Évangile de Luc 16, 19-31
Nous connaissons tous cette parabole. Comme toutes les paraboles, nous la connaissons trop bien, et pensons qu’elle n’a plus rien à nous apprendre. Nous ne devrions jamais oublier qu’une parabole a mille facettes, et que, selon le moment, nous voyons les choses sous tel ou tel éclairage. Imaginez-vous raconter cette parabole à un riche, puis à un pauvre, puis à un enfant, puis à un athée… Vous ne choisirez pas les mêmes mots, vous n’appuierez pas sur les mêmes passages, vous ne mettrez pas en valeur les mêmes images ! Et croyez-moi, c’est un excellent exercice pour mieux cerner la richesse de tout passage d’Évangile !
En résumé, le riche est riche, et le pauvre est pauvre ! Deux mondes qui se superposent sans se connaître, sans se côtoyer. Le pauvre, qui a souffert sur terre, est récompensé de sa patience dans l’éternité, et le riche souffre. Mais on ne peut aller d’un monde à l’autre… Et la dernière phrase de cet Évangile, tellement désabusée, nous explique peut-être pourquoi Jésus n’a pas voulu de « publicité tapageuse » après sa résurrection… « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus. »
On appelle souvent cette parabole « du mauvais riche ». Mais non, il n’était pas mauvais ! Simplement, il vivait dans son monde. Comme nous avons tendance à vivre dans le nôtre. Il ne voyait pas, c’est tout. Remarquez que « le riche » n’a pas de nom. « Le riche », c’est peut-être moi, vous, qui sommes enfermés dans nos certitudes et notre bon droit. N’avez-vous jamais pensé, en voyant un SDF faire la manche : « Ah non ! Je ne lui donne rien, il va encore aller le boire ! » Ou : « Solide comme il est, il n’a qu’à travailler ! » Ou… Je pourrai continuer. Les « bonnes raisons » sont nombreuses.
Et ces « bonnes raisons » font que, petit à petit, nous ne voyons plus les gens différents de nous ! S’ils ne nous ressemblent pas, n’est-ce pas, c’est qu’ils sont hors normes ! Nous oublions qu’ils sont fils de Dieu, au même titre que nous ! Assez bizarrement, j’ai compris cela lors d’une messe, où assistait un homme de l’hospice, par vraiment vieux, mais de ceux que l’on nomme « dérangés ». Il parlait tout haut, répondait au prêtre à contresens, énervait tout le monde. Et, comme un éclair, m’a traversée cette évidence : « et dire que, de nous tous qui sommes ici, c’est lui que le Christ regarde avec le plus d’amour ! »
Donc, il y a « le riche ». Il n’a rien fait de mal. Il profite de sa richesse. Il a raison ! Mais sa richesse l’aveugle. Et là, il a tort… Et nous, notre richesse, ce sont nos certitudes, notre bon droit, nos opinions… Et tout cela nous aveugle aussi. Saurons-nous nous libérer ? Être pauvre, de la pauvreté évangélique, cela ne veut pas dire ne pas avoir d’argent, cela veut dire ne pas se laisser enfermer dans notre bien-être, notre savoir, nos convictions politiques ou religieuses. Peut-être que la traduction actuelle de « pauvre selon l’Évangile » pourrait être « tolérant ». Voltaire a dit une phrase sublime : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire. »
Et puis, il y a « Lazare ». Lazare, c’est le misérable de tous les temps. C’est le mendiant, le handicapé, l’émigré, le laissé-pour-compte, la vieille voisine qui ronchonne tout le temps et que personne ne va plus voir, cette femme, cet homme qui se bat seul contre la maladie d’Alzheimer de son conjoint, ce malade… Remarquez : il n’est nullement question, dans cet Évangile, des devoirs religieux ! Il est évident que Lazare, par exemple, n’allait pas au temple ! Voyez déjà la réaction du pharisien voyant prier le publicain ! Alors, si l’on voyait rentrer Lazare et ses plaies…
En passant, notez aussi que, dans la fameuse scène du jugement, rapportée par Jésus, il n’est pas question non plus d’obligations religieuses. Ce qui compte, c’est l’autre. L’autre, auquel on refuse la dignité de fils de Dieu. Lazare n’avait rien à donner, c’est vrai. Mais il n’est dit nulle part qu’il en voulait au riche, ni même qu’il mendiait : il « était couché devant le portail ». C’est sa façon de porter sa croix qui lui vaut « d’être emporté par les anges auprès d’Abraham ». Et le riche non plus n’a rien fait « de mal ». Il n’a rien fait, tout simplement ! Dieu n’aime pas ceux qui ne font rien.
Dans la scène du jugement dernier, c’est le même critère qui compte : « vous ne m’avez pas donné à manger… Vous ne m’avez pas visité… vous n’avez pas… Vous n’avez pas… » Il serait assez terrifiant de penser que nous seront jugés sur ce que nous n’avons pas fait, s’il n’y avait l’autre volet du jugement : « Venez, les bénis de mon Père : … vous avez… vous avez… » Mais ça, c’est un autre passage d’Évangile ! Je vous mélange tout… Mais aussi, tout ce tient, dans les évangiles ! Les passages se complètent et se répondent. Nul ne peut être sorti de son contexte.
Une dernière remarque sur les maux dont souffre le riche. Jésus employait là les images propres à son temps. Mais le feu qui dévore le riche, c’est, dans la lumière de l’éternité, son propre remords. Inondé dans l’amour de Dieu, il voir précisément ce qu’il aurait dû faire. Et, si Lazare venait à lui avec miséricorde, ce serait en quelque sorte son absolution. Je vous rappelle que tout ceci sont mes idées, ma vision personnelle de l’Évangile, et que chacun peut – et doit – avoir la sienne !
La conclusion ? Elle est simple : nous devons nous y mettre ! Nous devons agir. Nous devons reconnaître notre frère bien-aimé, l’enfant bien-aimé de Dieu, dans chaque créature. Et l’aimer d’un amour actif ! Alors ? On s’y met ?
Images libres de droit, prises sur le Net. Texte : Jacky. Musique : Bach – Concerto pour 2 violons (Y.Menuhin) Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix /