Introduction au droit comparé Professeur Sophie ROBIN-OLIVIER Ecole de droit de la Sorbonne Année universitaire 2014-2015
PLAN DU COURS Introduction Première partie : Introduction à l’analyse comparative Deuxième partie : Les sources du droit dans les différents systèmes juridiques Troisième partie : Application de la méthode comparative au droit des contrats Conclusion
DEUXIEME PARTIE : LES SOURCES DU DROIT DANS LES DIFFERENTS SYSTEMES JURIDIQUES Chapitre 1. Les rapports entre la jurisprudence et la loi Section 1. La prééminence de la loi dans la famille romano-germanique Section 2. L’importance de la jurisprudence dans la tradition de Common Law Chapitre 2. La place de la Constitution Section 1. Les modèles de justice constitutionnelle Section 2. Le rôle de la Constitution et la question de la souveraineté parlementaire Section 3. Le rôle de la Constitution dans la protection des droits et libertés fondamentaux Chapitre 3. L’influence du droit européen et du droit international Section 1. La variété des effets du droit international en droit interne Section 2. Les méthodes d’incorporation du droit européen en droit interne
Le concept de source du droit Approche conceptuelle de la comparaison ? Objectifs de cette comparaison ? Tester la validité du classement en familles juridiques Répondre / approfondir des questions posées en droit interne (rôle de la constitution, influence du droit international dans le développement du droit…)
Sources et “legal formants” Rodolpho Sacco, “La comparaison juridique au service de la connaissance du droit” (1991) Formants = “facteurs modelant le droit” Ensemble des facteurs qui contribuent aux solutions qui sont et seront retenues Sources du droit au sens formel = sources des règles juridiques = sous-ensemble des “formants”
Les formants implicites ou“Cryptotypes” Non formulés/invisibles pour les juristes nationaux Nécessité de la comparaison pour les faire apparaître Importance : traits permanents du système juridique (loin de la contingences des “règles juridiques”)
Exemples Préférence des juristes français et italiens pour les règles générales et des juristes anglais et américaines pour des règles plus étroites (proches des cas) Importance des traités (text books) pour les civiliste / préférence pour les “case books” pour les common lawyers
Idée : examiner les formants pour mieux comprendre le système juridique qui est le fruit de leur interaction Par ex : désaccords possibles entre loi, jurisprudence, doctrine, pratique… => relativité de la règle La comparaison impose de ne pas s’en tenir à l’un d’entres eux seulement
Ex.: l’offre unilatériale non acceptée lie-t-elle l’offrant en droit français ? Cciv, art. 1108 : “consentement de la partie qui s’oblige” Mais art. 1101 : contrat = accord de volontés = cciv ne permet pas de connaître le droit tel qu’il est appliqué Doctrine : accord de volonté nécessaire sauf exceptions, par ex si destinataire de l’offre n’a aucune raison de refuser car offre faite dans son intérêt exclusif (Demolombe) Cour de cassation : même solution et précise (motifs) que silence peut parfois valoir consentement
Conclusion R. Sacco : il n’existe pas a priori “une” règle de droit que l’on peut identifier mais une variété de références juridiques, contenues dans différentes sources juridiques, qui peuvent se contredire Processus de sélection /interprétation pour pouvoir déceler la règle telle qu’elle est appliquée Importance de la connaissance des sources (legal formants) et de leurs interactions dans les différents systèmes juridiques Elles déterminent le développement du droit
Chapitre 1. Les rapports entre la jurisprudence et la loi Section 1 Chapitre 1. Les rapports entre la jurisprudence et la loi Section 1. La prééminence de la loi dans la famille romano-germanique Section 2. L’importance de la jurisprudence dans la tradition de Common Law
Section 1. La prééminence de la loi dans la famille romano-germanique ? “culte de la loi” en France Idée que la loi est la forme la plus achevée du droit (XVIIIème s.) “Dieu nous garde de l’équité des parlements” Article 5 de la Constitution de l’an III (1795) concernant les devoirs du citoyen : “nul n’est homme de bien s’il n’est franchement et religieusement observateur des lois” Valeur de la loi comme fruit de la volonté générale Statut élevé de la loi dans la hiérarchie de normes Lien entre développement de la loi et Etat providence
§1. Les facteurs historiques §2 §1. Les facteurs historiques §2. La question de l’interprétation de la loi
§1. Les facteurs historiques Importance de la codification dans la famille romano-germanique Influence du droit romain Codifications des XIX et XXèmes s.
L’influence du droit romain Code Justinien (VIème s.) Corpus Juris Civilis
Le digeste Une commission a rassemblé les écrits des juristes pour en extraire des citations et les classer par matière. Recueil méthodique d'extraits des opinions et sentences des juristes romains Cinquante livres, divisés en titres, portant sur l'ensemble du droit privé personnes, propriétés, obligations, droit successoral, la justice et le droit pénal. Chaque titre traite d'une question précise en juxtaposant des citations et en indiquant les solutions proposées par les juristes, mentionnées avec le nom de l'auteur et la référence de l'ouvrage.
Autres parties du Corpus juris civilis Institutes : livre d’introduction pour les étudiants Le code : regroupement systématique de la législation romaine Les nouvelles : législation impériales adoptées après l’achèvement du Digeste et du code
Renaissance du droit romain Université de Bologne, XIème s Enseignement du corpus juris civilis
Glossateurs Exégètes – explication des textes, des mots Auteurs Irnerius (début du XIIème s.), père des glossateurs (glose = annotation du Digeste) Accurse (XIIIème ss.), Grande Glose (rassemble 96 000 annotations) Méthodes Illustration par des cas (fictifs ou tirés de la pratique judiciaire) - Casus Aperçu général sur le contenu de la loi - Summa
Post-glossateurs XIIIème- XIVème s. Adaptation du droit romain au contexte de l’époque – au-delà de l’analyse littérale Bartolus Balde
Diffusion de l’enseignement du corpus juris civilis Juristes formés à Bologne : professeurs, juristes au conseil des princes, des cités, de l’église… Idée : traiter les cas en leur applicant un texte abstrait impératif Droits médiévaux romano-germanique Droit romain renouvelé
Jus commune Droit civil romain + travaux des glossateurs et post-glossateurs + droit canonique Revu, romanisé par la doctrine de l’université de Bologne (Gratius, XIIème s.) Base de construction des droits nationaux
Conclusion Importance des règles abstraites (corpus juris civilis) Importance de la doctrine universitaire
La réception du droit romain Au Moyen-âge, absence d’Etats centralisés et forts Le droit n’est pas une émanation de la souveraineté Diversité des droits qui s’appliquent cours ecclésiastiques : droit canonique tribunaux des corporations : usages du commerce juges : coutume locale puis, si lacune et avec l’aide de la doctrine universitaire, le jus commune
Importance croissante du jus commune Facteurs développement économique Permet de résoudre nombre de nouveaux problèmes posés par une économie plus complexe enthousiasme de la doctrine juridique Application facilitée par une certaine familiarité
Processus de réception le droit privé romain renouvelé (par les travaux des juristes italiens et le droit canonique) quitte l’université pour les cours royales
Variations Italie : l’influence du droit romain était resté si forte que l’on peut à peine parler de « réception » Espagne : forte tension entre le jus commune et les coutumes locale France : différenciation entre les régions du sud et du nord de la Loire
Allemagne Forte influence du jus commune : considéré comme le droit commun de l’empire (XVIème, XVIIème s.) Cour impériale centralisée (1495) : juges tenus d’appliquer le jus commune, sauf preuve d’une coutume ou d’une loi locale (difficulté de cette preuve => application fréquente du droit romain). Faible résistance à l’influence du jus commune dans l’empire germanique : absence de résistance d’un corps de juristes influents, d’une juridiction centralisée ou d’un corps de droit « germanique » besoin de d’unifier le droit face aux difficultés posées par la multiplicité des coutumes locales dans les nombreux petits territoires de la confédération germanique
Conséquence de la réception du droit romain en Allemagne Influence les développements ultérieur de la science juridique (une systématisation du droit beaucoup plus complète qu’ailleurs) Liens étroits entre les juges et l’université jusqu’au XIXè s, les juges font appel à l’expertise des universitaires constitution d’un corps de doctrine, systématisé en traités, reflétant les opinions doctrinales sur des cas soumis à l’université = sorte de droit jurisprudentiel « case law », regroupé dans des œuvres doctrinales
Les codifications européennes Facteurs Politiques (montée des nationalismes, consolidation du pouvoir royal) Idées (code rationnalise le droit - compilation structurée, ordonnée, réfléchie, principes d'un droit universel moderne, par opposition aux règles locales inspirées par des considérations d'opportunité)
Codifications scandinaves XVII et XVIIIème s. Code de Christian V (Danemark - 1683 ; Norvège - 1687) Code du Royaume de Suède dit “code de 1734”
Codes inspirés de la philosophie des “lumières” Exemple du code prusse (1794) Frédéric II, ami de Voltaire Des systèmes juridiques rationnels, systématisés et complets seraient un progrès par rapport au droit traditionnel Rejet du jus commune au profit d’un droit de l’Etat
Echec du code prusse Ambition de régler par le détail tous les aspects des conduites humaines Volonté excessive de précision Ignorance des limites de la loi Absence totale de liberté des juges pour interpréter le code
Le code civil des français Le code civil français Ancien régime 1804 En France, un voyageur change de droit aussi souvent que de monture Voltaire Le code civil des français Napoléon
Méthode Rédaction très rapide (4 mois) Commission composée de 4 juristes éminents (Portalis, Maleville, Bigot de Préameneu, Tronchet) Forme : proche des Institutes de Justinien (personnes, propriété, des différentes manières d’acquérir la propriété)
Influences Jus commune Révolution française (contenu intellectuel, politique et social) Droit coutumier et en particulier la coutume de Paris (écrite au XVIès), Droit naturel Ordonnances royales Doctrine…
Trois piliers idéologiques : la propriété privée, la liberté contractuelle, la famille patriarcale Rôle de l’Etat : protection de la propriété privée, garantir l’exécution des contrats légalement formés, assurer l’autonomie de la famille sous l’autorité du père.
Style style clair, articles concis Pour être compréhensible aux citoyens Manifeste la conscience des limites de la loi, l’idée qu’elle ne peut pas tout prévoir : d’où des règles générales non des dispositions détaillées.
Portalis Discours préliminaire au premier projet de code civil « nous avons été frappés de l’opinion, si généralement répandue, que, dans la rédaction d’un code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout. Tout simplifier est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout prévoir est un but qu’il est impossible d’atteindre. »
Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Qui pourrait penser que ce sont ceux mêmes auxquels un code paraît toujours trop volumineux, qui osent prescrire impérieusement au législateur la terrible tâche de ne rien abandonner à la décision du juge ? … Les besoins de la société sont si variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés et leurs rapports si étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout. Dans les matières mêmes qui fixent particulièrement son attention, il est une foule de détails qui lui échappent, ou qui sont trop contentieux et trop mobiles pour pouvoir devenir l’objet d’un texte de loi. Un code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat. Car les lois, une fois rédigées, demeurent telles quelles ont été écrites ; les hommes , au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent toujours ; et ce mouvement, qui ne s’arrête pas, et dont les effets sont diversement modifiés par les circonstances, produit à chaque instant quelque combinaison nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat nouveau.
Contraste Ouverture de Portalis à une doctrine et une jurisprudence créatrice Méfiance de la doctrine du XIXème s. vis a vis des juges
Le code civil allemand Contexte politique : jusqu’en 1871 (unification réalisée par Bismarck), l’Allemagne demeure une confédération de royaumes, duchés, principautés, villes-Etats… Contexte juridique : au cours de XVIIè et XVIIIè s, la doctrine allemande introduisit progressivement un contenu proprement germanique dans la structure romaniste, pour adapter le droit aux conditions de l’époque
Controverse autour de l’idée du code Thibaut (professeur de droit romain) Pour la défense de l’adoption d’un code sur les modèles français, prusse et autrichien, comme moyen de renforcer l’unification politique Savigny (figure dominante de l’école dite historique) Le droit comme le langage fait partie de la culture, du génie d’un peuple Ne dépend pas de la logique et de principes abstraits de droit naturel Suppose une analyse préliminaire approfondie de l’évolution des institutions allemandes
Le point de vue de Savigny prévaut Abandon au cours de l’approche jus naturaliste des codes préférence pour une science du droit systématisant les concepts et principes issus du droit germanique et du droit romain
Parallèlement : Tentatives pour découvrir dans le droit romain des principes sous-jacents qui pourraient être adaptés Etude approfondie et systématique du Digeste par les juristes allemand (Pandectistes) A partir de l’école historique, approche non historique du droit par les pandectes (croyance en la supériorité et permanente valeur des institutions romaines, considérations sociales, éthiques, économiques et pratiques moins centrales)
Influence pandectiste sur le cciv allemand Solution puisées dans le droit romain, pas toujours satisfaisantes Ex : sur exécution déféctueuse du contrat, rien sur la mauvaise exécution mais seulement retard et impossibilité Ex : responsabilité de l’employeur, pour ses propres fautes seulement, non celles de ses salariés
Méthode Vingt ans de travail 1874 : pré commission pour fixer le plan du futur code et réfléchir à sa méthode d’élaboration La même année : première commission pour rédiger le code. 11 membres : 8 juges et 3 professeurs d’universités G. PLANCK (homme politique libéral devenu haut magistrat) B. WINDSCHEID (professeur d’université, spécialisé en droit romain) + Travail d’harmonisation nécessaire pour rendre homogène l’ensemble des 5 parties. 873 séances communes pour aboutir à une première édition du code Code promulgué en 1896, avec entrée en vigueur 4 ans plus tard (1900)
Style Code pandectiste (ni romain, ni germanique) Précision Utilisation d’un langage particulier Références croisées destinées à mettre en relation les différentes parties du code (système logique clos) construction d’un système destiné à des experts très avertis (ce n’est pas un manuel pour le citoyen) Ni la prolixité du code prusse ni la concision du code français
5 livres Partie générale Obligations Propriété Famille Successions Structure 5 livres Partie générale Obligations Propriété Famille Successions
Partie générale Fruit de l’école pandectiste Abstraite – marque de la préoccupation “scientifique” du code Règles générales (s’appliquent à tout le droit privé sauf raisons propres à un domaine pt) Code = système complet et cohérent de règles
Clauses générales § 242 (livre II) Treu und Glauben § 138 I (livre I) Guten Sitten
Impact des clauses générales Pouvoir donné aux juges Pour adoucir les règles très strictes dans les cas particuliers (justice des cas) Adapter le code aux évolutions sociales, économiques… Voie d’entrée de certains objectifs politiques ou de certaines valeurs Cour constitutionnelle invite les juges à tenir compte des droits fondamentaux dans l’application des clauses générales
Comparaison avec le cciv français cciv français (avant réforme), art. 2279 : “ en fait de meubles, possession vaut titre” Critique allemande : qu’est ce que la possession ? La bonne foi est-elle requise ? A quoi se reconnaît-elle ? Bürgerliches Gesetzbuch, § 937 (Voraussetzungen, Ausschluss bei Kenntnis) “(1) Wer eine bewegliche Sache zehn Jahre im Eigenbesitz hat, erwirbt das Eigentum (Ersitzung). (2) Die Ersitzung ist ausgeschlossen, wenn der Erwerber bei dem Erwerb des Eigenbesitzes nicht in gutem Glauben ist oder wenn er später erfährt, dass ihm das Eigentum nicht zusteht.” Bien plus long et technique …mais répond à l’essentiel des questions que se posent les juristes français