Triptyque « la guerre », 1929-32, tempera sur bois, panneau central 204 x 204 cm, panneaux latéraux 204 x 102 cm chacun, Gemäldegalerie Neue Meister, Dresde. Documents p.33
OTTO DIX Peindre l’horreur de la guerre L’art et la guerre OTTO DIX Peindre l’horreur de la guerre
Dix a exécuté ce qui demeure l'oeuvre la plus importante qu'ait suscitée la Grande Guerre, un triptyque composé sur le modèle des maîtres anciens. Le panneau central reprend la composition de La tranchée, une vision d'épouvante où un soldat, le visage recouvert d'un masque à gaz, demeure seul vivant dans une tranchée effondrée, près d'un abri renversé. Des cadavres achèvent de pourrir alors qu'un squelette est demeuré accroché à la branche d'un arbre. Les panneaux latéraux figurent le départ vers le front et le retour de deux blessés. Sur la prédelle (partie inférieure), des dormeurs - ou des cadavres ? - allongés sous une toile de tente.
Le triptyque, peint sur bois, est exécuté dans leur style, avec une minutie réaliste extrême. Alors que les dessins préparatoires décident seulement des silhouettes et de la construction, la peinture cultive l'illusionnisme jusqu'au morbide insupportable des chairs putréfiées, des vers et de la gangrène. Les jambes d'un mort sont constellées de pustules ou de blessures purulentes, comme les membres du Christ dans le retable d'Isenheim. L'espace est saturé de corps, de débris, de formes déchirées. Il est traversé par des verticales hérissées. Jusqu'aux cieux qui inquiètent : des nuées, des tourbillons rougeâtres y circulent, signes de la catastrophe qui étend son empire à la nature entière.
Otto Dix, Flandern (Les Flandres) (D'après Le feu d'Henri Barbusse), 1934-6, huile et tempera sur toile, 200 x 250 cm, Staatliche Museen Preubischer Kulturbesitz, Berlin.
La vision d’Otto Dix est cauchemardesque Vus de face, de près, jetant leurs grenades entre les barbelés et les racines, les soldats masqués n'ont plus rien d'humain, tout comme le lieu n'a plus rien de réel, no man's land de la tranchée. Il est remarquable que Dix choisisse de montrer des soldats allemands - et non des ennemis. En 1924, une telle gravure, qui appartient au portefeuille de 50 planches intitulé La Guerre, a de quoi choquer l'opinion publique allemande, dans la mesure où Dix ne fait preuve d'aucun respect pour les combattants, ses anciens camarades. A l'exaltation de l'héroïsme, il oppose la dénonciation de la sauvagerie destructrice.
Une oeuvre de résistance au nazisme On trouve dans l’œuvre de Dix des allusions à l’œuvre d’Henri Barbusse (1873-1935), un ancien combattant français, membre du Parti Communiste Français et auteur interdit dans le Reich hitlérien. Cela démontre combien irréductible est l'opposition politique de Dix au régime nazi qui prépare alors une nouvelle guerre et qui interdit, puis détruit ses oeuvres.
Extrait d’Henri Barbusse, Le feu " C'est maintenant - écrit Barbusse - un surnaturel champ de repos. Le terrain est partout taché d'êtres qui dorment, ou qui, s'agitant doucement, levant un bras, levant la tête, se mettent à vivre, ou sont en train de mourir. La tranchée ennemie achève de sombrer en elle-même dans le fond de grands vallonnements et d'entonnoirs marécageux, hérissés de boue, et elle y forme une ligne de flaques et de puits. On en voit, par places, remuer, se morceler et descendre les bords qui surplombaient encore. (...) Tous ces hommes à face cadavérique, qui sont devant nous et derrière nous, au bout de leurs forces, vides de paroles comme de volonté, tous ces hommes chargés de terre, et qui portent, pourrait-on dire, leur ensevelissement, se ressemblent comme s'ils étaient nus. De cette nuit épouvantable il sort d'un côté ou d'un autre quelques revenants revêtus exactement du même uniforme de misère et d'ordure. "
Erich Maria Remarques, A l’Ouest, rien de nouveau BIBLIOGRAPHIE Erich Maria Remarques, A l’Ouest, rien de nouveau Roman pacifiste d’un « poilu » allemand qui dénonce la barbarie de la guerre. Le Feu, d’Henri Barbusse (1873-1935) engagé volontaire en 1914 à l’âge de 41 ans, il obtint le Prix Goncourt en 1916.
FILMOGRAPHIE Un long dimanche de fiançailles, film de Jean-Pierre Jeunet, d'après le roman de Sébastien Japrisot, sorti en 2004. L’héroïne du film, Mathilde jeune boiteuse romantique part à la recherche de son amoureux Manech, présumé mort et qui a été accusé de mutilation volontaire et condamné à mort. Joyeux Noël, film de Christian Carion, sorti en 2005, sur les fraternisations entre les camps ennemis dans les tranchées et leur répression. Les Sentiers de la gloire, film de Stanley Kubrick avec Kirk Douglas (1957). Fusillés pour l’exemple, film documentaire de Patrick Cabouat, diffusé en 2003. Le Pantalon, film d’Yves Boisset (1997), d’après l’ouvrage d’Alain Scoff.
Ils n’ont pas choisi leur sépulture. C’est une sculpture monumentale en bronze de quatre mètres de haut réalisée par le sculpteur Haïm Kern pour le mémorial du plateau de Californie à Craonne. Ce mémorial a été inauguré par Lionel Jospin en 1998, le jour de son discours visant à réintégrer les soldats fusillés pour l’exemple dans leur honneur.