La structure du nucléon: passé, présent et avenir Franck Sabatié DAPNIA/SPhN CEA Saclay fsabatie@cea.fr 1. Pourquoi s’intéresser à la structure du nucléon ? 2. Mesures relatives à la structure du nucléon: (i) Digression: Le “premier” facteur de forme (ii) Les facteurs de forme du nucléon (iii) Fonctions de structure et distributions de partons 3. Un paradigme : Les Distributions de Partons Généralisées 4. Conclusions Ecole d’été DSM, 8 juin 2005
Le nucléon, brique fondamentale de la matière ordinaire Noyau Atomique Protons Neutrons Quarks « constituants » Mq ~ MN/3 ~ 300 MeV
Q C D : Description du nucléon par la théorie de l’interaction forte Chromo Dynamique Quantique Mu ~ Md ~ 4 MeV Ms ~ 150 MeV q q = u,d,s u d Haute énergie : calculable Basse énergie : calculable g
Pourquoi s’intéresser à la structure du nucléon ? Tout d’abord, ils forment avec les électrons les briques fondamentales de la matière ordinaire Malgré tout, le nucléon est un objet que l’on n’arrive toujours pas à comprendre du fait de sa complexité: Il n’est pas simplement constitué de 3 quarks mais d’une infinité d’états de Fock: En étudiant le nucléon, nous étudions non seulement la structure d’une brique fondamentale de la matière ordinaire, mais aussi la théorie de l’intéraction forte, la chromodynamique quantique
Le facteur de forme gravitationnel de la Terre 1666: Newton présente la théorie de la gravitation à la Royal Society. Le facteur de forme de la Terre (sa densité radiale en d’autres termes, r(r) ) peut être considéré identique à celui d’une masse ponctuelle en son centre !!! 1797: Cavendish “pèse” la Terre avec un fil de torsion, et du coup mesure G En fait, on connaissait déjà l’ordre de grandeur de MTerre et G. Avec la densité du rocher, et connaissant le rayon de la Terre, on déduit MTerre puis G. Le résultat de Cavendish était largement supérieur à cette estimation, mais il n’a pas pensé que la théorie de Newton était fausse. Il a compliqué le facteur de forme en supposant qu’il y avait un noyau de matériau plus dense en son centre. L’ interprétation et les mesures des facteurs de forme ont toujours été délicates… Le nucléon n’échappe pas à la règle !
Description de la sonde électromagnétique e-, m Q2=-q2 petit Diffusion élastique, un photon virtuel de « grande » longueur d’onde mesure la taille du proton Diffusion de lepton g* e-, m Q2=-q2 grand Diffusion inélastique, un photon virtuel de « petite » longueur d’onde diffuse au niveau des quarks g* Avantages: sonde élémentaire, bien comprise Inconvénient: corrections radiatives, parfois difficiles
Préhistoire récente: les facteurs de forme électromagnétiques du proton Diffusion élastique: q g* p, s p’, s’ La section efficace élastique s’écrit en fonction des facteurs de forme électrique et magnétique du nucléon: Sachs interprète les facteurs de forme comme les transformées de Fourier des distributions de charge et de moment magnétique du nucléon
Diffusion élastique électron-proton à l’énergie héroïque de 188MeV, le prix Nobel de Hofstadter (1961) “[..]it was first realized that the experiments on hydrogen demonstrated that the proton was an object of finite size and not merely a point object. In fact, the size was found to be surprisingly large and could be described in terms of root-mean-square radius of value (0.74 ± 0.24) . 10-15 m” Hofstadter, 1961 “Actually all the electromagnetic structure of the proton is, in principle, described by the behavior of these quantities (the FF) as a function of q.” Hofstadter, 1961
L’interprétation des facteurs de forme: toujours un débat ! Sachs a reussi à imposer l’idée que les facteurs de forme seraient les transformées de Fourier des distributions statiques de charge et de moment magnétique du nucléon Objections: La mesure de la structure à la résolution d impose que Q est de l’ordre de 1/d, si le transfert d’impulsion fait reculer le nucléon (i.e. si Q>Mc/ħ), les concepts de charges statiques et de distribution de courant ne sont plus valides. Conséquences: Comment la mesure d’Hofstadter pourrait donner autre chose qu’un rayon de ~1fm (200 MeV de faisceau) ? Si l’on veut une meilleure résolution, il faut augmenter le Q2: le proton est violemment accéléré !!! Pas très statique tout ça…
De nouvelles données très précises sur les facteurs de forme électromagnétiques Une façon incorrecte (Q>M) mais séduisante de voir les choses: Le nucléon aurait alors un très petit coeur de quarks comparé à sa “taille” !
Une autre méthode: la diffusion profondément inélastique Diffusion inclusive (seul l’électron final est détecté) q g* X p, s Premières mesures en 1967: programme de haute énergie de MIT-SLAC Fonctions de structure (non-polarisées) “This expression [..] summarizes all the information about the structure of the target-particles (nucleon) obtainable by scattering unpolarized electrons from an unpolarized target.” Kendall, 1990 En général, on utilise plutôt les fonctions F1 et F2 définies par:
Les données de Friedman, Kendall et Taylor, Nobel 1990 “Therefore theoretical speculations are focussed on the possibility that these data might give evidence on the behavior of pointlike, charged structures in the nucleon.” W.K.H. Panofsky (1968) “scaling” = pas de dépendance en Q2 !
Pourquoi as-t’on besoin de partons pour expliquer les données inélastiques? La cinématique élastique correspond à xB=1, on peut réecrire la section efficace élastique: La section efficace inélastique s’écrit de façon analogue en remplacant le FF élastique en FF inélastique qui dépend de xB et Q2 : Repensons à l’interprétation de fel(Q2) en terme de distribution de charge: Une charge ponctuelle: Une charge “diffuse”: En diffusion inélastique, fin reste indépendant de Q2, indiquant une diffusion sur des charges ponctuelles, mais néanmoins, on n’observe qu’un “break-up” inélastique de la cible… Une explication possible, diffusion sur des partons quasi-libres !
Le modèle des partons de Feynman, les quarks de Gell-Mann Somme incohérente de diffusions élastiques sur les partons libres. La variable xB (x Bjorken) s’interprète dans ce modèle comme la fraction d’impulsion emportée par le parton sur lequel on a diffusé q X p Les fonctions de structure s’écrivent alors simplement en terme de distributions de partons, qui sont les probabilités de trouver un quark avec une fraction d’impulsion xB du nucléon:
Représentation du proton et fonction de structure Image du Proton F1 xB 1 quark 1 xB 1/3 3 quarks xB 1/3 3 quarks liés xB 1/3 Mer de quarks à petit xB 3 quarks liés + « débris »
35ans plus tard, “l’état de l’art” en diffusion profondément inélastique Fonctions de structure non-polarisées Fonctions de structure polarisées
Une extension: étude de la polarisation des gluons dans le nucléon En diffusion inélastique de leptons sur cible polarisée, les expériences EMC, SMC, SLAC ont prouvé que les quarks ne portaient qu’une petite fraction du spin total du nucléon (DS~20%) L’expérience COMPASS au CERN a été mise en œuvre pour mesurer directement la contribution des gluons au spin du nucléon m (200 GeV) m’ γ* c g c p
Distributions de Partons Generalisées (GPD) Et maintenant ? Les facteurs de formes nous informent sur la structure spaciale du nucléon. Les distributions de parton nous renseignent sur les distributions d’impulsion des quarks dans le nucléon. Néanmoins, ce ne sont que deux points de vue différents, décorrelés, qui en aucun cas ne nous renseignent sur la structure du nucléon dans son ensemble; deux radiographies qui ne nous donnent pas une vision complète, tri-dimensionnelle, du nucléon. En 1997, Ji, Radyushkin et d’autres proposent une façon différente de sonder la structure du nucléon, en utilisant des réactions exclusives “dures” et en mesurant les Distributions de Partons Generalisées (GPD)
Scotty Story z z y x x x 3-D Scotty 2-D Scotty 1-D Scotty probablity Calcium Water Carbon
Les Distributions de Partons Généralisées Généralisent les facteurs de forme, les distributions de partons, et vont au delà ! Distributions de Partons Généralisées Facteurs de Forme Distributions de Partons Contiennent à la fois des informations sur la position et la fraction d’impulsion !!!
Les GPD: une autre façon de voir les choses Probabilité qu’un quark porte une fraction x de l’impulsion du nucléon: Distributions de Partons ordinaires mesurées en DIS q(x), Dq(x) x Cohérence ou interférence entre l’état initial où un quark porte une fraction x+x de l’impulsion du nucléon et l’état final où il porte un fraction x-x : Distributions de Partons Généralisées mesurées dans des processus exclusifs durs x+x x-x t
Comment mesurer les GPD: le DVCS La réaction de choix: la diffusion Compton profondément virtuelle La réaction se fait à haut moment transféré, mais le proton évacue son trop plein d’énergie par radiation d’un photon Le proton avant et après la réaction sont très semblables. Il n’emporte que très peu de l’impulsion du photon virtuel g g* Dans la limite dite “de Bjorken”, la virtualité du photon est très grande devant le transfert au proton et le sous-processus dominant est le diagramme du sac-à-main: La réaction se déroule sur un temps très court: la diffusion s’effectue sur un quark qui n’a que le temps d’irradier un photon avant de se réinsérer dans le proton g* g
L’interférence avec le Bethe-Heitler, problème et richesse A basse énergie (<30 GeV), le diagramme de Bethe-Heitler domine la section efficace d’électroproduction de photon
Le DVCS permettrait de faire des hologrammes du nucléon ! Le Bethe-Heitler agit comme un faisceau optique de référence (parfaitement connu). L’amplitude de DVCS permet alors de reconstruire une image « statique » du nucléon En faisant une décomposition de saveur, on peut avoir accès à cette image en fonction des quarks (u, d, mer !) Diagrammes de densité en fonction de la fraction d’impulsion longitudinale pour les quarks u (modèle simple du nucléon)
Situation experimentale Mesures non-dediées HERMES et Jefferson Lab: Détection de seulement 2 des 3 particules de l’état final: pas totalement exclusif… La mesure de l’asymmétrie de spin rend l’interprétation délicate (pas d’interprétation simple en terme de GPD) Néanmoins, malgré la statistique discutable, on observe un comportement sinusoïdal, caractéristique de l’interférence DVCS-BH
Le défi expérimental Besoins: Résolution et exclusivité Masse Manquante MX2 ep epX MAMI 850 MeV MX2 [MeV2] ep epX Hall A 4 GeV Besoins: Résolution et exclusivité (état final avec 3 particles) Haute luminosité et/ou grande acceptance (section-efficaces faibles) Q2 grands (factorisation) MX2 [MeV2] γ πo ep epX CLAS 4.2 GeV N N+π Energie Faisceau ep eγX HERMES 28 GeV
Jefferson Lab: un faisceau continu d’électrons jusqu’à 6 GeV 5 arcs de recirculation Faisceau continu d’électrons Energie jusqu’à 6 GeV Polarisation >75% Qualités de faisceau remarquables 3 Halls expérimentaux simultanément 2 linacs supras
Le Hall A et les 2 spectromètres de très haute résolution
Le Hall B et le détecteur de grande acceptance CLAS
Mesures à Jefferson Lab en 2004-5: analyses en cours ! JLab/Hall A JLab/Hall B Solénoïde Supra Calorimètre interne (PbWO4) Premières expériences dédiées: Détections de tout l’état final Tests significatif de la théorie
Conclusions Nous commençons tout juste à comprendre l’étendue de ce qui nous reste à découvrir sur la structure du nucléon ! Les GPD permettent de généraliser les notions de facteur de forme et de distribution de parton dans un ensemble cohérent et bien défini. A terme, les GPD permettront d’élucider le puzzle du spin du nucléon, mais aussi de faire de véritables hologrammes des nucléons. Les premières expériences DVCS dédiées à Jefferson Lab en 2004-5 sont de vrais succès expérimentaux. Leur analyse permettra de mettre sérieusement à l’épreuve la théorie et les modèles de GPD.