Introduction au droit comparé

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Transcription de la présentation:

Introduction au droit comparé Professeur Sophie ROBIN-OLIVIER Ecole de droit de la Sorbonne Année universitaire 2014-2015

PLAN DU COURS Introduction Première partie : Introduction à l’analyse comparative Deuxième partie : Les sources du droit dans les différents systèmes juridiques Troisième partie : Application de la méthode comparative au droit des contrats Conclusion

TROISIEME PARTIE : APPLICATION DE LA METHODE COMPARATIVE AU DROIT DES CONTRATS Chapitre 1. La formation du contrat Chapitre 2. La force obligatoire du contrat Section 1. L’effet du contrat à l’égard des tiers Section 2. La bonne foi et l’exécution du contrat Section 3. Le devoir de cohérence et la notion d’estoppel Section 4. L’imprévision Section 5. Les limites de la liberté contractuelle Chapitre 3. L’inexécution du contrat Chapitre 4. Contrats et discriminations

Section 1. L’effet du contrat à l’égard des tiers 1/ Le principe de l’effet relatif 2/ Conséquences de l’inexécution du contrat pour les tiers ?

2/ Conséquences de l’inexécution du contrat pour les tiers? En droit français : question récurrente de la responsabilité du débiteur vis a vis d’un tiers auquel le manquement a causé un dommage Quel manquement entraîne la responsabilité ? Quel régime ? Délictuel ou contractuel ? AP, 6 octobre 2006

Droit français : manquement contractuel => responsabilité délictuelle à l’égard des tiers => Altération du contrat ? Quid en particulier des clauses limitatives de responsabilité ?

Droit anglais Donoghue v. Stevenson, 1932 : Tort of negligence, duty of care Morris v. Martin & Sons, 1966 : sur les clauses d’exemption ou de limitation de responsabilité

Section 2. La bonne foi et l’exécution du contrat 1/ L’importance de la bonne foi dans les droits de la tradition romano-germanique 2/ La réticence du droit anglais à l’égard de la bonne foi

PEDC (Lando) La bonne foi est consacrée par différents articles = innerve tout le corps du texte (négociations contractuelles, clauses du contrat, exécution) Parmi les « devoirs généraux » (art 1.201) : « chaque partie est tenue d’agir conformément aux exigences de la bonne foi, les parties ne peuvent exclure ou limiter ce devoir »

Projet de réforme du droit français 3 principes directeurs : Liberté contractuelle Sécurité contractuelle Loyauté contractuelle => Bonne foi étendue au-delà de l’exécution (art. 1134 al 3 cciv)

Droit français Peu de références à la bonne foi dans le cciv. Art. 1116 (dol) Art. 1135 (équité) Art. 1134 al 3 (exécution du contrat) Pendant longtemps : une simple directive d’interprétation du contrat Renouveau récent Importance de la bonne fois dans la jurisprudence Exigence d’un comportement honnête, loyal un comportement de bonne foi s’impose aux parties = non seulement le respect de la lettre du contrat mais un comportement positif qui se traduit par certains devoirs (coopération et collaboration) Portée du devoir de bonne foi varie en fonction du contenu du contrat, de son objet

Devoir de collaboration Idée : les contrats forment une sorte de microcosme « où chacun doit travailler dans un but commun » (R. Demogue) Portée du devoir de coopération particulièrement grande dans certains contrats pour lesquels cette coopération est nécessaire, compte tenu de la nature et de l’objet du contrat Ce devoir pèse sur les deux parties et non sur le seul débiteur Par ex, dans la fourniture de matériel et/ou prestations informatiques (logiciels nt), le vendeur doit aider l’acquéreur à définir ses besoins et l’assister lors de la mise en route du nouveau matériel Autre ex. : le débiteur doit vérifier que le créancier a bien facturé les prestations fournies et dans la négative, l’avertir de l’erreur qu’il commet (civ. 1, 23 jan. 1996)

Obligation d’avertir l’autre partie des éléments qu’il a intérêt à connaître pour l’exécution du contrat Ex : civ. 1, 27 juin 1995 : une partie doit informer l’autre du risque de disparition d’un élément du contrat, lorsque cette information lui permettrait d’éliminer le risque

Limite de la bonne foi en droit français V. par ex. com. 10 juill. 2007 L’article 1134 al 3, qui peut permettre au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une pratique contractuelle, ne « l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties » (application de l’art. 1134 al 1).

Droit allemand § 242 BGB : le débiteur est tenu d’effectuer la prestation comme l’exige la bonne foi eu égard aux usages admis en affaires = > le débiteur doit faire preuve de loyauté dans l’exécution de l’obligation (treu), respecter la confiance légitime qui a été placée en lui (glauben), tenir compte des intérêts légitimes du créancier => le créancier est tenu de faire valoir sa créance en portant attention aux intérêts légitimes du débiteur

§ 242 du BGB = un principe général de bonne foi en droit allemand, une clause générale (cf. période précontractuelle) Exigence impérative (bien que le BGB ne le dise pas expressément) => impossible de s’en écarter par convention. Applications du principe de bonne foi => des solutions particulières, à partir desquelles une typologie a pu être dressée

Devoir de collaboration par ex, si l’autorisation d’un tiers ou d’une autorité pub est requise, les parties doivent s’entraider pour l’obtenir obligations accessoires, permettant de garantir une exécution satisfaisant les intérêt du créancier Par ex, fournisseur d’un bien doit assurer le bien pendant son transport, obligation de mise à disposition de l’acheteur des documents nécessaire à l’utilisation du matériel fourni… Nouveau code civil (2001)  § 241 al 2 : « le rapport d’obligation peut, selon son contenu, obliger chaque partie à respecter les droits, les biens et les intérêt de l’autre » obligations visant à protéger de tout dommage la situation patrimoniale de l’autre partie Limite : le droit allemand n’exige pas de notifier la connaissance d’un événement susceptible de compromettre l’exécution à l’autre partie

Droit italien Art. 1337 ccivil : bonne foi dans la phase précontractuelle Art. 1375 ccivil : exécution de bonne foi Art 1366 ccivil : interprétation de bonne foi Art. 1175 ccivil  : le débiteur et le créancier doivent se comporter de façon honnête (article de portée générale, situé au sein des dispositions préliminaires du code civil sur les obligations en général) Portée générale du principe de bonne foi notamment devoir de collaboration NB : on retrouve cette combinaison de dispositions particulières et générale dans le cciv portugais

Droit anglais Réticence initiale La bonne foi = un concept qui a du mal à s’imposer en droit anglais Le droit anglais n’a pas évolué vers le solidarisme ou l’altruisme Incidence du droit de l’UE ? Impact de la directive 93/13 sur les clauses abusives ?

Règles de protection de la partie faible existant avant la transposition Règles de Common Law Dispositions législatives

Common Law Nécessité que les clauses contractuelles soient connues des deux parties Interprétation contra proferentem Misrepresentation Implied terms

Unfair Contract Terms Act (1977) Protection des contractants contre les clauses qui ont pour objet ou effet de limiter la responsabilité du contractant Interdiction des clauses limitatives de responsabilité délictuelle pour dommage corporel Clauses limitant le dommage matériel doivent être raisonnables Interdiction des clauses limitant la responsabilité pour la vente de marchandises ou de services à l’égard d’un consommateur si l’obligation a été définie par un texte législatif (par ex. la conformité de la chose - Sale of Goods Act, 1979) Clauses limitant la responsabilité pour inexécution contractuelle ou modification substantielle du contrat entre consommateur et professionnel doivent être raisonnables Le défendeur doit prouver que la clause est raisonnable, appréciation in concreto en prenant en compte l’inégalité entre les parties, la connaissance de la clause, la difficulté de l’exécution du contrat au moment de sa signature Liste de clauses toujours déraisonnables et donc toujours nulles

Transposition de la directive au Royaume-Uni Intégrer ou pas la référence à la bonne foi ? Controverse Transposition en 2 temps (lois de 1994 & 1999) Unfair terms in Consumer Contract Regulations (1999) : reprend mot pour mot la référence à la bonne foi de la directive

La bonne foi s’est elle intégrée au droit anglais ? Greffe réussie ?

Director General of Fair Trading v. First National Bank (2001) « [g]ood faith […] is not an artificial or technical concept; nor, since Lord Mansfield was its champion, is it a concept wholly unfamiliar to British lawyers. It looks to good standards of commercial morality and practice. Regulation 4(1) bays down a composite test, covering both the making and the substance of the contract » Lord Bingham

Décision applique cependant une conception “anglaise” de la bonne foi = plus d’importance donnée à la conception procédurale (open dealing) qu’à la conception substantielle (fair dealing)

« In many civil law systems, and perhaps in most legal systems outside the common law world, the law of obligations recognises and enforces an overriding principle that in making and carrying out contracts parties should act in good faith. This does not simply mean that they should not deceive each other, a principle which any legal system must recognise; its effect is perhaps most aptly conveyed by such metaphorical colloquialisms as "playing fair," "coming clean" or "putting one's cards face upwards on the table." It is in essence a principle of fair and open dealing. […]. English law has, characteristically, committed itself to no such overriding principle but has developed piecemeal solutions in response to demonstrated problems of unfairness » Lord Bingham (Interfoto)

Open dealing Cf. Interfoto picture library v. Stiletto Visual Programme (1989) La bonne foi procédurale prend en compte le comportement des parties lors de la conclusion du contrat et impose à la partie qui est à l’origine d’une clause inhabituelle ou particulièrement onéreuse d’informer son contractant Une clause ne doit pas surprendre injustement l’autre partie Transaction ouverte = les informations importantes doivent être signalées au contractant

Dans l’affaire Director general of fair trading “la procédure était juste car la clause était claire et avait été montrée au consommateur”

« [o]penness requires that the terms should be expressed fully, clearly and legibly, containing no concealed pitfalls or traps. Appropriate prominence should be given to terms which might operate disadvantageously to the customer. » Lord Bingham (Director General of Fair Trading)

La condition de clarté de l’information est remplie dès lors que les clauses sont clairement rédigées et que les clauses désavantageuses sont mentionnées au consommateur une clause peut être injuste, si elle a été lue par le consommateur elle sera valable Le contractant professionnel doit s’assurer que l’information est donnée, non qu’elle est comprise

Autres raisons de la difficulté de la greffe Appréciation objective du contrat Liberté contractuelle Réticence à l’égard du contrôle du juge Contexte économique

Fair dealing Conception substantielle, plus proche de la conception de la bonne foi “continentale” Or application de la conception anglaise, dans l’affaire Director General of Fair Trading

« … a supplier should not, whether deliberately or unconsciously, take advantage of the consumer's necessity, indigence, lack of experience, unfamiliarity with the subject matter of the contract, weak bargaining position or any other factor listed in or analogous to those listed in Schedule 2 to the Regulations. Good faith […] looks to good standards of commercial morality and practice » Lord Bingham

Le professionnel est de mauvaise foi lorsqu’il utilise à son avantage sa puissance économique contrairement à la morale et à la pratique commerciale Il faut déterminer le standard de moral commercial acceptable pour juger ce qui est conforme à la bonne foi dans le sens de fair dealing Le standard définit par le juge a glissé de la bonne foi (fairness) au raisonnable (reasonableness), défini par la pratique commerciale = une clause est raisonnable si elle est conforme à la pratique commerciale

La bonne foi a donc été transformée pour s’adapter aux règles et conceptions du droit anglais « Un concept juridique ne peut pas être transplanté d’un pays à un autre sans subir de transformation » G. Teubner, « Legal Irritants: Good Faith in British Law of How Unifying Law Ends Up in New Divergences »

« Pour qu’une greffe soit réussie il faut qu’il y ait un vide juridique devant être comblé par une nouvelle règle, ce qui est d’autant plus facile que le pays est moins avancé matériellement et culturellement. En droit anglais, il n’existe aucun vide juridique. » A. Watson Legal Transplants, An Approach to Comparative Law

Section 3. Le devoir de cohérence et la notion d’estoppel Les contractants sont-ils tenus d’un devoir de cohérence ? = devoir de ne pas agir en contradiction avec le comportement antérieurement adopté Sens le plus important : interdiction de se contredire au détriment d’autrui Une partie qui a fait naître chez une autre une confiance légitime peut-elle valablement adopter un comportement qui trompe cette confiance ?

PEDC 1/ La bonne foi implique qu’« une partie qui a fait des déclarations ou tenu un comportement sur la foi desquels a agit le cocontractant ne peut ensuite adopter une position incompatible avec sa conduite antérieure » impossibilité, par ex, de se prévaloir d’une clause du contrat (par ex une clause qui permet une modification par écrit) 2/ Interdiction pour une partie à laquelle est imputable une cause d’inefficacité ou d’inexécution du contrat de se prévaloir de celle-ci pour agir (par ex en résolution ou pour l’obtention de D & I)

Droit français Intérêt marqué récemment pour l’idée de cohérence du comportement et pour une notion renvoie à l’idée de non contradiction = l’estoppel Le principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui n’est pas consacré Mais sur le fondement de la bonne foi, certains aspects de ce principe ont été dégagés

Exemples Com 8 mars 2005 (au visa de 1134 al 3) : une banque ne peut à la fois ignorer une convention (convention d’unité de compte) en faisant fonctionner les comptes comme des comptes indépendant, puis se prévaloir de cette convention pour en tirer bénéfice L’incohérence du comportement de la banque lui interdit de profiter d’une clause dont elle avait auparavant écarté l’application en connaissance de cause Com. 5 avr. 1994 : en matière de contrat de distribution, sanctionne celui qui rompt le contrat après avoir fait naître chez son partenaire une confiance légitime de stabilité du contrat (concédant qui subordonne le maintien du distributeur dans son réseau à d’importants investissements, engage sa responsabilité pour rupture déloyale s’il résilie ensuite ou décide de ne pas renouveler le contrat) Civ. 1, 8 avr. 1987, 16 fév. 1999 : refus de la mise en œuvre d’une sanction contractuelle, lorsque l’inexécution a été antérieurement tolérée (créancier qui a toléré pendant des années l’inexécution ne peut brusquement réclamer valablement la résolution de plein droit du contrat) Idem Com 8 déc. 2009 : rupture contrat agent commercial pour faute grave impossible si manquements tolérés pendant des années

Référence expresse à l’estoppel Cass. civ. 1re, 6 juillet 2005 : rejet du pourvoi d'un demandeur qui, après avoir sollicité l'arbitrage, invoquait l'absence de convention d'arbitrage valable

Situation : le demandeur a formé une demande d'arbitrage et participé à la procédure arbitrale pendant plus de neuf ans après avoir été débouté de sa demande par une sentence arbitrale ayant fait l'objet d'un exequatur en France, le demandeur soutenait que le tribunal arbitral avait statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle Cour de cassation : le demandeur « est irrecevable, en vertu de l' estoppel , à soutenir, par un moyen contraire, que cette juridiction aurait statué sans convention d'arbitrage »

Solution n’est pas nouvelle sur le fond : rejet du moyen contraire à une thèse antérieure, notamment lorsque ce moyen est incompatible avec la position qu'avait adoptée son auteur devant les juges du fond   Nouveauté : la cour de cassation fait appel à la notion même d’estoppel

AP 27 février 2009 Situation : une société commande à une autre du matériel (récepteurs-décodeurs). Elle apprend que la licence nécessaire à l’utilisation du matériel n’a pas été autorisée => récepteurs interdit à la vente. Elle assigne son cocontractant en responsabilité devant Tal de commerce Lille pour réparation préjudice lié à l’impossibilité de vendre les appareils. TC Lille se déclare incompétent. Société maintient demande d’indemnisation devant Tal de Commerce de Tours, cette fois sur le fondement de la nullité ou de la résolution de la vente

CA Orléans (10 juillet 2007) rejette la demande au motif que la société avait porté devant une autre juridiction, à l’encontre d’une autre société avec qui elle avait contracté pour un matériel identique, une action en exécution de la convention (livraison des décodeurs) Motif : la société n’a pas cessé de se contredire au détriment de ses adversaires, en leur réclamant devant 2 juridiction différentes une chose et son contraire Ce comportement procédural qui consiste à soutenir en même temps deux positions incompatibles est sanctionné par l’irrecevabilité des demandes, en vertu du principe selon lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel)

C. cass : sanctionne les juges du fond (visa : art C. cass : sanctionne les juges du fond (visa : art. 122 code de procédure civile, relatif à la fin de non recevoir) « La seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir », alors « notamment, (que) les actions engagées par la société n’étaient ni de même nature, ni fondées sur les mêmes conventions et n’opposaient pas les mêmes parties ».

Communiqué publié par la Cour de cassation : « sans exclure la règle dite de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, ou estoppel, en matière procédurale, la Cour de cassation se réserve le droit d’en contrôler les conditions d’application »

Emprunt des juges français au droit anglais Emprunt des juges français au droit anglais ? Répondre suppose de savoir ce qu’est l’estoppel en droit anglais S’il ne s’agit pas dans la jurisprudence de la Cour de cassation d’emprunt au droit anglais, peut-on avancer que ce serait une bonne idée d’importer l’estoppel du droit anglais en droit français ?

L’estoppel en droit anglais Idée : interdiction de profiter de ses propres contradictions, de « souffler à la fois le chaud et le froid, d'affirmer d'un côté et de dénier de l'autre» (Cave v. Mills, 1862). Mais pas d’interdiction générale de se contredire dans le domaine du droit des contrats : encore faut-il avoir créé chez autrui une attente légitime et que le rétablissement de la vérité entraîne un préjudice

Estoppel = en principe, un mécanisme de blocage, fonctionnant comme une fin de non-recevoir A shield, not a sword = Celui qui laisse croire à l'autre qu'il consent, par exemple, une réduction de sa dette de moitié ne pourra plus exiger en justice le paiement intégral Il est « estopped »

Multiplicité des conceptions de l’estoppel Exemples parmi les plus communs aujourd’hui : 1/ Estoppel by convention 2/ Estoppel by representation 3/ Proprietary estoppel 4/ Promissory estoppel

Promissory estoppel Version la plus moderne d'equitable estoppel Idée générale : interdiction de remettre en cause une promesse, lorsque cela cause un dommage Ex : un transporteur qui signe un connaissement dans lequel il reconnaît avoir reçu la marchandise du vendeur « en bon état » ne pourra plus démontrer que les biens étaient déjà avariés lorsqu'il les a reçus si, à destination, le destinataire des marchandises, tiers au contrat, se plaint d'une avarie (alors qu'en principe cela constitue un moyen de défense pour le transporteur)

Influence de Lord Denning, dans Central London Property Trust Ltd. v Influence de Lord Denning, dans Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd. ([1947], 68 LQR, 283) Le droit anglais a admis que toutes les formes de representations, y compris les promesses - qu'elles soient frauduleuses ou faites de bonne foi, orales, écrites ou bien encore qu'elles résultent de la conduite de leur auteur - pouvaient fonder un estoppel

Obiter dictum dans Central London Property Trust v Obiter dictum dans Central London Property Trust v. High Trees House « si, par ses paroles ou sa conduite, une personne fait une « représentation » non ambiguë quant à sa future conduite, avec l'intention que cette représentation soit suivie (relied on), sans que cela affecte les relations légales entre les parties, et que l'autre partie change sa position sur la foi de celle-ci (in reliance on it), celui qui fait la « représentation » ne peut plus agir de manière inconsistante avec la représentation si, ce faisant, il causerait un préjudice à l'autre »

Plusieurs conditions : une promesse ou une « représentation » claire et non équivoque quant à une conduite future (le seul fait de ne pas exiger l'exécution du contrat ne suffit pas) en second lieu, il faut que l'autre ait agi sur le fondement de cette promesse Sens ? Pour Lord Denning : il est en principe suffisant que l'autre ait agi comme il n'aurait pas agi sans la promesse ou la représentation Suffit à démontrer qu'il serait « inéquitable » de revenir sur sa promesse

=> Dans les rapports contractuels, lorsque le créancier accepte une somme moindre que celle prévue au contrat, par exemple, bien que la promesse n’ait pas de force, en Common Law, on peut considérer qu’il serait inacceptable, dans les circonstances particulières, que le créancier abuse de ses droits contractuel => Si le débiteur agit en ayant confiance dans la promesse, le créancier peut être empêché de revenir sur sa promesse

Promissory estoppel lié à l'exigence d'une consideration = la promesse donnée sans contrepartie n'est pas valable et le promettant n'est pas engagé, sauf si la promesse a été faite sous une forme solennelle ou sauf à faire jouer le mécanisme de l’estoppel Plus la doctrine de la consideration est stricte, assouplie, plus celle de promissory estoppel est nécessaire (et vice versa)

Conclusion sur l’estoppel en droit anglais Multiplicité des conceptions Pas de principe général (même si évolution discutée) Signification et développement liés aux particularité du droit anglais

Importer l’estoppel du droit anglais en droit français ? Le droit français a-t-il intérêt à se doter d’une notion aussi spécifique et complexe que l’estoppel ? Emergence d’un principe général selon lequel “nul ne peut se contredire au détriment d’autrui”, entraînant une fin de non-recevoir (Com. 20 sept. 2011 et civ. 1, 26 oct. 2011)