LA MAIN DANS L’ART PALEOLITHIQUE Claudine Cohen EPHE – EHESS Académie des Beaux Arts PARIS – le 7 mars 2012
« l’Homme est intelligent parce qu’il a une main »
Evolution de la main Acanthostega (env. 365 MA) est un des plus anciens Vertébrés tétrapodes. Il possédait probablement 7 doigts à la patte antérieure
Libération de la main humaine des contraintes de la locomotion Main antérieure et postérieure du Chimpanzé Dr Nicolaes Tulp, dissection de la main et du pied humain (1630)
REMBRANDT - Leçon d'anatomie du Dr Nicolaes Tulp huile sur toile - 169,5 x 216,5 1632 La Haye - Mauritshuis Museum
I - Dynamique du geste : empreintes de mains dans les grottes ornées Grotte de Fontanet (Ariège) Empreinte d’une Main d’enfant Photo J. Clottes
Grotte du Pech Merle Empreinte d’un pied chaussé et dessin cordiforme fait de ponctuations au doigt Relevé et photo Michel A. Garcia
Main d’enfant dans la grotte Cosquer (à plus de 2 m de haut) Empreinte d’une main d’enfant dans la grotte Fontanet (Ariège) Relevé M.-A. Garcia
Tracés digitaux, « lacis » dessins (Grotte du Pech Merle, Quercy)
Dessin au doigt sur une paroi d’argile meuble (Grotte Chauvet) Des empreintes digitales ont été relevées dans la crinière
II - La main représentée Un thème permanent dans l’art pariétal : Une représentation archaïque et spontanée? ou une expression symbolique complexe ? Grotte Cosquer (-24 MA)
Un thème universel La main comme unité d’une langue universelle ? « vocabulaire » « syntaxe » - des contrastes (mains positives/négatives ; couleurs, isolées/en grand nombre, visibles/cachées…), des associations et des proximités avec d’autres figurations.
Mains positives et négatives Main négative : Chauvet – Galerie des mains négatives. Main négative et silhouette de mammouth Le contour de la main apposée sur la paroi est tracé par un pigment appliqué au pochoir, par la technique du soufflage ou du crachis Mains positives (Chauvet) Après avoir été enduite de pigment (ocre) la main est apposée sur la paroi comme un tampon
Chronologie des mains figurées paléolithiques - Les figurations de la main : le geste figuratif le plus archaïque? Pour l’abbé Breuil (1934)les mains négatives peintes dans les grottes appartiennent à la période la plus ancienne de l’art paléolithique (« cycle aurignaco-périgordien ») et leur réalisation est antérieure à tout autre tracé Annette Laming-Emperaire (1957) caractérise l’« étape archaïque » de l’art paléolithique par des peintures de mains positives ou négatives contemporaines des « gravures profondes de silhouettes animales frustes » Pour Leroi-Gourhan (1965) les mains appartiennent non à la phase la plus ancienne de l’art pariétal paléolithique mais aux « styles II et III » caractérisés par des thématiques originales, différentes selon les régions.
Distribution dans l’espace et le temps Dans l’art paléolithique pariétal européen, les représentations de mains abondent au Gravettien (- 29 000 à - 22 000 ans BP), mais on les retrouve, bien que moins fréquentes, à toutes les époques du Paléolithique supérieur La plus grande concentration de ces figurations se trouve dans la région pyrénéenne (hautes Pyrénées françaises, Ariège, Nord de l’Espagne), mais on en trouve aussi dans d’autres régions (pourtour méditerranéen, vallée du Rhône, Ardèche, Charente, etc.) Les mains négatives connues sont beaucoup plus nombreuses dans l’art paléolithique que les mains positives. Le motif de la main négative a une dimension universelle : on le retrouve dans l’art pariétal de nombreux peuples anciens et actuels, en Asie du Sud-Est en Amérique du Sud, en Australie…
GROTTE CHAUVET (Ardèche) (32000 – 21000 BP) La grotte Chauvet, découverte en 1994 à Vallon Pont-d’Arc en Ardèche comporte 420 représentations d'animaux (peintures, gravures) extraordinairement maîtrisées. De nombreuses datations directes par la méthode du Carbone 14 ont donné des résultats cohérents proches de 31 000 ans avant le présent. Les œuvres de la grotte Chauvet datent donc de l'Aurignacien et comptent parmi les plus anciennes au monde. de nombreuses figures de mains positives et négatives mêlées aux représentations animales témoignent de ce que l’image de la main n’est pas la marque d’un art balbutiant et archaïque.
Grotte Chauvet - salle Brunel : le panneau des mains positives
Grotte Chauvet le panneau des mains
Grotte Chauvet – Frise des rhinocéros rouges On distingue sur la droite du panneau quatre mains positives (droites et gauches) et une main négative.
GROTTE COSQUER (Bouches du Rhône) (27 000 – 19 000 BP)
Mains incomplètes à Cosquer (environ 24000 BP)
GROTTE DE GARGAS Hautes Pyrénées (environ 27 000 BP) Sur les parois, ou parfois dans les recoins cachés, 326 mains négatives réalisées au pochoir à l’ocre rouge et à l’oxyde de manganèse. Sur beaucoup d’entre elles, des doigts ou des phalanges manquent.
La signification des mains incomplètes de Gargas Mutilations volontaires (Breuil) Pathologies (Maladie de Raynaud (Sahli, Barrière) Système de signes (Saintyves, Leroi-Gourhan)
A. Leroi-Gourhan, « Les Mains de Gargas, Essai pour une étude d’ensemble, », Bulletin de la Société Préhistoirique de France, 1957, p. 114
Mains négatives et langage des gestes : Comparaison des silhouettes de mains négatives de la grotte de Gargas avec les signes de chasse des indigènes du Queesland (Australie) Par A. Leroi-Gourhan
GROTTE DU PECH MERLE, Lot (environ25000 BP)
Le panneau des chevaux (-25000 BP) : Les mains négatives entourent, en contraste rythmique avec des ponctuations, la silhouette de chevaux
III - Main et identité Figuration de main dans l’art pariétal d’Australie (Kimberley)
Signatures « les aborigènes considèrent souvent les mains comme de véritables signatures. Dans les sites sacrés du Kimberleys, les images de mains signalent que tel individu a participé à telle ou telle cérémonie. Ce sont aussi parfois les signatures des artistes qui ont peint les figures voisines. Elkin a noté que les hommes de la tribu sont capables de reconnaître l’auteur de chaque main négative et quand celui-ci est mort, l’image de sa main sur la roche éveille son souvenir. Ils parlent alors de lui « les yeux pleins de larmes » (Elkin, 1930) M. Lorblanchet, Symbolisme des empreintes en Australie, p. 30
Les mains du panneau de Pech Merle pourraient être des mains de femmes : une « signature »?
Identité sexuelle : mains d’hommes, de femmes, d’adolescents ? Dale Guthrie The Nature of palaeolithic Art (2005) Les mains représentées dans l’art paléolithique sont essentiellement des mains d’adolescents (chasseurs isolés du groupe, auteurs des figurations pariétales) Dean Snow, J.-M. Chazine et Noury : mise au point d’un logiciel permettant de différencier les mains d’hommes et de femmes (indice de Manning). Les mains représentées sur certains panneaux paléolithiques (Pech Merle) seraient féminines.
Mains de femmes à Bornéo (Cliché L.-H. Fage)
IV - La magie de la main Pour l’historien d’art Max Raphael (1889-1952) l’association de mains négatives avec des représentations d’animaux a une profonde signification, à la fois esthétique et symbolique : Selon Raphaël, la main réalise dans ses proportions le « nombre d’or », qui se retrouve dans les proportions des animaux peints. Elle marque la domination de l’homme sur l’animal, à la fois par la capacité de les chasser et de les représenter Bison d’Altamira (Espagne) Relevé Breuil
Rituels chamaniques? La mai n apposée et peinte du la paroi avait elle pour fonction de faire surgir d’elle les animaux dont les formes sont figurées?
Conclusions Les figures de mains que l’on rencontre fréquemment dans les grottes ornées paléolithiques, ne doivent pas être comprises seulement comme des manifestations instinctives, archaïques. Elles sont porteuses d’une signification élaborée et complexe , et participaient sans doute de : Systèmes de signes (signes de chasse, signatures, clans) représentations symboliques rituels magiques, thérapeutiques, ou divinatoires, rituels d'initiation.
Ces images de mains d’adolescents et d’enfants, d’hommes et de femmes, restent parmi les plus émouvantes et les plus troublantes expressions qui nous soient parvenues de nos ancêtres paléolithiques. Dans la variété et la multiplicité de leurs localisations et de leurs occurrences, il ne semble guère possible d’en produire une interprétation univoque. Mais dans tous les cas, l’image de la main est l’inscription du corps et du souffle, marque de la présence, métonymie du corps et métaphore de l’art