Le retour d’expérience est rare ou insuffisant. Le débriefing difficile et le plus souvent non fait.

Causes de l’accident d’Epinal le plus sévère Erreur de paramétrage d’un logiciel calculant la dose d’irradiation. 25 malades très gravement irradiés et 5 morts rapides Un établissement à risques, un mode de fonctionnement refusant toute adaptation une gouvernance problématique une activité libérale incontrôlée Une décision non préparée - en l’absence du chef de service et sans réflexion collégiale Un personnel isolé qui ne dispose pas de points de comparaison Absence de formation des manipulateurs à leur nouvelle tâche Une absence d’assurance qualité absence de traçabilité et de procédures écrites levée des lignes de défense (dosimétrie in vivo)

Après l’accident : une gestion locale catastrophique Le signalement de l’accident : incomplet, tardif, il ne s’adresse pas aux « bonnes » autorités, la réunion d’information ne donne lieu à aucun compte rendu et sa conclusion est interprétée différemment. L’information des malades très tardive, elle est inexacte, voire mensongère… beaucoup de victimes apprennent l’accident par un tiers les familles de décédés (5 décès) ne sont pas contactées Le suivi médical. beaucoup de victimes n’en bénéficient pas. Les malades ne s’étant pas manifesté sont considérés (à tort) comme bien portants livrées à elles mêmes, elles subissent des actes contre indiqués. Les autres suivis inexistants. Le nom de l’assurance est donné pour solde de tout compte Le rôle des entourages : très fâcheux dans ce cas là, il peut aggraver la chose ou au contraire limiter les dégâts

L es causes et le contexte de l’accident de Toulouse au cours de l’installation du collimateur multilames, emploi d’une sonde de mesure inadaptée pour configurer le logiciel de dosimétrie. 145 malades surdosés La mise en place précipitée d’une technique délicate Une sous-estimation des difficultés Une mauvaise compréhension du partage des tâches Une activité multi disciplinaire dans laquelle les responsables d’une seule discipline domine de façon écrasante Un radiophysicien isolé inexpérimenté en radiothérapie des délais irréalistes Un pôle de neurosciences renommé, mais aucune expérience en radiothérapie, contrairement au CLCC voisin (querelle ancienne) un appel d’offres , sans véritable discussion technique avec le fabricant sur les prestations fournies

A titre de comparaison CHU de Toulouse CLCC de Nantes 1 seul radiophysicien, non dédié à la radiothérapie Sans expérience en radiothérapie Aucune expérience pratique de la technique de radiochirurgie stéréotaxique Mise en place sur quelques semaines Une confiance totale faite au constructeur pour le contrôle 6 radiophysiciens dont 5 dédiés à la radiothérapie Plus de 30 ans d’expérience en radiothérapie pour certains Expérience (11 ans) de la radiochirurgie stéréotaxique Mise en place sur plusieurs mois La volonté d’être indépendant du fabricant pour tout ce qui est contrôle 8

Après l’accident : une gestion par l’hôpital imparfaite Le signalement de l’accident : immédiat, aux « bonnes » autorités, mais optimiste Les autorités réagissent aussitôt L’information des malades tardive, incomplète, minorant les risques de façon caricaturale beaucoup de victimes apprennent l’accident par un tiers les familles de décédés ne sont pas contactées Le suivi médical organisé par les chirurgiens, complet sur le plan neurologique, mais pas sur les autres plans, parfois tardif Les autres suivis faibles et incomplets

Les similitudes entre les deux accidents : en amont une trop grande confiance de l’équipe en elle-même un déficit d’assurance qualité un radiophysicien isolé des délais de mise en œuvre trop courts 10

Les similitudes entre les deux accidents : en aval Epinal 1 Toulouse Signalement aux autorités compétentes 1 mois de retard, pas à l’ASN ni à l’AFSSAPS, pas les bons chiffres, optimiste Immédiat optimiste Information des victimes - écrite -orale -Très retardée, très partielle -Inexacte, voire volontairement fausse dans certains cas -absente , juste convocation -Rapide pour certains Retardée pour d’autres Suivi médical organisé Pas organisé, dossiers « nettoyés » Bien organisé, mais parfois tardif Suivi psychologique, social, économique, juridique 11

L es accidents mortels d’injection L’injection ou la perfusion à une personne d’un produit inadapté qui va causer sa mort Des conditionnements et des étiquetages permettant la confusion et non corrigés des erreurs ou des anomalies de stockage un circuit souvent défectueux (amont, aval), des responsabilités mal définies des EIG antérieurs mal déclarés, un retour d’information insuffisant Des procédures imparfaites, souvent orales, des manques de traçabilité Un personnel insuffisamment formé (jeune, intérimaire, non formé aux procédures qualité, ou n’en comprenant pas l’intérêt) Un entourage qui cherche à « couvrir » et de ce fait brouille l’information Facteur humain, facteur formation : pas suffisamment d’assurance qualité, pas suffisamment d’expérience, mauvaise connaissance du contexte

Les problèmes de sécurité liés aux malades mentaux Malades mentaux auteurs fugues, agressions graves y compris sexuelles sur autres malades, personnels, proches et tiers Malades mentaux victimes agressions (autres malades, maltraitance) chutes, brûlures graves, suicides Dans tous les cas : des interrogations sur le mode de surveillance et le suivi

Les défauts graves de surveillance dans les hôpitaux psychiatriques des locaux et une architecture inadaptés Sortie mal surveillée, structures « fermées » dont il est facile de sortir une organisation intra hospitalière inadaptée Mélange de sujets fragiles et de malades dangereux au sein de la même unité sectorielle, manque d’occupation, rôle néfaste du tabac et des trafics, abus des chambres d’isolement Des personnels peu présents RTT favorables, absentéisme, intérim en hausse, doubles emplois Présence médicale souvent insuffisante Une culture de la qualité qui reste à acquérir Dossiers médicaux médiocres, absence de procédures, non respect des bonnes pratiques quand elles existent sous déclaration des EIG, absence de suites Des traitements insuffisamment surveillés rupture thérapeutique, effets secondaires des neuroleptiques

Recommandations pour limiter les accidents ou leurs conséquences En amont : disposer d’un système d’assurance qualité, si possible certifié ou accrédité, de contrôles de qualité internes et externes, d’inspections indépendantes Signaler les EIG En aval : - un plan accident sériel interne - pour signaler, informer, suivre et coordonner

Les obligations légales ou règlementaires après un accident Le signalement aux autorités compétentes : art. 1333-1, L.1413-14, L.5212-2 du CSO L’information écrite aux victimes de l’accident : (art. L.1142-4 du CSP) dans les quinze jours L’assistance aux personnes en danger : donc le suivi des victimes (sanction : art. 223-6 du CP) La non mise en danger de la vie d’autrui Sanctionné notamment par art. L.121-1, 221-6, 222-19 du CP…

Le signalement aux autorités signaler immédiatement par écrit l’accident bien identifier la ou les autorités compétentes préciser les causes et les circonstances être prudent sur le pronostic : sans être exagérément pessimiste, éviter de minorer

L’information aux malades Information écrite sur les causes et les circonstances de l’accident dans les 15 jours après la découverte de celui-ci à chaque victime potentielle Information orale préalable complémentaire souhaitable Fautes à éviter oublier les familles des décédés minorer les faits et les conséquences Que le chef de service se tienne à l’écart, sous prétexte que ce n’est pas lui qui a fait l’erreur

Le suivi médical des victimes faire un planning de reconvocations (au besoin, utiliser d’autres médecins que ceux du service en cause) écrire la procédure de suivi nécessaire (examens complémentaires, consultations spécialisées…) décrire le rythme de rééxamen Envisager les indicateurs de suivi Charger un médecin extérieur à l’accident de la coordination du suivi Elaborer des tableaux de bord de suivi régulier 19

Le suivi non médical des victimes Suivi psychologique Suivi écomique (assistante sociale) pour permettre aux victimes et à leurs familles de trouver des aides éventuelles, Suivi social: pour trouver des solutions aux dépenses non prises en charge Suivi juridique : suivi des plaintes, des transactions… 20

La judiciarisation est plus un mythe qu’une réalité Les chiffres responsabilité civile 2004/2005 - 2010 déclarations sinistres MACSF (Sou médical) pour 115 914 sociétaires sur les 204 400 professionnels de santé (58 % des professionnels français) 4300 sinistres pour la SHAM (1500 en 1995, 2000 en 2000) majorité des hôpitaux 5200 recours devant le TGI (1100 environ en 1990) fond et référé 2492 recours contre juridictions administratives Dans le même temps 7 millions interventions chirurgicales et env 700.000 accouchements et des centaines de millions d’actes médicaux… Certes une mise en cause judiciaire fait peur aux gens consciencieux et honnêtes Mais extrêmement peu de condamnations pénales

Pour éviter ou limiter la judiciarisation ou ses effets Bonne foi et transparence Informations claires Respect des bonnes pratiques Formation

Le signalement d’un EIG empêche sa répétition sur un mode plus sévère Si l’on analyse un accident grave, on trouve souvent des antécédents analogues moins graves, qui n’ont pas été déclarés Si l’on avait signalé ces EIG antérieurs, on aurait vu que le drame qui les a suivis était plus systémique qu’on ne le pensait, et que la responsabilité du dernier auteur était moindre