Les maladies transmises par les tiques chez les carnivores ENV Toulouse UP Parasitologie – Maladies parasitaires P. Jacquiet (05 61 19 39 67 / p.jacquiet@envt.fr)
Les maladies transmises par les tiques chez les carnivores Chien (Canidés) Babesia canis sl. Microbabésioses Babesia gibsoni Babesia annae Hépatozoonose Ehrlichioses canines Bartonellose canine Borreliose de Lyme … Encéphalite virale à tiques Chat (Félidés) Babesia canis pressanti Microbabésioses Babesia felis, B. cati Cytauxzoon felis Hépatozoonose Ehrlichioses félines Encéphalite virale à tiques Importance moindre des maladies transmises par les tiques chez le chat / chien
Macro et micro Babesia du chien Taille > rayon de l’hématie Taille < rayon de l’hématie Micro Babesia Babesia gibsoni Italie, Espagne, France (?), tropicale… Macro Babesia Babesia canis sl. Commune en France
Babesia canis sl. comprend trois sous espèces Avec des variations de : - pathogénicité, - distribution géographique - vecteur… N’est pas un agent de zoonose
Trois sous espèces de Babesia canis Babesia canis vogeli Peu pathogène Rhipicephalus sanguineus Régions tropicales et subtropicales Espagne Babesia canis canis Pathogène Dermacentor reticulatus Europe, Asie Babesia canis rossi Très pathogène Haemaphysalis leachi Afrique du Sud
Babesia canis canis Pirodog ND Une grande hétérogénéité génétique et… antigénique Type A 1% Type B 58% Type 34.01 22% Type Robin 19% Babesia canis canis Pirodog ND
Cycle biologique de Babesia canis canis Injection de sporozoïtes Transmission trans-ovarienne et trans-stadiale Dermacentor reticulatus +++ = vecteur principal (R. sanguineus +/-) Ingestion de formes sanguines (formes annulaires)
Que faut-il retenir du cycle biologique de Babesia canis ? La pérennité du cycle est assurée par les tiques (= hôtes définitifs, persistance de l’infection) par la persistance des gamontes dans le sang de chiens infectés chroniques Transmission par Dermacentor reticulatus +++ Tique triphasique ditrope (larves et nymphes sur rongeurs) Transmission par les adultes exclusivement Vecteur principal Transmission par Rhipicephalus sanguineus +/- Tique triphasique monotrope Transmission par les larves, les nymphes et les adultes Vecteur accessoire
Quelques éléments d’épidémiologie…
Répartition géographique France : pays de forte enzootie de babésiose canine deux grand foyers d’endémie babésienne : Centre (Bourgogne Lyon) Grand ouest du pays Enquête épidémiologique en Gironde : 14% de chiens séropositifs sur environ 1000 chiens testés tout venant (Cabannes et al., 2002) Très rare dans le sud-est, rare dans le nord-est Mais en réalité de grandes variations Spatiales à l’échelle d’une région, d’une clientèle voire d’un village (distribution très hétérogène) D’une année à l’autre : progressions / régressions
Incidence saisonnière Cas cliniques rencontrés classiquement au printemps et en automne Lorsque les adultes de D. reticulatus sont actifs Optima thermiques 12-18°C et hygrométrie ++ Mais l’incidence saisonnière n’est pas absolue : hivers et étés cléments, transmission par R. sanguineus, tique endophile (chenils), toute l’année
Déroulement général d’une infection canine à Babesia canis canis
Les grandes phases d’une infection canine à Babesia canis canis et développement de l’immunité Incubation : une semaine (+/- 3-4 jours) Accès aigu Manifestations variables dans leur expression, leur gravité et leur durée Forme typique et nombreuses formes atypiques = f(virulence de la souche, état de santé du chien…) Forme chronique avec rechutes Immunité de co-infection Médiation cellulaire (macrophages spléniques…) Médiation humorale Opsonisation d’hématies parasitées Ac bloquant la pénétration des mérozoïtes dans le globule rouge Ac neutralisant les effets pathogènes des antigènes solubles du parasite Mais aussi, malheureusement, immuns complexes et glomérulonéphrite…
Pathogénie de la babésiose canine Anémie Complications diverses Rénales Hépatiques Cérébrales Coagulopathies Pulmonaires Choc…
Anémie régénérative, due essentiellement à la destruction d’hématies Destruction des hématies lors de la diffusion des mérozoïtes Fixation d’antigènes parasitaires à la surface des hématies parasitées mais aussi à la surface d’hématies non parasitées Erythrophagocytose des hématies parasitées et non parasitées dans le foie et la rate Hémolyse d’origine immunitaire (Ac et C) : AHAI qui peut se poursuivre après un traitement spécifique anti-Babesia efficace ! Séquestration de globule rouges dans les organes profonds (voir ci après)
Capillaire dilaté, avec de nombreux érythrocytes infectés Dans les organes profonds, séquestration de globules rouges parasités dans les capillaires Schetters et Montenegro-James, 1995 Capillaire dilaté, avec de nombreux érythrocytes infectés Capillaire normal Muscle cardiaque de chien infecté
Insuffisance rénale aiguë Signes d’appel : oligurie, anurie, avec protéinurie et cellules épithéliales Plus fréquente chez les vieux chiens Causes : Hémolyse intravasculaire massive induit un blocage du glomérule rénal par débris cellulaires et toxicité de l’hémoglobine Dépôt d’immuns complexes
Babésiose cérébrale Séquestration de globules rouges parasités dans les capillaires cérébraux Microthrombi, hypoxie cérébrale (cf paludisme cérébral à Plasmodium falciparum) Incoordination motrice, parésie des postérieurs, trémulations musculaires, nystagmus, pertes de conscience intermittentes, stupeur, coma Lésions de congestion cérébrale
Coagulopathies Microthrombi dans les muscles squelettiques, le cerveau, les reins, le cœur, le foie, les poumons…(CIVD) et dysfonctionnement organiques multiples Thrombocytopénie (50 000 à 100 000 / mm3) Les hémorragies cliniquement apparentes sont toutefois très rares
Complications hépatiques et pulmonaires Ictère pré-hépatique puis hépatique (anoxie tissulaire) L’ictère est un signe de babésiose avancée, souvent synonyme de guérison retardée L’œdème pulmonaire est une complication très grave de la babésiose canine Il est dû à une augmentation brutale de la perméabilité des capillaires alvéolaires Il se manifeste par une augmentation brutale de la fréquence respiratoire, une dyspnée, une toux humide, un jetage séro-sanguinolent
Dysfonctionnements organiques multiples et choc Hypoxie entraîne Une acidose métabolique des dommages tissulaires généralisés ainsi que la libération de médiateurs du choc septique (TNF alpha hypotenseur) Réponse inflammatoire systémique +++ qui complique l’action du parasite lui même
Les symptômes, les altérations biologiques et biochimiques
Forme typique, aiguë de la babésiose canine Incubation : une semaine Un syndrome fébrile d’apparition brutale : Pic 40-41°C pendant au moins deux jours puis plateau à 39°C Polypnée, tachycardie Chien abattu, prostré, anorexie totale Syndrome hémolytique Anémie : muqueuses pâles, parfois sub-ictériques Modifications sanguines : GR < 2. 106/mm3 Thrombopénie Lymphopénie (pendant 24 h) puis lymphocytose et monocytose Urines foncées (jaune, orange, rouge, café), bilirubinurie +++ parfois hémoglobinurie
Autres formes cliniques et forme chronique Formes locomotrices Formes cérébrales Formes digestives et respiratoires Formes rénales Othématome, ulcères cutanés, nécrose des extrémités… Forme chronique mal définie Anémie chronique persistante Rechutes deux semaines environ après traitement avec parasitémie décelable
Pronostic et lésions Pronostic Lésions Guérison possible sans séquelles, même sans traitement parfois (souche peu virulente) Évolution fatale si complication hépatique, rénale, cérébrale ou choc Forme chronique avec rechutes Pronostic réservé si Nième rechute, chien âgé, insuffisant rénal Lésions Splénomégalie constante, rate sombre et fragile Congestion hépatique, pulmonaire et cérébrale Coloration jaunâtre des reins et pétéchies sous capsulaires
Diagnostic et traitement de la babésiose canine
Diagnostic de la babésiose canine Considérations épidémiologiques Diagnostic clinique et différentiel Avec d’autres anémies Intoxication par des raticides anti-coagulants : tableau hémorragique plus caractéristique Ehrlichiose aiguë (thrombocytopénie plus marquée) Anémies hémolytique à médiation immune Envenimation ophidienne (hémolyse massive, crochets) Avec d’autres ictères Leptospirose : ictère flamboyant, gastro-entérite hémorragique, insuffisance rénale aiguë
Diagnostic de laboratoire Mise en évidence du parasite sur frottis sanguin Ponction d’une goutte de sang à l’oreille Réalisation d’un étalement, fixation et coloration MGG ou RAL 555 Lecture minutieuse au grossissement 1000 (immersion) de la partie distale du frottis et des bords en particulier Observation d’un seul piroplasme a valeur diagnostique Mais parfois parasitémie faible donc possibilité d’utiliser des méthodes d’enrichissement PCR Diagnostic sérologique : peu d’intérêt en clinique, plutôt pour les enquêtes épidémiologiques Diagnostic thérapeutique
Traitement spécifique et résultats attendus Imidocarbe (diamidine aromatique), CARBESIA ND Agit sur le métabolisme des acides nucléiques Soluté injectable en SC et en IM (jamais en IV) Posologie : usuelle en France : 2-3 mg/kg (une seule fois) 5 mg/kg en Espagne, 2 fois systématiquement à 15 jours d’intervalle Excellente efficacité (en théorie…) Amélioration clinique nette en moins de 36 heures Toxicité – innocuité Injection douloureuse (irritation locale mais pas de nécrose) Effets généraux : vomissements, diarrhée, hypersalivation, jetage dans les 15 minutes qui suivent l’injection (rétrocèdent à l’atropine) NB : un ancien médicament (Oxopirvedine) n’est plus commercialisé
Traitement palliatif : Essentiel ! Transfusion sanguine si effondrement de l’hématocrite Perfusion et traitement hépato-rénal (diurétiques et soluté de chlorure de sodium isotonique) Corticoïdes Prednisolone 1 à 2 mg/kg/jour pendant 3 à 6 jours Pour lutter contre glomérulonéphrite, choc, œdèmes Enfin, suivi clinique et biologique (NF, urée, créatinine, protéinurie)
Le problème des rechutes phénomène relativement fréquent qui peut dérouter le praticien Accès aigü Phase Silencieuse Parasitémie Nég. Rechute Incubation JO J7 J10 Frottis + Imidocarbe 2-3 mg/kg J25 J28 Frottis + 2è injection imidocarbe Piqûre infectante Résistance à l’imidocarbe ? ??? (pas démontrée en tous cas !) Posologie inadaptée pour certains chiens ? Oui / Espagne 5 mg/kg, 2x/15j Synergie imidocarbe et système immunitaire de l’hôte pour arriver à la guérison Alternatives : doxycycline : 10 mg/kg de poids vif pendant 4 semaines
Lutte contre les tiques Prévention de la babésiose canine Lutte contre les tiques Vaccination Chimioprévention possible : Carbesia ND à 5 mg/kg en IM 4 à 6 semaines de protection
Prévention de la babésiose canine par la lutte contre les tiques Destruction précoce des tiques observées chez l’animal Amitraz, pyréthrinoïdes, fipronil, pyriprole, organo-phosphorés, carbamates Utiles mais ne garantissent pas complètement l’absence de piqûre d’une tique infectée
Le vaccin Pirodog Qu’est ce que le vaccin Pirodog ? Cultures in vitro de Babesia canis canis Surnageants de culture de souche Villeurbanne (souche Robin) = antigènes solubles, lyophilisés + saponine (adjuvant) Comment l’utiliser ? Primo-vaccination : 2 injections à 1 mois d’intervalle chez des chiens > 5 mois Rappel annuel ou bi-annuel (avant la période de densité importante de tiques) Avec vaccins rage et leptospirose, pas avec les autres Pas chez les chiennes en gestation Protège-t-il efficacement tous les chiens vaccinés ?: non ! Études épidémiologiques sur le terrain : 12,3 % de cas cliniques chez les vaccinés 16,7% chez les contrôles non vaccinés soit une protection de … 26% Pourquoi ? Chiens à rechutes Hétérogénéité des souches de Babesia canis canis
Le vaccin NobiVac®Piro Principe Une infection à Babesia canis rossi protège partiellement contre infections ultérieures à B. canis canis (toutes souches connues) Dans ce nouveau vaccin, on combine les surnageants de culture de B. c. rossi et de B. c. canis Neutralisation des antigènes solubles du parasite responsables de certains effets pathogènes par les anticorps induits Efficacité (mesurée pour l’instant sur un très petit nombre de chiens) On ne protège pas contre l’infection mais contre la maladie (parasitémies identiques mais scores cliniques différents) Durée de six mois au moins Enfin, ne pas oublier la chimioprévention (Imidocarbe, 4 mg/kg), 1x/mois
Les microbabésioses canines Situation actuelle assez confuse Dans quelques années, on y verra plus clair…
Babesia annae* Parasite découvert en 1995, à Vigo, Galice (Espagne) (Tomas Camacho) Forme annulaire de très petite taille dans les GR, centrale ou paracentrale, et forme en croix de Malte Syndrome rénal et neurologique sévère qui résiste à l’imidocarbe, exacerbé par les corticoïdes Stades pré-érythrocytaires dans les leucocytes (leucémie par expansion clonale des T et B infectés) Transmission par Ixodes hexagonus Diagnostic : frottis sanguin (parasitémie faible), sérologie et PCR Traitement : clindamycine et doxycycline ou bien Atovaquone 13 mg/kg/ 3x/j 10j En France ? * : encore appelée Theileria annae
Babesia gibsoni Espagne, Italie, France ? (sud) Formes annulaires intraérythrocytaires Pas de formes exo-érythrocytaire Transmise par Rhipicephalus sanguineus Rôle pathogène controversé : Les tableaux cliniques plus graves que ceux de la babésiose canine classique seraient dus à Theileria annae Formes cliniques plus atténuées (?) pour B. gibsoni Imidocarbe peu efficace même à 5 mg/kg Plutôt l’azythromycin à 10 mg/kg/ jour pendant 10 jours
Conclusions Babésiose = principale maladie transmise par les tiques chez le chien Grande hétérogénéité Chez le parasite : sous espèces, souches antigéniques différentes au sein d’une même sous-espèce, souches de virulences différentes… Chez l’hôte : bons et mauvais répondeurs Des manifestations cliniques très variées Une épidémiologie changeante Apparition récente de nouvelles espèces et statut français très flou…
Compléments
Le cycle biologique de Babesia canis : chez le chien Transmission de sporozoïtes produits dans les glandes salivaires de tiques, en fin de repas de sang Multiplication des parasites au sein des hématies par division binaire (parfois multiple), lyse des hématies, invasion d’hématies saines…mais aussi libération d’antigènes solubles (plasma) qui participent au rôle pathogène Apparition de formes rondes annulaires (= gamontes)
Le cycle biologique de Babesia canis : chez la tique Gamontes libérés dans le tube digestif, formation de gamètes Zygotes (ookinètes) dans la paroi du tube digestif Division des ookinètes en sporokinètes qui envahissent tout l’organisme de la tique (dont les ovaires puis les ovocytes) Chez la larve, les sporokinètes gagnent les glandes salivaires et se transforment en sporontes En fin de gorgement de la larve, les premiers sporozoïtes sont formés à partir des sporontes À la fin du gorgement de la nymphe puis de l’adulte, les sporontes donneront à nouveau des sporozoïtes