LES ENJEUX DE LA PRISE EN CHARGE NUTRITIONNELLE DU PATIENT AGRESSE Dr Fabienne Tamion, INSERM U644 - Service de Réanimation Médicale, CHU Rouen
Quels enjeux de la nutrition chez le patient agressé ? Contrôle de la réponse métabolique face à l’ agression Prévenir la dénutrition Promouvoir le rôle de l’intestin Établir un support nutritionnel précoce Limiter la survenue de la défaillance d’organes et la morbi-mortalité Moduler la fonction immunitaire et la réponse inflammatoire « immunonutrition »
Agression bactérienne : sepsis REPONSE A L’AGRESSION Réponse métabolique glucides lipides protéines Réponse inflammatoire - stress oxydatif dysfonction endothéliale activation coagulation apoptose…. Dysfonctions d’organes
Réponse métabolique à l’agression liée à l’ accroissement de la demande énergétique Biolo G et al, ICM 2002;28:1512
REPONSE METABOLIQUE A L’AGRESSION LES PROTEINES La glutamine devient un AA essentiel au cours de agression Biolo G et al, ICM 2002;28:1512
REPONSE METABOLIQUE A L’AGRESSION LES LIPIDES Biolo G et al, ICM 2002;28:1512
REPONSE METABOLIQUE A L’AGRESSION LES GLUCIDES Majoration de la production de glucose à partir des réserves hépatiques, musculaires, et du tissu adipeux Hyperglycémie et insuline résistance Biolo G et al, ICM 2002;28:1512
Inflammation, Cytokines, Catécholamines REPONSE METABOLIQUE A L’AGRESSION adaptation physiologique au jeûne Altération de fonction - musculaire (protéolyse) - digestive (déficit Gln) Hypercatabolisme dépense énergétique Hyperglycémie Résistance insuline Poursuite de l’agression = dénutrition, défaillance viscérale et décès
Bases de l’approche nutritionnelle Évaluation de l’intensité de la réponse catabolique dépister pour prévenir la dénutrition Adaptation des apports énergétiques et les modalités la dépense énergétique l’entérale/parentérale, précoce/retardée Interférence avec la réponse inflammatoire les micronutriments les pharmaconutriments : glutamine, oméga-3 , arginine, anti-oxydants Tappy L et al, Ann Med Interne 2000, 15:584-93
Dénutrition en milieu hospitalier Problème fréquent et méconnu dont l’évaluation est trop rarement réalisée Prévalence : 35-65% chez les patients hospitalisés Associée à une augmentation de la morbi-mortalité, à la durée de séjour, au nombre de complications, au coût global de prise en charge Associée à une diminution de la qualité de vie Associée à une atteinte de l’immunité favorisant les infections acquises
709 patients inclus Correia MI et al, Clin Nutrition 2003
Correia MI et al, Clin Nutrition 2003
Diagnostic de la dénutrition une étape essentielle Modifications de la composition corporelle : Calcul de l’index de masse corporelle IMC = poids (kg)/Taille2 (m) ++++ Ex : IMC < 20 Kg/cm2 Modifications biologiques : Index de risque nutritionnel Albumine : valeur pronostique tranthyrétine (pré-albumine) < 50 mg / L ___> Pronostic Vital < 110 mg / L ___> Déficit Métabolique + + + < 150 mg / L ___> Risque majoré Évaluation de la balance énergétique Équation de Harris -Bénédict x facteur de correction Évaluation du métabolisme protéique Intérêt du bilan azoté quotidien INTERET DE L’UTILISATION DU NUTRISTEPS Duerksen DR et al, Nutrition 2000; 16:740-4
Quel patient nourrir artificiellement en réanimation ? Tout patient qui présente une dénutrition préalable à l’agression Tout patient chez qui un apport nutritionnel spontané est improbable dans un délai de 3-5 jours Chez les patients sévèrement agressés en défaillance multi viscérale, une nutrition entérale et/ou parentérale est recommandée précocement
Bases de l’approche nutritionnelle Évaluation de l’intensité de la réponse catabolique dépister la dénutrition Apports énergétiques et les modalités Apport énergétique : quel apport calorique ? Les modalités : l’entérale/parentérale, précoce/retardée Interférence avec la réponse catabolique les micronutriments les pharmaconutriments : glutamine, oméga-3 , arginine, anti-oxydants la manipulation de la réponse hormonale : insuline Tappy L et al, Ann Med Interne 2000, 15:584-93
Relation directe entre entre l’importance de la balance énergétique négative et le nombre de complications
0 à 32 % = tertile I, 33 à 65% = tertile II, > 66% = tertile III: Permissive underfeeding ( 9-18 Kcal/kg /J) 0 à 32 % = tertile I, 33 à 65% = tertile II, > 66% = tertile III: % calories apportées selon les recommandations ACCP * Ajusté au SAPS score, BMI, albumine ..
RECOMMANDATIONS 2006 Chez tous les patients agressés ne pouvant recevoir un apport oral complet dans les 3 jours le plus tôt possible ( < 48H) / stabilité hémodynamique et de façon progressive sur 3 jours ( permissive underfeeding ) les apports caloriques ne doivent pas excéder 20-25 Kcal/J à la phase aigue puis 25-30Kcal/J à la phase anabolique (tardive)
Nutrition entérale – Nutrition parentérale ? Le tube digestif en réanimation = Victime et agresseur Concept nouveau Une nutrition entérale qui serait pas seulement une nutrition par l’intestin mais une nutrition de l’intestin
TUBE DIGESTIF ET DEFAILLANCE MULTI-VISCERALE Agression Hyperpermeability Translocation Colonization Infections, Late MOF Deitch EA, Surgery 2002;131:241
Effet de EN sur le taux jéjunal d’IgA Marquages Immuno IgA Effet de EN sur le taux jéjunal d’IgA
et à moduler la translocation bactérienne Administration de EN (>25%) suffit à réduire l’expression cytokinique des IEL et à moduler la translocation bactérienne
Avantages spécifiques de la NE Translocation bactérienne IL6/IL10 Endotoxine 29 Patients en post-opératoire d’une chirurgie digestive Takagi K et al, Nutrition 2000, 16:355-60
Avantages spécifiques de la NE Réduction des complications infectieuses Gramlich L et al, Nutrition, 2004,20:843-848
Aucun impact sur la mortalité Crit Care Med 2005;33:213 Aucun impact sur la mortalité N > 2000 patients
Villet S et al, Clinical Nutrition 2005
Groupe 3A : 25ml/kg à J10 ; Groupe 3B < 25ml/kg à J10 Clinical Nutrition 2006, 25:51-59 Groupe 3A : 25ml/kg à J10 ; Groupe 3B < 25ml/kg à J10
Early EN Late EN
Nutrition et Sepsis : Approche pratique La NE doit être l’option de choix chez le patient agressé NE précoce < 24-48h, continue, avec débit croissant sur 48h, Intérêt de l’association EN+PN à la phase aiguë pour apport énergétique adéquat L’apport énergétique ne doit pas excéder 20-25 Kcal/J à la phase initiale Site de la sonde SNG, post-pylorique , GPE, jéjunale /durée et terrain : aucune différence significative , patient en position assis +++++ Le mélange polymérique isocalorique = gold standard du patient agressé INTERET D’AVOIR DES PROTOCOLES NUTRITIONNELLES ECRITS
Bases de l’approche nutritionnelle Évaluation de l’intensité de la réponse catabolique dépister la dénutrition Apports énergétiques et les modalités la dépense énergétique l’entérale/parentérale, précoce/retardée Interférence avec la réponse inflammatoire les micronutriments les pharmaconutriments : glutamine, oméga-3 , arginine, anti-oxydants la manipulation de la réponse hormonale : insuline Tappy L et al, Ann Med Interne 2000, 15:584-93
LES MICRONUTRIMENTS Vitamines et oligo-éléments Catalase GPX Selenium SOD Mng, Cu, Zn Chélateurs du Fer, Cu NADPH oxydase Xanthine oxydase Mitochondries O2 H2O2 .OH ONOO- NO.2 Oxydation Lipides Protéines ADN allopurinol NO. NO-synthase Scavengers Vitamines Heyland DK et al, ICM 2005;31:327-37
Relation stress oxydatif et score de gravité Crit Care Med 2003; 31:1048
Effet sur la mortalité hospitalière Antioxidant nutrients : a systemic review of trace elements and vitamins in ICU patients Heyland DK et al, ICM 2005, 31:327-337 Sélénium IV Effet sur la mortalité hospitalière
Administration de Sélénium en IV continue et bolus initial Taux de survie en ITT Administration de Sélénium en IV continue et bolus initial Crit Care Med 2007, 35 :118-128
Ascorbate bolus : 7.6 mg/100g – 1 ou 24 H après CLP Rôle de Ascorbate sur la microcirculation flow No flow Ascorbate bolus : 7.6 mg/100g – 1 ou 24 H après CLP Crit Care Med 2006, 33:1823-28
Recommandations Éviter les déficits en vitamines et oligo-éléments Berger MM et al, Nutrition artificielle de l’adulte, 2002 Éviter les déficits en vitamines et oligo-éléments Un apport entérale de 2000 Kcal/J couvre uniquement les besoins de base en dehors de l’agression aiguë Une supplémentation est nécessaire en cas de dénutrition ou agression sévère ( = sepsis) Apport IV préférable dans les premiers jours Aucune recommandation sur une utilisation à visée anti-oxydante mais des études encourageantes avec Se et Vit C
LES NUTRACEUTIQUES Ce sont des nutriments qui vont moduler in vitro et in vivo la prolifération et les fonctions de plusieurs systèmes cellulaires = immunonutriments
Médiateurs Immunonutriments ? Agression bactérienne Réponse immunitaire Fonction cellulaire Degranulation Phagocytosis Cytotoxicity Lymphopoiesis SIRS Microcirculation Dysfonction endothéliale Dysfonction plaquettaire Médiateurs Eicosanoids Cytokines NO Immunonutriments ? Suchner et al Proc Nutr Soc 2000; 59: 553-63
Glutamine : AA immunomodulateur Glutamine : stock de l'organisme 80 g muscle synthèse protéique bilan azoté intestin trophicité / fonction Gln immunité infections Mécanisme protecteur cellulaire HSP, GSH,ATP bénéfice clinique Fish et al, Am J Clin Nutri 1997; 6:977-83, Griffiths RD et al, Nutrition 1997;1:295-302
Current Opinion Crit Care 2006; 9:201
Glutamine : Effet sur les mécanismes cellulaires protecteurs (HSP) Wischemeyer PE et al,Nutrition 2003; 19:1-6 ; Wischemeyer PE , Nutrition 2002; 18:222-228
Glutamine : Rôle sur les infections acquises reference Patients Outcome parameters p values Griffiths 2002 8 ICU (n=84) Catheter-related infections p=0.026 Wischmeyer 2001 6 Severely burned (n=26) Gram-negative bacteremia p<0.04 Fuentes-Orozco 2004 12 Secondary peritonitis (n=33) Infectious complications p=0.005 Déchelotte 2006 13 Surgery (n=114) Pneumonia p<0.05
Glutamine supplementation in serious illness : a systemic review of the evidence Heyland DK et al, JPEN 2003; 27:355-73 Ces résultats ne sont pas actuellement retrouvés pour la glutamine entérale , faute d’effectifs suffisants ( étude à pourvoir)
L’Arginine : AA immunomodulateur Enteral/Parenteral L-Ornithine L-arginine L-Citrulline Urea Polyamine Synthesis Putrescine Spermidine Spermine Hormone release GH IGF Insulin/Glucagon Prolactin Nitrogenous Compounds NO Nitrites Nitrates Suchner U et al. Br J Nutr 2002; 87 (Supplt 1): S 121-32 Luiking Y et al, JPEN 2005;29:S70-4
Les acides gras essentiels AGE n-3 Linoléique -Linolénique 6-DESATURASE A A LTB4 PGE2 LTB5 PGE3 DHA - EPA 6 3 Cyclo-oxygénase Lipogénase Lipoxins resolvins - Effets anti-inflammatoires, immunosupresseurs, et antithrombotiques Compétition avec les acides gras essentiels de type -6 pour la cyclo-oxygénase et la lipo-oxygénase Redgrave TG et al, Curr Opin Clin Nutr Metab care 1999; 2:147-52
Les acides gras essentiels AGE rôle dans la signalisation Sites et mécanismes d’action Changement de la composition des phospholipides membranaires 6 3 Modification ? Fluidité Membranaire Activités Enzymatiques Affinité Récepteurs NF-B PPAR- Modulation de la synthèse des médiateurs de l’inflammation Roos et al, Curr Opin Clin Nutr Metab care 1999, 2:219-26
Les acides gras essentiels AGE Site et mécanismes d’action PPAR Peroxisome proliferator -activated receptor NF-B - nucleus Diminution du contenu membranaire en AA Diminution de la synthèse de PGE2 et de cytokines Regulation of inflammatory mediators : IL-6, IL-8, iNOS, .. Standiford TJ et al, Proc Am Thorac Soc, 2006 2:226 Babcock B et al, Nutrition. 2000;16:1116-8
Chow : sérum salé, SBO = intralipid, FO+SBO = Omegaven Fonction lymphocytaire Survie Chow : sérum salé, SBO = intralipid, FO+SBO = Omegaven Lanza-Jacoby S et al, Nutrition 2001; 17:112-116
Effect of enteral feeding with eicosapentaenoic acid, gamma-linolenic acid, and antioxidants in patients with ARDS 35 p<.02 ns LOS (days) in ICU Hospital Mortality (%) ns p<.02 New OF (n) 30 NE (98 pts) 25 Control EPA + GLA MV (days) p<.03 20 15 10 5 Gadek JE et al Crit Care Med 1999; 27: 1409-20
Défaillance d’organes Crit Care Med 2006;34:2325 Défaillance d’organes Durée de séjour Étude prospective, randomisée, contrôlée, double aveugle vs placebo
Crit Care Med 2006;34:2325 Survie à J28
LES PROBIOTICS Isolauri E et al, Am J Clin Nutr. 2001;73:444S-450S
Infection acquise Watkinson P et al, Clin Nutr 2007, 26:182
Mortalité Watkinson P et al, Clin Nutr 2007, 26:182
IMMUNONUTRITION ET SEPSIS Potion magique ou Poison ?
Effect of Immunonutrition ICU Infectious Complications (18 trials) Mortality (22 trials) Hospital Stay (17 trials) - 2 - 1 1 Pooled Effect Size 0,1 0,5 5 RR (IC 95%) 0,1 0,5 5 RR (IC 95%) Heyland DK et al, JPEN 2003;27:355-73
Effect of Immunonutrition ICU Pontes–Arruda A et al, Crit Care Med. 2006;34:2325-33.
Effect of Immunonutrition ICU Pontes–Arruda A et al, Crit Care Med. 2006;34:2325-33.
Effect of Immunonutrition ICU Nutriments Population Surgery Critically ill General Septic Trauma Burns ARDS Arginine Benefict no benefict Harm no benefict possible ID Glutamine Benefict Possible Possible iv Benefict EN ID Antioxdt ID Possible ID Possible Possible Possible -3 Benefict Possible ID Possible Possible Benefict Heyland DK et al, ICM 2005; 31:501-503
Effect of Immunonutrition ICU a b 0.05 ITT ns A ce jour, l’évaluation des différents nutriments ajoutés n’a pas fait l’objet d’une démarche scientifique de type pharmacologique à savoir l’évaluation de l’effet des différents composants un par un et les modalités pratiques sont compliquées par les divergences d’avis d’experts, recommandations et guilines basées sur des niveaux de preuve souvent limités
Immunonutrition and ICU On se dirige vers une véritable thérapeutique métabolique spécifique d’organe ou de fonction Recherche actuelle évaluation des effets immunitaires et anti-inflammatoires des pharmaco nutriments Investigation des mécanismes d’action de chaque nutriment Doses, synergie, voie administration - Définir les indications en fonction du bénéfice/coût
CONCLUSIONS L’assistance nutritive doit être une évidence de prise en charge du patient agressé Le concept purement ‘ alimentaire ‘ de la nutrition artificielle est clairement obsolète en situation de stress Le manque d’études à large échelle et de rigueur est à l’origine du flou des diverses recommandations sur la prise en charge nutritionnelle au cours de agression.
CONCLUSIONS Un des grands défis du futur est de déterminer si le support nutritionnel précoce pourra limiter la survenue de la défaillance d’organes et limiter la mortalité du patient agressé Certains grands essais en cours actuellement devraient permettre de nouvelles recommandations chez l’agressé