Dynamiques économiques et sociales à Bruxelles

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Transcription de la présentation:

Dynamiques économiques et sociales à Bruxelles Gilles Van Hamme, IGEAT Inter-environnement, 02-03-2015

Introduction On s'interrogera sur la relation entre les dynamiques économiques et la question sociale à Bruxelles : Comment a évolué l'économie bruxelloise ? Pourquoi le chômage reste-t-il à un niveau si élevé ? Pourquoi des inégalités fortes ? On discutera ensuite brièvement des réponses politiques privilégiées au niveau régional

Le cadre spatial: Les 5 grandes villes et leur bassin d’emploi

I. Des croissances assez élevées jusqu'à la crise ? Bruxelles bénéficie depuis les années 1990 de croissances économiques relativement élevées : Re-concentration de certaines activités stratégiques ; Avantage de la diversité ; Rôle d'interface et de nœuds de réseaux dans l'économie globale. Toutefois, la reprise bénéficie principalement aux périphéries. Mais le centre de Bruxelles (la RBC) connaît des croissances supérieures à celles des autres centres ; La crise marque un coup d'arrêt brutal à la bonne santé relative de l'économie bruxelloise.

Croissance du PIB des grandes villes belges, 1995-2008

Croissance du PIB des grandes villes belges, 2000-2013 VA 2000-2013 2000-2008 2008-2013 Bruxelles (Bassin) 1,36 2,16 0,09 dont Centre (RBC) 1,17 1,82 0,13 dont Périphérie 1,70 2,77 0,01 Anvers (arr.) 0,98 1,27 0,52 Anvers (prov.) 1,26 1,68 0,58 Gand 1,47 2,02 Charleroi 0,54 1,43 -0,88 Liège 0,94 1,50 0,06

II. Une polarisation sociale croissante 1. A l’instar de nombre de grandes villes européennes, les inégalités ont augmenté à Bruxelles au cours de deux dernières décennies; 2. Plus grave, des indices montrent la dégradation de la situation des plus démunis ; 3. Des processus contradictoires après la crise : diminution des revenus qui passe d'un indice 84 à 80 par rapport à la Belgique ; diminution du coefficient interquartile (107 à 104) mais avec une hausse de l'asymétrie interquartile.

Des inégalités sociales croissantes Évolution absolue du coefficient de Gini, 1985-2006

Évolution relative du premier décile de revenus, 1985-2006 2. La situation des plus mal lotis s’est empirée de manière relative mais aussi absolue (avant la crise).

III. Pourquoi une telle polarisation malgré une reprise économique? On peut émettre plusieurs types d'explications, aucunement exclusives : Les politiques de redistribution (fiscalité vs. Sécurité sociale) --> difficile à mesurer ; Les évolutions démographiques : diminution de la taille des ménages ; croissance de la population, en particulier par l'immigration extérieure ; Une croissance économique tirée par le haut qui n'intègre pas les personnes peu qualifiées Des évolutions géographiquement déséquilibrées.

ii. Les évolutions sociales et démographiques 1. Une population en forte croissance Source : Baromètre social, Observatoire de la Santé et du Social, 2014

Cette croissance démographique est liée à : l'émigration extérieure, en particulier issue des pays pauvres ; des natalités relativement élevées (population plus jeune, fécondité encore un peu plus élevée dans les populations issues de l'immigration). vs. la périurbanisation s'est poursuivie à un rythme élevé --> augmentation de la population active Source : Baromètre social, Observatoire de la Santé et du Social, 2014

La taille des ménages n'a cessé de décroître et elle est encore plus faible à Bruxelles (2,1 au lieu de 2,3) : - plus ménages isolés ; - plus de ménages monoparentaux. --> facteurs qui augmentent les risques de pauvretés (en particulier les femmes seuls avec enfants). Source : Statbel

iii. La nature de la croissance économique à Bruxelles La croissance économique à Bruxelles a privilégié les personnes qualifiées : - en moyenne les professions peu qualifiées ont diminué alors que les professions qualifiées augmentent ; - les croissances économiques à Bruxelles sont peu créatrices d'emplois jusqu'à la crise ; - avec la crise, il n'y a plus de croissance économique.

Croissance du PIB et de l'emploi des grandes villes belges, 2000-2008-2013 Emplois 2000-2013 Emplois 2000-2008 Emplois 2008-2013 PIB 2000-2013 2000-2008 2008-2013 Ratio2000-2013 Ratio2000-2008 Ratio2008-2013 Bruxelles (Bassin) 0,77 0,95 0,46 1,36 2,16 0,09 0,56 0,44 5,30 dont Centre (RBC) 0,57 0,64 1,17 1,82 0,13 0,49 0,35 3,52 dont Périphérie 1,11 1,51 1,70 2,77 0,01 0,65 0,54 46,66 Anvers (arr.) 0,68 0,98 0,11 1,27 0,52 0,70 0,20 Anvers (prov.) 0,87 1,25 0,21 1,26 1,68 0,58 0,69 0,75 0,36 Gand 1,16 1,44 0,72 1,47 2,02 0,79 0,71 1,23 Charleroi 0,45 0,94 -0,34 1,43 -0,88 0,83 Liège 0,60 0,85 1,50 0,06 3,41

iv. Les déséquilibres géographiques renforcent les difficultés à Bruxelles Les croissances économiques bénéficient d'abord aux périphéries alors que les populations plus précaires sont concentrées dans le centre --> à Bruxelles, les questions politiques et linguistiques rendent cette difficulté plus aiguë ; Les populations précaires sont particulièrement concentrées sur une partie du centre de la ville ; Les quartiers centraux pauvres et moyens pauvres ont vu leur situation se dégrader par rapport au reste de la ville : - forte croissance de la population ; - immigration extérieure massive alors qu'elle est modérée sur le reste de la ville ; - chômage stagnant mais croissance des allocataires sociaux vs. une partie de la ville (sud-est riche) a une population stagnante.

Croissance du PIB et de l'emploi dans le centre et les périphéries des grandes villes belges, 1995-2008

Secteurs défavorisés de Bruxelles Bruxelles large Secteurs défavorisés de Bruxelles 2005 2010 Evol. Population 1773458 1919962 8,3 671305 760589 13,3 Revenu (Bel = 100) 104,7 101,8 -2,8 70 69,5 -0,5 Nés dans un pays pauvre 10,2 13,4 + 3,2 25,5 32,2 + 6,7 Taux de chômage 9 8,7 -0,3 19,5 19,2 Taux d'allocataires sociaux 2,1 2,6 +0,5 6,9 +2,1

III. Les insuffisances des réponses par la formation « alors que les employeurs y cherchent en moyenne 33% de diplômés du supérieur, 30% de diplômés du secondaire supérieur, et 37 % du primaire ou du secondaire inférieur, le profil des chômeurs ne suit pas cette répartition, puisque les proportions y sont respectivement de 11%, 19% et 70%.   « Tant que subsistera ce hiatus, le taux de chômage ne descendra pas en dessous de 20% à Bruxelles » signale Dominique Michel[1] [1] ex-Président d’Agoria Bruxelles.

Un discours patronal relayé par les pouvoirs publics « Une des difficultés principales en matière de réduction du chômage provient de l’inadéquation des profils des demandeurs d’emploi par rapport aux besoins des entreprises » (« Contrat pour l’économie et l’emploi » de la Région de Bruxelles-Capitale, 2005, p.39).  Ce discours repose sur une extrapolation abusive de constats portés au niveau individuel

III.1. Une extrapolation abusive de constats portés au niveau individuel Au niveau individuel, la probabilité de chômage diminue avec le niveau de diplôme. Au niveau « macro » (agrégé), cette relation ne tient plus Approche comparative : taux de chômage des villes indépendant du niveau de diplôme de la population Approche temporelle : au niveau bruxellois, l’amélioration des niveaux moyens de formation ne s’est pas traduite pas une baisse du chômage Approche « microéconométrique »: le surcroît de chômage des Bruxellois (par rapport au reste de la Belgique et d’autres « villes-régions » européennes) est indépendant du niveau de diplôme (Marion Englert)

Tableau 1. Taux de chômage par niveau de diplôme en Région de Bruxelles-capitale et dans l’ensemble de la Belgique en 2012 Source : Observatoire bruxellois de l’emploi (sur base de l’Enquête Force de Travail)

1. Une extrapolation abusive au niveau collectif: au niveau belge, les comparaisons entre les bassins d’emploi ne confirment pas une relation entre les niveaux de qualification et le taux de chômage

2. Dans le temps, la nette amélioration du niveau moyen de formation à Bruxelles ne s’est pas traduit par une baisse du chômage Evolution du taux de chômage et de la part des diplômés de niveau élevé dans la population active à Bruxelles entre 1992 et 2009 Source : Enquêtes sur la Force de travail et calculs propres NB : La part des diplômés de niveau élevé dans la population active entre 1993 et 1999 a été estimée sur base du taux de croissance annuel moyen entre 1992 et 2000

Evolution de la répartition des DEI bruxellois par niveau de Résultats : les chômeurs sont de plus en plus formés Evolution de la répartition des DEI bruxellois par niveau de diplôme de 1992 à 2009 Source: Observatoire Bruxellois de l’Emploi (données administratives) et calculs propres

Deux interprétations contradictoires du chômage de masse : Inadéquation des qualifications ou déqualification en cascade? Inadéquation des qualifications: la main-d’œuvre serait trop peu formée par rapport à la demande Déqualification en cascade: niveau insuffisant d’offres d’emploi qui se répercute in fine sur les moins qualifiés → Le fait que les taux de chômage des peu qualifiés sont – en général – plus élevés ne permet pas de conclure sur les causes du problème

III.2. Des individus inégaux face à la formation et à l’emploi L’injonction de formation pose aussi des problèmes au niveau individuel tant que subsiste deux inégalités fondamentales: Accès au diplôme Accès à l’emploi

L'accès au diplôme est inégal socialement et dépend principalement du niveau de diplôme des parents

Des inégalités fortes dans l’accès à l’emploi en fonction du sexe, de l’âge, de la nationalité du type de ménages ou du lieu de résidence

Synthèse La formation peut-elle être la réponse au défi socio-économique de Bruxelles? Non, comme principale réponse non économique, la formation reste insuffisante: L’inférence d’un constat individuel à une « injonction collective » ne résiste pas à l’examen des faits; L’injonction de formation adressée à l’individu pose elle-même la question des inégalités de l’accès au diplôme et de l’accès à l’emploi entre les individus selon leurs origines sociales.

Conclusion Il existe face à ces évolutions deux types de réponses fondées sur deux convictions abusives : la croissance économique in fine produira des effets sociaux favorables (« Trickle down effect »).  La cohésion sociale ne s’est pas améliorée avec la reprise économique à Bruxelles après 1990 (jusqu’en 2007) --> l'absence de croissance n'arrange rien. La formation permettra d’ajuster les inadéquations qui résultent d’un « développement par en haut » Il n’existe pas de relation simple au niveau macro entre niveau de formation des populations urbaines et taux de chômage L’injonction de formation adressée à l’individu pose en plus la question des inégalités de l’accès au diplôme et de l’accès à l’emploi entre les individus selon leurs caractéristiques sociales

Pour aller plus loin : - Van Hamme, Biot, Wertz, La croissance économique sans le progrès social : l’état des lieux à Bruxelles, Brussels studies - Travaux de Marion Englert, ANALYSE DES DETERMINANTS DU CHOMAGE URBAIN ET POLITIQUE DE REEQUILIBRAGE ENTRE L’OFFRE ET LA DEMANDE DE TRAVAIL EN REGION DE BRUXELLES-CAPITALE, WORKING PAPER N°13-03.RR - Van Hamme et al. (2015), Dynamiques des quartiers en difficulté, SPP-Intégration sociale -Nouveau site internet www.inegalites.be / www.ongelijkheid.be/ Contient des articles accessibles sur les inégalités