Sculpture: Le Bernin (1598-1680) Le baroque en Italie Sculpture: Le Bernin (1598-1680)
Le Baroque Le terme « Baroque » a été employé par les historiens d’art pour désigner le style dominant de la période 1600-1750. « Baroque » signifie « irrégulière, tourmentée, grotesque ». Son lien avec la philosophie et la science de son époque est moins étroit que celui de la Renaissance, tout ces domaines de la connaissance devenus trop complexes entretemps. Contexte historique: le baroque va être adopté aussi bien par la foi catholique nouvellement fortifiée de la Contre-réforme en Italie et en Espagne, l’absolutisme en France que par la Hollande protestante et bourgeoise. Ses formes vont toutefois dépendre de son contexte comme nous allons le voir par la suite. C’est Rome qui, vers 1600, devint le haut lieu du Baroque: la papauté finançait les arts avec l’intention de faire de Rome la plus belle ville du monde « pour la plus grande gloire de Dieux et de l’Église ».
Le Baroque en Italie: peinture Nous avons vu la caractéristique essentielle de la peinture baroque avec le proto-baroque: la peinture baroque met à profit les découvertes techniques acquises pendant la Renaissance (la perspective, le clair-obscur et le sfumato) pour créer l’illusion de la réalité de l’espace peint, qui prolonge l’espace réel de l’église (la voûte qui s’ouvre vers l’espace infini du ciel…): nous avons pris en exemple Le Carrache (1560-1609) et le plafond du palais Farnèse à Rome pour l’origine du procédé, puis Andrea POZZO, (1642-1709), avec la fresque du plafond de l’église de Sant Ignazio, à Rome, L’Apothéose de St. Ignazio (1688-90). Du Nord de l’Italie à Rome arrive un homme de génie dont la peinture illustre un autre courant de l’art baroque, dont va s’inspirer le baroque au nord des Alpes: Le Caravage (Caravaggio, 1573-1610). Dans son œuvre l’influence du réalisme du Nord de l’Italie est poussé à un tel degré que nous parlons de naturalisme…
Le Caravage (1573-1610) 1599-1602, Contarelli Chapel, San Luigi dei Francesi, Rome L’appel de Saint Matthieu, 1597-98, l’église de Saint-Louis-des-Français à Rome
Intérieur humble, quotidien… Le Caravage, L’appel de Saint Matthieu, 1597-98, Saint-Louis-des-Français, Rome Girolamo Savoldo, Saint Matthieu, vers 1535
Le Caravage, L’incrédulité de Saint Thomas, 1601-02
Annibal Carrache (1560-1609) C’est toutefois la représentation idéaliste d’un autre peintre, venu de Bologne où il avait travaillé dans le style maniériste, qui comblait le goût de l’époque: nous voyons ici les fresques du plafond du palais Farnèse à Rome, réalisées entre 1597 et 1601, représentant les amours des Dieux classiques.
L’illusion des sens crées par le trompe-l’œil rendus possibles par la parfaite maîtrise de différentes techniques de peinture est une des caractéristique le plus distinctive du style baroque en peinture en Italie… Dorénavant les innombrables scènes en trompe l’œil vont recouvrir les plafonds des églises et des palais. Andrea POZZO, (1642-1709), L’Apothéose de St. Ignazio, 1688-90, Sant Ignazio, Rome
Andrea POZZO, (1642-1709), L’Apothéose de St Andrea POZZO, (1642-1709), L’Apothéose de St. Ignazio (détail), 1688-90, Sant Ignazio, Rome
Le Baroque en Italie: sculpture Le Bernin (1598-1680) Nous avons vu les caractéristiques essentielles de la peinture baroque en Italie. Quelle a été la particularité de la sculpture baroque? Nous allons envisager la sculpture baroque en Italie avec l’exemple de Gianlorenzo Bernini, dit Le Bernin (1598-1680), le plus grand sculpteur et architecte du siècle. Nous allons retenir deux de ses réalisations: son David, réalisé en 1623, et l’ensemble réalisé pour la chapelle Cornaro, Santa Maria della Vittoria à Rome, L’extase de la sainte Thérèse (1645-1652). Nous allons commencer par les sculptures qui ont fait la gloire du jeune Bernin: le Rapt de Proserpine (1622), son David (1624) et Apollon et Daphné (1625):
Capter le moment le plus intense de l’action Nous voyons cette préoccupation caractéristique du Bernin, et de la sculpture baroque en général, qui est de capter le moment le plus prégnant de l’action, le moment charnière… Comme dans ces deux scènes tirées des Métamorphoses d’Ovide, Daphné et Apollon, Daphné se transformant en Laurier… Commandités par le cardinal Scipion Borghèse, Daphné et Apollon, 1625, Le Rapt de Proserpine *Pluto
… et dans Le Rapt de Proserpine, le moment où elle est prise par Pluto … et dans Le Rapt de Proserpine, le moment où elle est prise par Pluto. L'empreinte des doigts du dieu des enfers dans les chairs de Proserpine est virtuosement réaliste et participe aussi de l'effet dramatique du rapt.
La composition en spirale
Le mouvement en spirale et le rapport de la sculpture baroque à l’espace Nous voyons avec ce David du Bernin à nouveau cette figure enroulée sur elle-même. La composition en spirale est ici plus qu’un moyen de rendre le dynamisme du geste: elle engendre aussi le nouveau rapport actif de la sculpture baroque avec l’espace où elle s’intègre. Ce David, lançant son projectile vers Goliath, n’est pas indépendant, il suppose la présence de son adversaire dans l’espace où il se trouve, donne l’illusion que son action se prolonge dans cet espace. …
Le Bernin, David, 1623
La sculpture baroque par rapport à la sculpture Renaissance sur l’exemple du David de Michel Ange et du Bernin David, Michelangelo 1504 et Le Bernin 1623 Renaissance vs. Baroque: David, Michelange 1504 et Le Bernin 1623
La sculpture baroque par rapport à la sculpture Renaissance sur l’exemple du David de Michel Ange et du Bernin Le David de Michel Aange est représenté au repos, toute la sculpture donne une impression d’équilibre et de stabilité, malgré le visage tendu: l’action est à venir. Le David du Bernin est représenté dans le moment le plus dramatique de l’action, la violente torsion de son corps indique le mouvement qui se déploie, « envahit l’espace » au-delà de l’espace de la sculpture, incorporant cet espace à la sculpture… Nous y voyons aussi plus de réalisme psychologique (voir la lèvre mordue…)
En parlant du David envahir l’espace où il se trouve par son geste, suggérant la présence tacite de son adversaire dans l’espace où il se trouve, nous touchons à l’autre caractéristique essentielle de la sculpture baroque: La sculpture baroque crée, avec la peinture et le cadre architectural dans lequel elle s’inscrit, une illusion composite rappelant une scène de théâtre. Cannonized in 1622 L’exemple le plus éclatant de ce procédé est le chef-d’œuvre du Bernin, L’extase de la sainte Thérèse, le groupe de la chapelle Cornaro de l’église Santa Maria Vittoria à Rome, exécuté entre 1645 et 1652.
Commençons par le décor (peint et en stuc) au dessus de la chapelle: le saint esprit sous la forme d’une colombe plane au-dessus d’une nuée d’anges…
Les spectateurs assis dans leur loges à droite et à gauche, contemplent la scène:
Voyons maintenant la scène elle-même…
La scène: l’ange transperçant le cœur de la sainte « avec une lance en feu ». La lumière éclairant le groupe provient d’une lucarne cachée et descend sur le marbre blanc du groupe le long des rayons dorés.
L’extase de la sainte Thérèse, la chapelle Cornaro, santa Maria della Vittoria, Rome, (1645-1652)
« J'ai vu dans sa main une longue lance d'or, à la pointe de laquelle on aurait cru qu'il y avait un petit feu. Il m'a semblé qu'on la faisait entrer de temps en temps dans mon cœur et qu'elle me perçait jusqu'au fond des entrailles; quand il l'a retirée, il m'a semblé qu'elle les retirait aussi et me laissait toute en feu avec un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu'elle me faisait gémir; et pourtant la douceur de cette douleur excessive était telle, qu'il m'était impossible de vouloir en être débarrassée. L'âme n'est satisfaite en un tel moment que par Dieu et lui seul. La douleur n'est pas physique, mais spirituelle, même si le corps y a sa part. C'est une si douce caresse d'amour qui se fait alors entre l'âme et Dieu, que je prie Dieu dans Sa bonté de la faire éprouver à celui qui peut croire que je mens. » Thérèse d'Avila (canonisée en 1622) dans son autobiographie publiée sous le titre la Vie de sainte Thérèse de Jésus (1515-1582), une mystique cloîtrée, carmélite déchaussée, réformatrice et religieuse
L’érotisme mystique du baroque Jacques Lacan, Séminaire "Encore", 21 novembre 1972 « [...] pour Sainte Thérèse, enfin disons quand même le mot… et puis en plus vous avez qu'à aller regarder dans une certaine église à Rome la statue du Bernin pour comprendre tout de suite… enfin quoi : qu'elle jouit, ça fait pas de doute ! Et de quoi jouit-elle ? Il est clair que le témoignage essentiel de la mystique c'est justement de dire ça : qu'ils l'éprouvent mais qu'ils n'en savent rien. » Le philosophe chrétien Jean-Luc Marion, dit de Dieu ("Le phénomène érotique") qu’il « nous surpasse au titre de meilleur amant » ! Certains critiques modernes expliquent les expériences religieuses proches de la syncope comme des phénomènes psychologiques qui relèvent de l'orgasme plutôt que comme des phénomènes spirituels. Sur la sculpture, c'est la position du corps de sainte Thérèse et l'expression de son visage qui ont conduit certains à les expliquer comme le signe d'un moment d'extase sexuelle. Aussi séduisante que soit une telle théorie, les spécialistes du baroque les plus compétents la mettent en doute : le Bernin, qui a suivi les exercices spirituels d'Ignace de Loyola, aurait-il pu avoir de telles intentions?
Le Bernin, La Beata Ludovica Albertoni 1672-74, Altieri chapel, San Francesco a Ripa, Rome
Un autre groupe architectural du Bernin, Le trône de Saint Pierre, (l’abside de Saint Pierre de Rome, 1657-1666, bronze doré, marbre et stuc). Le trône, soutenu par les quatre pères de l’église, est un reliquaire contenant la cathèdre paléochrétienne.
La lumière, symboliquement céleste, provient du vitrail d’où partent anges et nuages, enveloppant le trône.
Le baldaquin de bronze pour l’autel principal de saint Pierre de Rome, 1624-1633
Ce baldaquin de bronze est un mélange d’architecture et de sculpture Ce baldaquin de bronze est un mélange d’architecture et de sculpture. Les colonnes en spirale, reprises ici par Bernin, sont une création de la dernière période de l’architecture romaine antique.
Saint Longin, et colonnes à vis du baldaquin
Le Bernin a aussi réalisé d’autres ensembles pour Saint-Pierre, auquel une immense nef a été rajoutée, tels que ce tombeau du pape Alexandre VII, avec la mort représentée comme un squelette, clepsydre à la main. 05_Tomb_of_Pope_Alexander_-Chigi-_VII
Le Bernin architecte Le Bernin a beaucoup contribué à l'embellissement ou la complétion de bâtiments existants et peu construit d'édifices dans leur totalité. Il a notamment beaucoup contribué à l’embellissement de la grande nef récemment ajoutée au plan central du Michel Ange de l’église de Saint Pierre à Rome (le baldaquin de l’autel central, Le trône de Saint Pierre, tombeau du pape Alexandre VII etc…) Il crée de nombreuses fontaines et autre « mobilier urbain »: La fontaine du Triton en 1643, La fontaine des quatre fleuves… Le pape Alexandre VII commande au Bernin la colonnade de la place Saint-Pierre lequel trouve une solution urbanistique et symbolique élégante en concevant une colonnade qui s'écarte depuis la basilique comme deux bras qui accueilleraient la foule et encadrent la place elliptique. C’est l'église Saint-André du Quirinal, que Le Bernin va considérer comme son chef d'œuvre architectural. Son plan elliptique servira de modèle pour nombre d'églises baroques par la suite.
Le Bernin architecte: la colonnade et la place elliptique devant la basilique de Saint Pierre à Rome, 1657 (nef et façade par Carlo Maderna 1607-1615) Le plan elliptique est typique de l'architecture baroque influencée par les découvertes contemporaines en astronomie.
Le Bernin, mobilier urbain: La fontaine du Triton, 1643 bernini triton 1635
Le Bernin architecte: L'église Saint-André du Quirinal