Epidémiologie, prévention et dépistage DU de Carcinologie Clinique 16 novembre 2012 Catherine Hill Institut Gustave Roussy hill@igr.fr
Epidémiologie Étude de la fréquence des maladies dans les populations (nombre de cas, nombre de morts) Étude des variations de cette fréquence en fonction de divers facteurs : environnement, mode de vie, facteurs génétiques … 3
Le cancer en France 370 000 cas de nouveaux cancers par an, estimation pour 2011 (Source : Institut de Veille Sanitaire) 152 000 décès par cancer observés en 2010 (Source : Centre Epidémiologique sur les causes de décès) 3
Avantages et inconvénients de ces indicateurs Incidence Estimée, dépend de la méthode d’estimation, existe depuis 1980 Dépend des pratiques diagnostiques, donc sensible au surdiagnostic Sensible aux modifications d’exposition (THM et sein) Indépendant des traitements Mortalité Observée, existe depuis 1950 Moins dépendante des pratiques diagnostiques, inchangée en cas de surdiagnostic Dépend de l’incidence actuelle et passée Dépend de l’efficacité des traitements
Comparer les nombres est une erreur Exemple : En 1968, 106 000 décès En 2010, 152 000 décès, soit + 44% de décès Mais la population a augmenté de 26%, passant de 50 à 63 millions et elle a aussi vieilli. 3
Entre 1968 et 2010 On peut calculer le nombre de décès par cancer attendu en 2010 si la population de 2010 mourrait de cancer comme en 1968. Il suffit de multiplier les effectifs de 2010 par le risque de décès par cancer en 1968. On peut aussi faire l’inverse : mortalité en 1968 aux risques de 2010. 3
Entre 1968 et 2010 Avec la mortalité de 1968, on attend 193 000 décès par cancer en 2010. La mortalité en 2010 a donc diminué de 21% =(193 000-152000)/193000 par rapport à ce nombre attendu. Avec la mortalité de 2010, on aurait 80 000 décès par cancer en 1968, au lieu des 106 000 observés. Les progrès sont très nets. 3
L’incidence augmente chez les hommes et chez les femmes alors que la mortalité diminue de 1,7% par an depuis 1991 chez l’homme et de 0,8% par an depuis 1993 et 0,6% par an entre 1963 et 1993 chez la femme
92% de l’augmentation = cancer de la prostate 55% de l’augmentation = cancer du sein 12% de l’augmentation = cancer du poumon
La mortalité par cancer diminue de 1,6% par an depuis 1991 chez l’homme de 0,8% par an depuis 1993, et de 0,6% par an de 1963 à 1993 chez la femme
La mortalité diminue Le cancer est devenu la première cause de décès devant les maladies cardiovasculaires en 1988 chez l'homme, et en 2002 chez la femme, essentiellement parce que la mortalité par maladie cardiovasculaire diminue plus fortement que la mortalité par cancer 3
Nouveaux cas de cancer chez l'homme, estimations 2011 Prostate 71 000 34% Poumon 27 500 13% Colon-rectum 21 500 10% Bouche, pharynx, larynx 10 300 5% Vessie 9 100 4% Rein 7 400 4% Lymphome non Hodgkin 6 400 3% Foie 6 400 3% Mélanome 4 700 2% Total 207 000 100% 12
Nombre de décès par cancer chez l'homme, en 2010 Poumon 22 200 25% Colon-rectum 9 100 10% Prostate 9 000 10% Foie 5 800 7% Pancréas 4 700 5% Bouche, pharynx, larynx 4 400 5% Vessie 3 900 Œsophage 3 100 Leucémies 3 000 Total 89 200 100% 21
À 30 ans, 30% et à 80 ans, 80% des hommes ont un cancer dans leur prostate (études d’autopsies) La plupart ne deviennent jamais symptomatiques Le dosage du PSA est largement répandu, mais l’efficacité du dépistage est discutée Les traitements sont très invalidants: Prostatectomie, selon l’expérience du chirurgien : 3% à 74% des patients sont incontinents, et 30% à 90% impuissants. Radiothérapie conformationnelle : 40% à 60% des patients sont impuissants
Nouveaux cas de cancer chez la femme, estimations 2011 Sein 53 000 33% Colon-rectum 19 000 12% Poumon 12 000 8% Corps utérin 6 800 4% Lymphome non Hodgkin 5 300 3% Mélanome 5 100 3% Thyroïde 5 000 3% Ovaire 4 600 3% Pancréas 4 600 3% Total 159 000 100% 13
Nombre de décès par cancer chez la femme, en 2010 Sein 11 800 19% Colon-rectum 7 900 12% Poumon 7 400 12% Pancréas 4 500 7% Ovaire 3 500 6% Leucémies 2 500 Foie 2 200 Lymphome non Hodgkin 2 000 Estomac 1 600 Total 63 000 100% 22
La mortalité par cancer diminue Les différentes localisations de cancer ont des évolutions différentes : la plupart diminuent, quelques unes augmentent 3
Baisse observée dans les années récentes pour 7 des 8 localisations Hausse pour le cancer du pancréas L’ensemble de ces localisations représente 73% des ~ 90 000 décès par cancer chez l’homme en 2010 + 0.3% - 4% - 1% - 2% - 3%
Localisations de cancer dont la mortalité augmente Hommes Décès en 2010 Variation annuelle depuis Hausse depuis Pancréas 4 700 0,3% 1976 1952 Myélome multiple* 1 500 1% 1975 Peau 1 400 1,7% 1992 8% des décès par cancer * Baisse chez la femme
Baisse observée dans les années récentes pour 7 de ces 9 localisations : sauf Poumon et Pancréas L’ensemble de ces localisations représente 70% des ~ 63 000 décès par cancer chez la femme en 2010 -1% + 4% -2% -2% +1% -1% -1% -1% -3%
Localisations de cancer dont la mortalité augmente Femmes Décès en 2010 Variation annuelle depuis Hausse depuis Poumon * 7 400 4% 1984 1970 Pancréas 4 500 1% 1989 1977 Foie *, ** 2 200 1986 Peau 1 100 1985 24% des décès par cancer * Baisse chez l’homme ** Données peu fiables car confusion entre cancer du foie et métastases hépatiques
Baisse de 2,9% par an depuis 1988 chez les garçons Baisse de 3,0% par an depuis 1979 chez les filles
Ce que nous savons des causes du cancer en France est résumé dans :
Objectif Évaluer le nombre de cas et le nombre de décès par cancer attribuables aux expositions certainement cancérogènes en l’an 2000, en France
Méthodes Ces nombres sont estimés à partir du calcul de la fraction attribuable qui est la proportion (%) des cancers attribuable à l’exposition à un facteur de risque
La prévalence de l’exposition au cancérogène en France P et 1 Risque relatif : RR chez les exposés, 1 chez les autres RR P 1- P La Fraction Attribuable (FA) est la proportion d’un cancer que l’on peut attribuer à une exposition cancérogène donnée. Les fractions attribuables ont été estimées en général à partir de : La prévalence de l’exposition au cancérogène en France P et Le risque relatif de cancer RR chez les sujets exposés à ce cancérogène par rapport aux sujets non exposés (facteur de multiplication du risque) Prévalence de l'exposition P Fraction attribuable :
Facteurs de risques étudiés Tabac Alcool Infections Facteurs professionnels Surpoids, obésité Inactivité physique Hormones (Traitement ménopause, Contraceptifs oraux) Rayons ultraviolet Facteurs reproductifs Certains polluants (tabac passif, amiante résidentielle)
Causes connues de cancers Le Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC), qui dépend de l'OMS, classe les substances ou expositions en : - certainement cancérogènes pour l'homme - probablement " " " - possiblement " " " - inclassable - probablement non cancérogène pour l'homme Liste à jour sur www.iarc.fr
Estimation des risques de cancer en prenant dans l’ordre : Méta-analyses publiées les plus récentes Méta-analyses ad hoc réalisées par le CIRC pour les besoins de ce travail Risques relatifs dérivés de grandes études de cohorte Risques relatifs dérivés d’études cas-témoin
Données sur l’exposition aux facteurs de risque en France Recherche systématique des données disponibles pour la France, publiées ou non, et ensuite sélection d’une source de données, en prenant dans l’ordre : Enquête sur échantillon représentatif de la population française Enquête sur un échantillon de la population française dont la représentativité est incertaine Population d’une étude de cohorte Sujets témoins des études cas-témoin
Exposition aux facteurs de risque combien d’années avant 2000 ? Pour tous les facteurs de risque, exposition en 1985, ou autour de 1985 SAUF pour: Traitement de la ménopause et contraceptifs oraux: usage actuel Facteurs reproductifs: différence entre année 1980 et 2000 Rayons ultraviolets: comparaison avec population non affectée par les rayons UV
Résultats
Mortalité par cancer Cause Fraction attribuable Tabac 24% Alcool 7% Infections (HPV,HBV, Helicobacter, EBV)* 4% Expositions professionnelles 2% Obésité et surpoids 2% Inactivité physique 2% Traitement ménopause (& pilule) 1% Rayonnement ultra-violet 1% Caractéristiques vie reproductive 0,4% Polluants 0,2% . Total 35% * Human Papilloma Virus (HPV), Hepatitis B Virus (HBV) Virus d’Epstein Barr (EBV) 60
Mortalité par cancer Cause Fraction attribuable Tabac 24% Alcool 7% Infection 4% Expositions professionnelles 2% Obésité et surpoids 2% Inactivité physique 2% Traitement ménopause & pilule 1% Rayonnement ultra-violet 1% Caractéristiques vie reproductive 0,4% Polluants 0,2% Total 35% *Les fractions attribuables ne s’additionnent pas 28% * 60
Trois succès de la prévention Cause Fraction attribuable Tabac 24% Alcool 7% Infection 4% Expositions professionnelles 2% Obésité et surpoids 2% Inactivité physique 2% Traitement ménopause & pilule 1% Rayonnement ultra-violet 1% Caractéristiques vie reproductive 0,4% Polluants 0,2% Total 35% 60
1/ Le tabac
Mortalité liée au tabac (2000) * Représente 80% des cancers du poumon ** Représente 60% des cancers de la tête et du cou
Fraction attribuable au tabac
Tabac - Mortalité
Arrêter de fumer vaut énormément la peine Risque de cancer du poumon en plus, par rapport à un non fumeur proportionnel à : dose x durée4,5 Dose double risque double Durée double risque x 20 61
Source: Doll. BMJ 2004, 34 000 médecins En moyenne les fumeurs meurent 10 ans plus tôt que les non fumeurs. Source: Doll. BMJ 2004, 34 000 médecins
Mortalité de 1,2 millions d’anglaises suivies 12 ans Survie (%) En moyenne les fumeuses meurent 11 ans plus tôt que les non fumeuses Source: Pirie et al. Lancet 2012, 1,2 millions de femmes
En arrêtant à 30 ans, le gain en espérance de vie est de 10 ans
En arrêtant à 40 ans, le gain en espérance de vie est de 7 ans
En arrêtant à 50 ans, le gain en espérance de vie est de 4 ans
En arrêtant à 60 ans, le gain d’espérance de vie est encore de 1 an
Mortalité par cancer du poumon
La mortalité par cancer du poumon diminue depuis 1996 chez les hommes de 40 ans, la baisse est de 6% par an a augmenté de 10% par an chez les femmes de 40 ans entre 1984 et 1998 et est à peu près stable depuis
La mortalité par cancer du poumon tous âges chez les femmes va dépasser la mortalité par cancer du sein en 2013 ou 2014 Une catastrophe annoncée depuis longtemps !
2/ L’alcool
Alcool Effet de la dose Pas d'effet du type de boisson 67
Alcool – Mortalité en 2000 * Représente 56% des cancers de la tête et du cou
Alcool – Mortalité en 2000
Dans la population Hommes Maximum entre 1920 et 1940 : 11 verres d’alcool par jour Depuis 2000 : moins de 5 verres d’alcool par jour Femmes Maximum entre 1900 et 1940 : 3 verres d’alcool par jour Depuis 2000 : moins de 1,5 verres d’alcool par jour
3/ Le Traitement Hormonal de la ménopause (THM)
Mortalité par cancer chez les femmes en 2000 due au traitement de la ménopause et à la pilule
Autre facteur de risque de cancer : caractéristiques de la vie reproductive
Facteurs de risque connus Cancer du sein Nulliparité Age élevé au premier enfant Petit nombre d’enfants Pas ou peu d’allaitement Cancer de l’ovaire Pas ou peu d’enfants
Prévalence des facteurs de risque de cancer en 2000 et scénario alternatif
Impact des changements dans les facteurs reproductifs entre 1980 et 2000 sur le cancer du sein Le facteur reproductif de loin le plus influent est l’âge au premier enfant : l’augmentation de la proportion des femmes ayant un premier enfant à 30 ans ou après, passée de 25% à 41% entraîne près de 700 cancers du sein La diminution de la fréquence de la nulliparité et l’augmentation de la durée de l’allaitement tempèrent un peu les effets de ce facteur
Expositions soupçonnées d’être cancérogènes pour l'homme Alimentation Pollution Pollution de l’air Chloration de l’eau Pesticides Champs électromagnétiques
Alimentation En 25 ans, les enquêtes prospectives ont montré peu de lien entre consommation de graisse et risque de cancer Pas de preuve que la consommation de graisse modifie le risque de cancer colorectal L’absence de lien entre consommation de fibre et risque de cancer colorectal est établie (Michels et al, 2005) Une consommation élevée de lait et calcium est associée avec un risque diminué de cancer colorectal (Cho et al, 2004). Probable que la consommation de viande en conserve et de viande rouge augmente le risque de cancer colorectal (Norats et al, 2005).
Alimentation (suite) Peu d’effet à attendre d'un changement de consommation de fruits et légumes (Boffetta et al. JNCI 2010) : Etude de 500 000 européens suivis 9 ans en moyenne Consommation moyenne en France (femmes) : 400 g/jour En supposant que la consommation de fruits et légumes augmente de 150g/jour, on éviterait 2,6% et 2,3% des cancers chez les hommes et les femmes respectivement
Pollution environnementale Expositions soupçonnées d'être cancérogènes : Pollution de l'air extérieur Produits dérivés de la chloration de l'eau Habitation à proximité d'une source de pollution Pesticides Dioxines Champs électromagnétiques
Méta-analyse cumulée des publications sur l’exposition au DDE (produit de dégradation du DDT) et risque de cancer du sein en fonction de l’année de publication du dernier article pris en compte. Source : Autier et al. Attributable causes of cancer in France. Lyon: IARC 2007, p.102.
Idées reçues sans aucun fondement Le stress augmente le risque de cancer : les études rigoureuses montrent qu’il n’y a aucun lien (mais le cancer est cause de stress +++) Manger bio réduit le risque de cancer La consommation de suppléments vitaminiques réduit le risque de cancer (cela pourrait augmenter le risque)
Conclusion La prévention du cancer est possible, à condition d’agir sur des causes importantes Prévenir le cancer en agissant sur des facteurs qui ont peu ou pas d’effet sur le risque brouille les messages et contribue donc indirectement à l’augmentation du risque
L’info médicale aléatoire du jour Source: New England Journal du charabia générateur d’angoisse peuvent causer Selon un article paru aujourd’hui JT Jim Borgman , Cincinnati enquirer