Les quarks dans le proton.

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Transcription de la présentation:

Les quarks dans le proton

Les dimensions caractéristiques du monde microscopique Sur ce transparent sont reportées les dimensions caractéristiques du monde microscopique (au-delà du pouvoir séparateur de nos yeux). Remarquez que si, par un changement d'échelle, on amenait le rayon d'un atome à 1 km, celui d'un nucléon n'atteindrait qu'1 cm. Plus les objets étudiés sont petits, plus les appareils qui permettent d'en connaître la structure sont volumineux ! Pour examiner des molécules, un microscope électronique suffit, et il n'occupe que quelques m2. Pour étudier le noyau atomique, un cyclotron [ici AGOR(1)] tient dans un hall de quelques dizaines de m2. Mais, pour élucider la structure des composants du même noyau, l'accélérateur linéaire à électrons du SLAC(2) près de San-Francisco aux Etats-Unis a une longueur de 3,2 km pour atteindre une énergie de faisceau de 50 GeV. Enfin, pour traquer les constituants ultimes de la matière, il faut des énergies encore plus élevées obtenues par exemple aux accélérateurs du CERN(3). La photo en bas à droite représente une vue d'avion du site du CERN près de Genève. Le pointillé marque la frontière franco-suisse ; le petit cercle indique l'accélérateur SPS(4) (diamètre 2 km), tandis que le grand cercle indique le collisionneur LEP(5) dont le diamètre est de 9 km. La photo montre aussi, au premier plan, la piste de l'aéroport international de Genève-Cointrin, et les petites villes de Ferney-Voltaire et de Saint-Genis. Dans le lointain, on devine les premières pentes du Jura. Le LEP sera remplacé par une machine de même taille, le LHC(6), qui permettra d'atteindre des énergies de 14 TeV (14000 GeV) par collision en 2005. Un tel gigantisme implique des investissements financiers et humains importants. A chaque dimension caractéristique peut être associée une énergie typique, qui mesure la cohésion de l'objet étudié, ainsi qu'une température typique (par exemple, 1 MeV correspond à 10 milliards de degrés). C'est à ces domaines de longueur et d'énergie que s'intéresse l'IN2P3, l'institut du CNRS dans lequel nous travaillons. (1) Accélérateur Groningen-ORsay, cyclotron à aimants supra-conducteurs (2) Stanford Linear Accelerator Center (3) Laboratoire européen pour la physique des particules (anciennement Centre Européen de Recherche Nucléaire) (4) Super Proton Synchrotron (5) Large Electron-Positron Collider (6) Large Hadron Collider (T2)

La structure du proton Comment la matière est-elle constituée ? Le contexte • L'électromagnétisme, une interaction fondamentale bien comprise. • La physique quantique ; la dualité onde-corpuscule ; ses prédictions et ses paradoxes. • Quarks et gluons, les briques élémentaires du noyau atomique. • Succès et limites de la théorie. • Le spin. Un problème de physique • comment les quarks se partagent-ils le spin du proton ? Des expériences décisives • Un accélérateur d'électrons, en Californie… Le dispositif expérimental (E-142) • Un détecteur • Un faisceau d'électrons polarisés obtenu à partir de lasers. • Une cible d'hélium polarisé Les résultats Le futur • un accélérateur plus intense pour mieux comprendre la structure du proton Nous abordons ici quelques aspects des recherches actuelles sur la structure du proton, le plus simple des noyaux atomiques. Après quelques éléments théoriques, nous montrons comment étudier expérimentalement cette structure. On décrit une expérience récente qui a amené des résultats surprenants sur le spin (ou moment cinétique intrinsèque) du proton. On conclut par la description d'un projet de nouvel accélérateur destiné à éclairer ces questions. (T3) Comment la matière est-elle constituée ? Comment les physiciens unissent-ils leurs efforts pour explorer l’infiniment petit ? Par exemple, ils sondent le proton à l’aide d’électrons.

L’électrodynamique, une interaction fondamentale bien comprise On connaît bien l’électron L’électrodynamique, une interaction fondamentale bien comprise Comme la gravitation, l’interaction électromagnétique est de portée infinie, mais son intensité est très supérieure à celle de la gravitation. Elle sous-tend la structure des assemblages élémentaires : l’atome, les molécules biologiques ou non, les cristaux... Elle est responsable de la cohésion des objets macroscopiques et de leurs propriétés électriques, optiques et magnétiques mais aussi mécaniques ou acoustiques. C’est ce qu’a permis de comprendre la physique du XIXe siècle. Comprendre, de plus, qu’une seule et même interaction décrit les phénomènes lumineux, magnétiques, électriques, les ondes radio ou les rayons X, la liaison chimique et même la structure des liquides et des solides, témoigne de l’effort constant des physiciens pour unifier des interactions qui paraissent à première vue bien différentes. Deux étapes essentielles de cette unification ont été : • l’unification de l’électricité et du magnétisme quand Ampère a reconnu dans le mouvement des charges électriques la cause du magnétisme, • la synthèse opérée par Maxwell incorporant l’optique dans l’électro-magnétisme (théorie ondulatoire de la lumière). L’avènement de la mécanique quantique, au début du XXème siècle, amena l’élaboration d’une version quantique (appelée électrodynamique quantique) de l’électromagnétisme classique. (T4) Il est élémentaire Sa masse est : m = 9,11.10 -31 kg Sa charge est : e = -1,6.10 -19 C Il se comporte comme une toupie, on appelle cette propriété intrinsèque : le spin Il interagit en échangeant des photons (grains de lumière). On sait calculer avec une grande précision les effets de cette interaction.

Physique quantique La physique quantique ; la dualité onde-corpuscule Dès 1905, pour expliquer l’effet photo-électrique, Albert Einstein a proposé qu’aux ondes lumineuses soient associés des corpuscules : les photons. En 1923, Louis de Broglie a renversé cette proposition : les particules matérielles peuvent se comporter comme une onde. Deux chercheurs américains (Davisson et Germer) ont confirmé que, lorsqu’il traverse un cristal, un pinceau d’électrons pouvait, comme une onde, donner naissance à une figure de diffraction. Cette dualité onde-corpuscule est maintenant d’expérience courante. Une particule est ainsi décrite par une “ fonction d’onde ”, qui permet de prédire son évolution, ses propriétés physiques à un instant donné, etc... Mais ce comportement quantique introduit aussi des indéterminations, et par exemple, interdit d’associer une trajectoire précise au mouvement de l’électron. La physique quantique a pris sa forme actuelle en 1927 lorsque le physicien anglais Paul Dirac a rendu le comportement quantique cohérent avec le principe de relativité. Dans cette version, les particules portant une charge électrique peuvent émettre ou absorber des particules neutres (les photons, ou corpuscules de lumière). L’interaction électromagnétique se réduit ainsi à des actions de contact résultant d’un échange de photons, émis et absorbés par des particules chargées. Dirac a prédit l’existence de l’antimatière (c’est-à-dire de particules quasi-identiques à celles que nous connaissons, mais capables de s’annihiler avec ces dernières, en libérant du rayonnement), et le contenu complexe et actif du vide. L’émission et l’absorption de photons s’accompagnent de processus d’excitation du vide par création de paires électron-antiélectron, qui ne peuvent généralement survivre qu’un temps extrêmement bref. Tout l’électromagnétisme se résume au couplage(1) des particules chargées au photon, à la propagation de ces particules, et à l’excitation incessante du vide, réservoir de particules et d’antiparticules prêtes à se matérialiser. (1) On entend par couplage d’une particule à une autre, la possibilité d’émission ou d’absorption de cette particule par l’autre (T5) La physique «classique» n’est pas adaptée aux atomes, particules... Dualité onde-corpuscule une onde lumineuse est aussi un PHOTON un électron est aussi une ONDE Ceci implique de nombreuses propriétés paradoxales, bien vérifiées expérimentalement... Ainsi le spin de l’électron est égal à -h/4p ou à h/4p mais ne prend aucune valeur intermédiaire h = 6,62.10 -34 J.s

Quarks et gluons, briques élémentaires du noyau atomique 1968 : expériences au SLAC, accélérateur linéaire de Stanford. Quarks et gluons, briques élémentaires du noyau atomique On sait que le noyau de l’atome est un assemblage de protons et de neutrons, dont la cohésion est assurée par une interaction extrêmement intense (mais de très courte portée), l’interaction nucléaire forte. Dès le début des années 60, des théoriciens soupçonnaient que le proton n’était pas un composant élémentaire, et l’un d’eux, Murray Gell-Mann (prix Nobel de physique en 1969), avait nommé “ quarks ” ses éventuels composants, sans qu’on ait encore pu leur attribuer de réalité physique. En bombardant, en 1968, des protons par des électrons d’énergie élevée (une vingtaine de GeV), les physiciens (dont Jerome Friedman, Henry Kendall et Richard Taylor, prix Nobel de physique 1990 pour ces résultats) ont répété, avec l’accélérateur linéaire de Stanford (Californie), l’expérience qui avait permis à Rutherford au début du siècle de mettre en évidence le noyau dans l’atome : ils ont observé que les électrons frappant le proton sont parfois violemment déviés, comme s’ils avaient heurté de front des sous-constituants ponctuels. Ces expériences révélaient la structure du proton, assemblage de quarks chargés électriquement ; pour décrire l’interaction qui les lie, on a de nouveau recours à des particules, appelées gluons. On pense depuis avoir compris comment ces particules élémentaires interagissent, selon les lois de la chromodynamique, une nouvelle théorie quantique dont les prémisses sont les suivants : • de même que des particules doivent être chargées électriquement pour interagir par les lois de l’électromagnétisme, les quarks portent une charge dite de couleur, pouvant prendre trois valeurs élémentaires (bleu, vert et rouge par exemple) ; le terme de couleur a été choisi par analogie avec le caractère ternaire des teintes fondamentales,... mais il n’a rien à voir avec la palette des peintres. • les antiquarks (antiparticules des quarks, et donc constituants principaux de l’antimatière) portent une anti-couleur. • l’interaction forte résulte de l’échange incessant de gluons, de même que l’attraction ou la répulsion électrique résulte de l’échange de photons entre particules chargées. • le proton (comme le neutron) est un ensemble blanc (sans couleur), c’est-à-dire une superposition de quarks, d’antiquarks et de gluons de couleurs différentes, comme la lumière blanche se révèle dans un prisme la superposition de couleurs différentes. (T6) Le proton (et le neutron) sont constitués de particules élémentaires : les quarks et les gluons Les quarks étant chargés (e/3, -2e/3) ont une interaction électromagnétique comme les électrons Quarks et gluons interagissent par interaction forte. Ils ne sont jamais observés isolés. Comment quarks et gluons fabriquent-ils le proton ?

Succès et limites de la théorie Dans un proton, combien de quarks et de gluons ? Réponse quantique : Proton = superposition d’états à divers contenus en quarks et gluons Succès et limites de la théorie Cette chromodynamique quantique a remarquablement passé l’épreuve de nombreuses expériences et est acceptée par tous les physiciens. Mais on n’arrive pas encore à rendre compte en termes simples d’une propriété remarquable des quarks et des gluons : le mécanisme qui les confine dans le proton et fait qu’on n’observe jamais un quark ou un gluon libre hors d’un proton. Il peut paraître paradoxal que la théorie soit avérée quand elle ne peut décrire les états les plus simples - proton et neutron - par l’interaction de quarks et de gluons. Ceci est dû à de remarquables propriétés de la théorie, qui permettent de comparer des rapports de quantités expérimentalement mesurables aux résultats de calculs faits au niveau des quarks et des gluons, bien qu’une propriété essentielle comme le confinement de ces particules dans le proton n’est pas reproduite. Reste donc aux physiciens à explorer finement la structure du proton pour comprendre un des problèmes les plus difficiles qui nous soient posés. Dans ce cadre, une série d’expériences de diffusion d’électrons (ou de muons - des électrons lourds-) sur des protons et des neutrons polarisés a été menée ces dernières années au SLAC de l’Université Stanford, en Californie, et au CERN, le laboratoire européen installé de part et d’autre de la frontière franco-suisse, près de Genève. (T7) Cf. musique : une note = superposition d’une fondamentale et d’harmoniques

Le spin L’électron, le proton et le neutron et, semble t-il toutes les La rotation sur lui-même d’un solide classique, une toupie ou une planète par exemple, se mesure par son moment cinétique (proportionnel à la vitesse de rotation w). Mais une difficulté se présente ici : les électrons, les muons, les quarks sont des objets dont on n’a jamais pu montrer expérimentalement qu’ils n’étaient pas ponctuels (par opposition au proton, dont le rayon est de l’ordre du femtomètre, qui vaut 10-15m), et la notion de rotation n’a pas de sens pour un objet ponctuel. Pourtant, l’expérience montre que toute particule possède un moment cinétique intrinsèque (appelé spin, du verbe anglais signifiant tourner) qui ne prend que des valeurs discrètes 0, h/4p, h/2p, 3h/4p..., où h est la constante de Planck (celle qui relie l’énergie E d’une onde à sa fréquence n par E = hn). Par exemple, de nombreux effets observables montrent qu’un électron, un quark, un proton ou un neutron ont tous des spins égaux à h/4p, le spin du photon et du gluon ayant une valeur double. Ceci signifie que proton ou neutron peuvent être dans deux états distincts de spin, qu’on note souvent droite et gauche en faisant allusion au sens de rotation d’un tire-bouchon pour droitiers ou gauchers. Le spin du proton et celui de l’électron déterminent les propriétés magnétiques de la matière ; on le conçoit aisément lorsqu’on se souvient qu’une charge électrique en rotation sur un cercle se comporte comme un petit aimant. Dans le cas du photon, le spin est plutôt relié à une autre propriété de la lumière, sa polarisation (source de fortune pour les opticiens qui ont inventé les verres polarisés éliminant les reflets gênants). La photo ci-contre montre Niels Bohr (à droite) et Wolfgang Pauli (à gauche) observant attentivement le mouvement d’une toupie (T8) L’électron, le proton et le neutron et, semble t-il toutes les particules élémentaires sont des mini toupies mais des mini toupies quantiques

Lorsque le proton est soumis à un champ magnétique, son spin s’aligne sur la direction du champ. Le spin de ses constituants s’oriente t-il préférentiellement dans les directions du spin du proton ? Un problème de physique : comment les quarks contribuent-ils au spin du proton ? Il s’agit de comprendre comment le mouvement et les interactions de ses constituants élémentaires vont engendrer le spin du proton (se souvenir que celui-ci a une valeur fixe). Sans de nombreuses hypothèses simplificatrices, dont la pertinence doit être confrontée aux données expérimentales, la théorie ne permet pas de calculer la proportion de moment cinétique apportée par les divers quarks et gluons. L’ensemble de ces hypothèses forme ce qu’on appelle un modèle. En voici un exemple (trop simple) : L’hypothèse des quarks, avancée dans les années 60, venait de l’observation de régularités dans la liste des états de diverses particules, et aussi d’arguments de symétrie. Le modèle correspondant décrivait le proton comme un assemblage de trois quarks (deux quarks notés u (de charge -2e/3) et un quark noté d (de charge e/3), distants de quelques fractions de femtomètres, et liés par l’interaction forte encore mystérieuse, toutes les propriétés du proton - dont le spin - se partageant entre ces constituants. La compréhension des interactions fortes apportée par la chromodynamique quantique implique que ces trois quarks (appelés quarks de valence) baignent constamment au milieu de gluons et de paires quark-antiquark (dues aux fluctuations du vide décrites page 4). Les premières expériences ne donnaient aucune indication sur la façon dont le spin du proton s’obtient à partir de ces différents acteurs. On admettait que le spin était dû, à peu près exclusivement, aux quarks de valence ; les effets des gluons et des paires quark-antiquark devant -pensait-on- se moyenner à zéro. Cette image allait se révéler fausse. (T9)

Des expériences décisives Principe de l’expérience Des expériences décisives Comment procéder ? L’idée générale est la suivante : il est possible expérimentalement de contraindre le proton à aligner son spin le long d’une direction donnée ; l’expérience va essayer d’atteindre les quarks constituants du proton, et de mesurer leur contribution au spin du proton. Pour ceci, il est indispensable de disposer d’un faisceau incident de haute énergie et de polarisation bien connue. Sur ce problème, une équipe européenne obtint au CERN en 1988 des résultats expérimentaux surprenants, déclenchant ce qu’il a été convenu d’appeler la crise du spin. Ces données, malheureusement peu précises, indiquaient que les trois quarks de valence ne se souvenaient guère de l’orientation du spin du proton : l’image donnée par le trop simple modèle des quarks se révélait trompeuse. L’importance de ce résultat nécessitait qu’une nouvelle génération d’expériences le confirme et l’affine. C’est ce que deux équipes ont accompli de façon indépendante de 1992 à 1995 ; elles ont clairement établi que le spin du proton n’est que pour une faible part porté par les quarks de valence, ce qui confère aux gluons un rôle jusque-là largement sous-estimé. L’expérience américaine (à laquelle ont participé des physiciens de laboratoire de Clermont-Ferrand et du CEA de Saclay) utilisa comme projectile le faisceau d’électrons du SLAC, l’accélérateur linéaire de Stanford. L’équipe européenne (enrichie en retour de quelques physiciens américains) comprenait une forte composante française. Elle opta pour un faisceau secondaire de muons (semblables aux électrons, mais de masse deux cent fois supérieure), produits de collisions de protons accélérés dans le super synchrotron à protons du CERN. Ces particules ont une énergie plus élevée que celle des électrons de Stanford, mais leur faisceau est de bien moindre intensité (T10) électron dévié détecteur électron proton collision électron-proton = interaction électromagnetique électron-quark

Une expérience récente Nous allons maintenant présenter quelques éléments de l’expérience réalisée au SLAC. Une question Un site expérimental (accélérateur) Une collaboration internationale de physiciens >> cible >> détecteur >> informatique

L’accélérateur linéaire de Stanford Un accélérateur d’électrons, en Californie… L’Université de Stanford, à quelque 50 km au sud de San Francisco, est une université renommée. Des chercheurs y approfondirent, dans les années 1930, l’idée de construire un accélérateur linéaire d’électrons. C’était chose faite en 1953, avec une machine prototype de 60m de long. En 1959, la construction à quelques mètres sous terre d’un “ monstre ” de 3,2 km de long fut recommandée. En 1967, l’accélérateur du SLAC entrait en opération. Depuis 30 ans, il est le moteur d’un grand nombre d’expériences de physique fondamentale, et a ainsi pu servir une large communauté de scientifiques, non seulement grâce au programmes “ cible fixe ”, en tir direct, mais aussi comme injecteur de plusieurs anneaux de collisions électron-positon construits au SLAC. Ces dix dernières années une version largement transformée de l’accélérateur a également permis la mise en oeuvre et l’exploitation du premier collisionneur linéaire électron-positon. Les électrons y sont “ portés ” par une onde radio de haute fréquence dont ils prennent l’énergie. Cette onde est engendrée par une source de puissance extérieure (constituée d’un klystron et d’un modulateur) et se propage dans une chaîne de cavités cylindriques en cuivre d’une douzaine de centimètres de diamètre chacune. Le principe est le suivant : pour accélérer une particule chargée, il faut un champ électrique, par exemple produit par une tension V entre deux plaques de condensateur ; mais pour que la particule passe et continue son chemin, il faut que les plaques soient percées chacune d’un trou ; l’évolution technique naturelle est de remplacer les plaques trouées par deux anneaux placés dans le tube à vide ; le premier mis au potentiel 0, le deuxième à +V le plus élevé possible sans claquage. Si l’on veut continuer d’accélérer, il faut mettre un troisième anneau et très précisément à l’instant où la particule passe le deuxième mettre le potentiel de celui-ci à 0 et celui du troisième à +V, et ainsi de suite... Les anneaux sont groupés par 4 ou 6 ; la tension entre deux anneaux consécutifs doit donc varier très rapidement de 0 à V ; il faut donc qu’ils fassent partie d’un circuit oscillant du type R L C. La self (L) est la cavité ; c’est une sphère et non un bobinage car à ces fréquences, ce ne sont pas des courants mais plutôt des ondes qui se propagent entre la sphère et les deux anneaux. Lorsqu’ils atteignent les stations expérimentales situées quelques 3 km plus loin, les électrons ont acquis une énergie de plusieurs dizaines de GeV et leur vitesse est pratiquement égale à celle de la lumière. (T12)

Le dispositif expérimental E 142 Les détecteurs Leur rôle est d’identifier les particules émises, à un angle donné, au cours de la collision entre électrons et protons ou neutrons du noyau cible et de mesurer leur énergie. Pour cela, on installe derrière la cible des systèmes d’aimants, appelés spectromètres magnétiques. Dans ceux-ci, seules les particules chargées, émises dans un certain domaine angulaire, et avec une certaine quantité de mouvement, vont pouvoir suivre une trajectoire imposée. Mais ceci n’est pas suffisant pour nous assurer qu’il s’agit d’un électron qui a réellement “ vu ” un quark du noyau. C’est pourquoi, après les spectromètres, la casemate contient des détecteurs supplémentaires, permettant d’identifier complètement ces particules : un détecteur dans lequel seuls les électrons vont émettre une lumière bleue par effet Tcherenkov (cet effet du nom de Pavel Tcherenkov, physicien russe qui l’a découvert en 1934, est semblable à une onde de choc causée par le passage dans un milieu d’une particule chargée très rapide ; il est analogue au “ bang ” sonore dû à la propagation des ondes sonores émises par un avion supersonique ; dans les deux cas, l’effet résulte de l’interférence constructive qui se produit lorsque la source se déplace à une vitesse supérieure aux ondes émises. Il est responsable de la couleur bleue des piscines entourant les réacteurs nucléaires), des scintillateurs qui, comme les chambres de Charpak (physicien français, prix Nobel 1992 pour sa contribution majeure au développement des détecteurs de particules), permettront de reconstruire la trajectoire de la particule, enfin un calorimètre où la particule va s’arrêter en déposant tout ou partie de son énergie. La confrontation des informations fournies par ces différents détecteurs va permettre de constituer la carte d’identité de la particule (nature, énergie, angle d’émission...). Dans l’expérience E-142, ce sont les électrons diffusés par les composants chargés de la cible qui étaient ainsi recherchés, identifiés, et dont les caractéristiques physiques étaient mesurées. (T13)

Une source d’électrons polarisés Un faisceau polarisé obtenu à partir de lasers Dans un faisceau polarisé, les spins des particules incidentes (ici les électrons) sont orientés préférentiellement dans une direction, par exemple la direction du faisceau. La lumière est une onde électromagnétique qui peut aussi être polarisée. Le principe de la production d’un faisceau d’électrons polarisés est d’éclairer un cristal (d’arséniure de gallium) avec un faisceau laser intense. L’énergie du faisceau laser est juste celle nécessaire pour exciter les électrons vers un état d’énergie d’où un champ électrique peut aisément les extraire du cristal. Lorsque le faisceau laser est polarisé, seuls les électrons dont le spin a une orientation donnée vont peupler cet état. Les électrons ainsi arrachés sont ensuite guidés par des champs magnétiques, accélérés par des champs électriques, et injectés dans l’accélérateur. A sa sortie, jusqu’à 90% des électrons ont leur spin parallèle à la direction du faisceau. (T14)

Une cible d’hélium polarisé On a vu plus haut la nécessité, pour des mesures significatives, d’avoir des protons (ou plus généralement des noyaux cibles) polarisés. Il ne s’agit plus ici de polariser des électrons arrachés avant d’être accélérés, mais de polariser les protons et les neutrons d’une cible. Il existe pour cela plusieurs techniques qui toutes transfèrent la polarisation des photons d’un faisceau laser aux électrons d’un atome, puis aux protons ou neutrons du noyau de cet atome. Par exemple, pour polariser des neutrons, on mélange dans une cellule des atomes d’un mélange gazeux de rubidium et d’hélium 3 (3He), l’isotope de l’hélium dont le noyau comporte 2 protons et un neutron. Les électrons des atomes de rubidium sont aisément polarisés à l’aide de puissants lasers. Cette polarisation est ensuite transmise au neutron du noyau d’hélium 3, par les seuls chocs entre atomes de rubidium et atomes d’hélium dans la cellule. (T15)

Résultats de deux expériences - Celle du SLAC en Californie - Celle du CERN près de Genève Les résultats Les premières analyses présentées par les deux équipes divergeaient sensiblement. Chaque collaboration a dû affiner cette analyse et réduire les incertitudes systématiques sur les mesures pour qu’une conclusion claire puisse être tirée en 1995. Ce résultat est le suivant : les quarks de valence ne portent que quelque 30% du spin du proton. Ce résultat n’est absolument pas compatible avec le modèle trop simple présenté plus haut, dans lequel les gluons échangés par les quarks et les paires quark-antiquark issues du vide seraient quasi-insensibles à l’orientation du spin du proton dans son ensemble. Au contraire, le résultat obtenu paraît attribuer aux paires quark-antiquark et aux gluons l’origine de la majorité du spin du proton, même si une part peut-être non négligeable provient du mouvements des quarks à l’intérieur du proton. De manière comparable, les quarks de valence ne portent qu’environ 50% de la quantité de mouvement du proton. Il n’est pas possible de déduire directement de ce type d’expériences quelle fraction du spin du proton est portée par les gluons, car la sonde utilisée est un photon (et non pas l’électron incident : celui-ci a émis un photon, et c’est ce photon qui interagit directement avec d’autres particules chargées électriquement) ; l’expérience n’est donc pas sensible aux contributions des gluons, neutres électriquement. Un programme complémentaire se met en place, en particulier au grand accélérateur de Brookhaven, dans l’île de Long Island près de New York. Il étudiera très prochainement des collisions entre protons polarisés, sensibles aux contributions des gluons, et permettra d’affiner les résultats qu’on vient d’obtenir en mesurant précisément la contribution particulière des gluons. (T16) Dans la superposition : q1q2q3 + q1q2q3 g + q1q2q3 (qq)4+... les quarks de «valence» q1q2q3 ne portent que 30% du spin du proton Les gluons portent-ils le reste ? Faut-il imaginer d’autres effets ? Comprendre comment les quarks et gluons construisent le proton nécessite de passer à une deuxième génération d’expériences Décidément, le proton n’a rien d’élémentaire

Le futur Première voie d’attaque : isoler et analyser des Comprendre la structure du proton est un défi Le caractère surprenant (pour les experts en la matière) des résultats expérimentaux, en particulier la faible fraction du spin du proton portée par les quarks, montre à quel point la structure de la matière, au niveau microscopique, est encore mal comprise. Dans le cas du proton, ce n’est pas le contenu de cette matière qu’on ignore, mais la façon dont ses constituants s’assemblent. Comment le mouvement de trois quarks (de valence) et d’une assemblée de quarks, d’antiquarks et de gluons peut-il maintenir le spin du proton à une valeur fixe? Comment s’assemblent-ils? Pourquoi les particules portant une couleur (les quarks et les gluons) n’apparaissent-ils jamais de façon isolée ? Pourquoi faut-il qu’ils s’assemblent toujours en objets “ blancs ” (comme le proton) ? C’est ce qu’on appelle le problème du confinement des quarks et des gluons. On ne pourra prétendre avoir compris l’interaction nucléaire tant que ce mécanisme reste si mal compris. Pour soulever un coin du voile de ce mystérieux et complexe processus d’assemblage, des physiciens européens proposent de construire un accélérateur à haut flux d’électrons pour sonder la matière nucléaire : c’est le projet ELFE qui pourrait être couplé à la réalisation dans les années 2010-2020 d’un grand collisionneur linéaire électron-positon à Hambourg. En attendant, les physiciens européens participent aux expériences du nouvel accélérateur supraconducteur à électrons construit en Virginie (Etats-Unis) ; bien que l’énergie des électrons y soit un peu trop faible (moins de 10 GeV), l’intensité des faisceaux y est tellement exceptionnelle que la moisson des résultats qu’on commence à y obtenir permet d’espérer de grandes découvertes. Le futur : un accélérateur plus intense pour mieux comprendre le proton. L’idée de base est d’étudier les corrélations (c’est-à-dire ce qu’il y a de similaire dans le mouvement de 2, 3,... plusieurs quarks dans les protons), et non plus de s’intéresser au spin porté par l’un d’eux. On pense ainsi avoir accès à des processus certes rares, mais d’interprétation commode, et mieux comprendre alors comment la nature construit protons et neutrons à partir des quarks, des antiquarks et des gluons. (T17) Première voie d’attaque : isoler et analyser des configurations simples en sélectionnant l’état des débris :

Les expériences au Thomas Jefferson national Laboratory L’accélérateur d’électrons Cebaf, en fonctionnement au laboratoire Thomas Jefferson (TJNAF) en Virginie (Etats-Unis), est un outil privilégié d’exploration de la structure des nucléons (protons et neutrons) et des noyaux légers. Opérationnel depuis 1997, il délivre un faisceau intense et continu dans trois halls expérimentaux simultanément, à des énergies de 1 à 6 GeV et avec une forte polarisation. La diffusion d’électrons permet d’étudier un nucléon, soit comme un objet unique mais composite, soit comme un ensemble de quarks et de gluons ; on peut ainsi explorer la structure interne des nucléons jusqu’aux quarks qui y sont confinés et mieux comprendre les propriétés de l’interaction forte qui lie ces quarks entre eux. Cette méthode présente le grand avantage d’être très sélective car elle permet de choisir les degrés d’impulsion, d’énergie et de polarisation transférés à la particule cible. Les physiciens de l’IN2P3 participent à de nombreuses expériences de physique à TJNAF, notamment sur la structure du proton. Ils ont aussi apporté une forte contribution à la conception et à la construction des instruments de détection. Pour le futur, il est envisagé que l’énergie de l’accélérateur soit portée à 12 GeV. (T18) T18