Histoire de la Russie contemporaine (1991-2011) Évolution politique I : l’ère de Boris Eltsine (1989-1999)
Évolution politique I : l’ère de Boris Eltsine (1989-1999) 1 – La transformation politique de l’URSS 2 – La fin 3 – Évolution politique de la Russie eltsinienne
1 – La transformation politique de l’URSS 1.1 – La réforme de 1988 Lors du plénum de janvier 1987, les lignes directrices de cette réforme politique majeure, visant à démocratiser le parti et la machine politique sont tracées : 1 – système électif pour le choix des secrétaires du parti; 2 – introduction du scrutin secret; 3 – élections des cadres des entreprises.
À l’été 1988, lors de la XIXe conférence du parti, il est décidé de tenter de concilier socialisme soviétique et libéralisme politique : mise en place d’un État de droit, séparation des pouvoirs et création d’un parlementarisme soviétique. Un nouvel organe de pouvoir sera ainsi créé, le Congrès des députés du peuple. Le Soviet suprême sera transformé en assemblée parlementaire permanente et un poste de président de l’URSS sera mis en place. Auparavant essentiellement décoratif, le Soviet suprême devient à partir de 1988 un véritable centre de pouvoir. Ses 544 délégués sont élus par les 2 250 députés du Congrès (dont le tiers est désigné par le parti, les syndicats et autres organisations sociales, le reste étant élu au suffrage universel sur une base territoriale, pour un mandat de 5 ans).
Outre l’élection des membres du Soviet suprême et du président, le Congrès détient un certain pouvoir législatif. Malgré certaines faiblesses, il s’agit d’une réforme radicale, qui rompt avec la tradition politique. Élu le 15 mars 1990 président de l’URSS, Gorbatchev parvient à marginaliser le Politburo, qui ne s’occupe plus désormais que du parti : l’État est désormais distinct de ce dernier.
1.2 – Vers le pluralisme et l’État de droit Gorbatchev met ainsi en place les conditions nécessaires à l’apparition d’une véritable opposition, beaucoup plus radicale que lui. Dès 1988, les bases de l’État de droit sont posées, surtout lorsque le pouvoir judiciaire obtient une véritable indépendance et devient le chien de garde la constitution. Le PCUS étant très affaibli, un véritable multipartisme devient inévitable. En mai 1988 apparaît l’Union démocratique, vaste regroupement d’intérêts divergents, mais qui partagent une volonté de radicaliser les réformes politiques et économiques.
Des fronts nationaux apparaissent d’abord dans les républiques baltes dès 1988, puis dans l’ensemble des républiques. Puis vient l’explosion : les partis libéraux s’organisent (Parti démocratique de Russie, Parti républicain de la fédération de Russie, Parti Russie démocratique), de même que la gauche (Confédération anarchosyndicaliste, Union révolutionnaire des anarchos-communistes), et les nationalistes, pour ne nommer que ceux de la RSFSR. Ainsi, on en revient à la situation de 1917, quand les deux principales forces politiques du pays étaient les libéraux et les communistes, ceux-ci prônant le maintien du système alors que les premiers défendent la privatisation, l’économie de marché et une véritable démocratie parlementaire.
2 – La fin de l’URSS Le 11 mars 1990, le Soviet suprême de la RSS de Lituanie proclame l’indépendance de la république, bientôt suivie par la Lettonie et l’Estonie. Le 12 juin, la RSFSR proclame son autonomie, puis sera imitée par l’ensemble des républiques. Le 17 mars 1991, lors d’un référendum sur le maintien de l’union, le oui l’emporte très largement. Les dirigeants de l’Union et des républiques s’emploient alors à élaborer un nouveau traité d’union qui aurait maintenu celle-ci, tout en octroyant une très large autonomie à ses composantes. En juin 1991, la RSFSR porte à la tête de la république Boris Eltsine, élu au suffrage universel. La signature de ce traité devait avoir lieu le 20 août 1991.
La veille, alors que Gorbatchev est en congé dans le sud, les conservateurs mettent sur pied un Comité d’Urgence, qui déclare l’état d’urgence sur tout le territoire, proclame le retour à la structure du pouvoir de la constitution de 1977, interdit tous les partis, reprend le contrôle des médias et fait intervenir l’armée à Moscou. Boris Eltsine dirige la riposte : s’adressant directement à la population (grâce à l’appui des médias), le président russe condamne le coup d’État et rejette les décrets du Comité. Des dizaines de milliers de Moscovites descendent dans la rue. Gorbatchev rentre à Moscou le 21 et condamne les putschistes qui, complètement isolés, sont mis en état d’arrestation, entraînant l’échec du coup d’État. Pour Eltsine, c’est une grande victoire, mais pour Gorbatchev, c’est une défaite. C’est dès lors la fin du PCUS, qui est interdit sur le territoire de la RSFSR.
Gorbatchev tente de relancer les négociations sur le traité d’union, mais il n’est pas suivi par les dirigeants républicains, échaudés par le coup. En septembre, suite à un référendum, l’Ukraine proclame son indépendance. Les dirigeants républicains s’associent alors, sans le pouvoir fédéral, dans le but d’assurer une transition calme. Le 8 décembre 1991, les présidents russe, ukrainien et biélorusse mettent sur pied la CEI, confédération très vague, et invitent les autres dirigeants républicains à s’y joindre.La semaine suivante, réunies à Alma-Ata, 11 des 15 républiques entérinent l’accord sur la CEI. L’URSS est morte. Le 25 décembre 1991, constatant que « l’URSS n’existe plus », Mikhaïl Gorbatchev démissionne de son poste de président, mettant un point final à l’expérience soviétique.
3 - Évolution politique de la Russie eltsinienne 3.1 – Le putsch de 1993 3.1.1 – Causes et contexte La fin de l’URSS ne met pas fin aux difficultés économiques et aux conflits. L’état de la fédération est alors schizophrénique : l’URSS n’existe plus, la Russie est indépendante, mais son fonctionnement politique demeure basé sur les soviets. Ainsi, la branche législative domine théoriquement la branche exécutive du pouvoir.
Deux conceptions du gouvernement s’affrontent, affrontement qui déterminera, la structure gouvernementale de la Russie post soviétique. À certains égards, le contexte politique de l’époque ressemble à celui qui prévalait entre février et octobre 1917 et ce conflit rappelle aussi celui en France entre les tenants d’une république parlementaire et ceux d’une république présidentielle. À terme, la victoire de l’exécutif pavera la voie au retour d’un pouvoir autoritaire à Moscou. Dès l’effondrement de l’URSS, Eltsine demande des pouvoirs extraordinaires dans le domaine économique, qui lui permettent d’imposer par décret certaines mesures, court-circuitant ainsi les débats parlementaires. À la fin de 1991 et au début de 1992, la popularité de Eltsine est à son sommet et le Soviet suprême lui concède les pouvoirs qu’il demande.
Mais cette popularité ne résistera pas aux multiples problèmes économiques que les réformes vont provoquer et la cote d’Eltsine baisse graduellement tout au long des années 1992 et 1993. Cette baisse de popularité s’explique également par l’attitude du président. Sans être vraiment un apparatchik de carrière, Eltsine a développé les mêmes travers que ses opposants conservateurs : autoritarisme, intolérance, centralisme décisionnel. De plus, prétextant de la nécessité de contrôler un processus difficile, Eltsine s’emploie à marginaliser les autres pouvoirs au profit de sa garde rapprochée. À ce titre, le rôle insignifiant joué par son vice-président est éloquent. Eltsine et Routskoï ne s’apprécient guère et le pouvoir du second dépend du bon vouloir du premier. Ainsi, Routskoï sera confiné dans des rôles subalternes, favorisant ainsi l’éloignement des deux hommes.
Autre conflit, celui qui oppose Eltsine à Khasboulatov Autre conflit, celui qui oppose Eltsine à Khasboulatov. Appartenant aussi au clan des réformistes, celui-ci demeure jusqu’en 1992 l’un des plus sûrs alliés du président, mais les difficultés économiques et les divergences de vues concernant l’adoption d’une nouvelle constitution poussent les deux hommes dans des directions opposées. De son côté, Eltsine cherche à se détacher des institutions qui limitent son pouvoir. C’est ainsi que ses proches collaborateurs (Édouard Gaïdar, par exemple), dont plusieurs n’ont aucune légitimité démocratique, occupent un pouvoir de plus en plus important, au détriment de ses opposants, qui eux sont élus. La Douma évolue aussi dans un sens opposé au bureau présidentiel, évolution favorisée par un contexte économique très difficile.
Les hommes du président Edouard Gaïdar Guennadi Bourboulis
La consolidation des forces politiques, se poursuit La consolidation des forces politiques, se poursuit. Un nouvel homme fort apparaît, dont la popularité est dopée par la crise, Vladimir Jirinovski, populiste, xénophobe et raciste (LDPR), concentre l’appui de ceux qui ne croient plus en Eltsine, mais refusent aussi d’appuyer les anciens dirigeants du pays. Les communistes font un retour en force, ce qui devient manifeste après décembre 1991, lorsque des hauts dirigeants du parti en appellent à la Cour constitutionnelle de l’interdiction décrétée en août 1991. La Cour, se basant sur la constitution, invalide les décrets d’interdiction et de saisie émis par le président, et rétablit dans ses droits le parti communiste russe. Eltsine se découvre ainsi un nouvel ennemi en la personne du président de la Cour constitutionnelle, Zorkine.
Les chefs de file de l’opposition Valeri Zorkine, président de la Cour constitutionnelle Rouslan Khasboulatov, président du Soviet suprême
L’opposition partisane Guennadi Ziouganov (KPRF) Vladimir Jironovski (LDPR)
3.1.2 – La crise En vertu de la constitution en vigueur, le Congrès avait la possibilité de modifier le contenu de celle-ci. Afin de diminuer le pouvoir de la garde présidentielle, Khasboulatov propose au Congrès de subordonner le gouvernement au Congrès et au Soviet suprême. Eltsine réplique par un discours très dur contre Khasboulatov. Sans surprise, le Congrès se range du côté de son chef et entérine en mars 1993 ses propositions. Le président se braque. Le 20 mars 1993, il annonce sa volonté de gouverner par décret, en ignorant la loi constitutionnelle. Khasboulatov et Zorkine répliquent en accusant le président de tenter un coup d’État.
Le 22 mars, la Cour constitutionnelle confirme le caractère anticonstitutionnel de la déclaration du président et le 26 mars, le 9e Congrès, commence l’étude d’une proposition visant à destituer le président. Afin d’obtenir la destitution d’Eltsine, la motion devait obtenir l’appui de 75 % des députés. 617 d’entre eux appuyèrent la motion et 30 voix manquèrent aux partisans de la destitution. Eltsine demeurait donc en place. Le 25 avril 1993 eut lieu un référendum convoqué par le président : 60 % de la population continuait à faire confiance à Eltsine, ce qui lui donna des munitions, sans pour autant résoudre le problème de fond. Le 30 avril, Eltsine propose son projet de constitution. Plus tard, en mai, le Congrès réplique en faisant de même.
Les deux projets se distinguaient radicalement sur deux points principaux : 1 - la nature du pouvoir et 2 - la méthode d’élaboration et de validation de la nouvelle constitution. Le 12 juillet, la Commission convoquée par le président en violation des dispositions légales accoucha d’un projet constitutionnel favorisant le président, devant être éventuellement soumis à la population. De son côté, le Congrès s’opposa résolument à ces actions. Tout au long de l’été, la crise mûrit. Eltsine lance les hostilités le 21 septembre 1993, dans une allocution à la nation : il annonce la tenue d’un référendum et d’élections anticipées, ainsi que la dissolution du Soviet suprême. Celui-ci réplique par la destitution du président pour tentative de coup d’État et nomme à sa place son vice-président, Alexandre Routskoï.
Eltsine entreprend de réduire l’opposition parlementaire, mais sans recourir à la force. Les communications sont coupées à la Maison blanche, ce qui n’empêche pas les députés d’entériner la destitution du président. Du 22 septembre au 4 octobre, le conflit continue de s’envenimer et les parties en présence cherchent à s’assurer l’appui des diverses forces du pays. Les chefs régionaux s’alignent pour la plupart sur les positions du Congrès, les chefs de l’armée sur le président et la population se scinde en deux groupes. La crise connaîtra son dénouement le 4 octobre 1993, alors que sur ordre du président, et suite à des manifestations violentes de la part de l’opposition, l’armée assiège le parlement où sont réunis les députés.
L’Occident applaudit à ce coup de force « démocratique » qui est suivi par l’instauration d’une censure stricte sur les journaux d’opposition. Les événements feront près de 150 morts. Enfin, en décembre, par un référendum constitutionnel, le peuple approuve le nouveau partage des pouvoirs, qui fait de la Russie une république présidentielle très forte et ne laisse à la Douma qu’un pouvoir consultatif. Paradoxalement, les législatives du même mois donnent un avantage très net aux partis d’opposition. Mais Eltsine n’a plus à s’en soucier.
3.2 - Les élections de 1993 et l’adoption de la constitution - Le 9 octobre 1993 un décret supprime le système des soviets locaux. Simultanément à cela, le président tente de dissoudre et de limiter les activités des partis d'opposition et de leurs organes de presse. Le 15 octobre fut publié le décret présidentiel concernant la tenue d’un référendum le 12 décembre. Le 11 octobre fut adopté un autre décret concernant la tenue d’élections aux deux chambres fédérales. 32,9 millions de personnes (soit 58,4 % des participants au référendum et 32,3 % du nombre total d’électeurs au pays) votèrent en faveur de la Constitution. Mais les élections furent une surprise. - Les élections à la Douma d'État se déroulèrent ainsi : la moitié des députés était élue sur les listes des partis, la deuxième selon un scrutin dit majoritaire. Pour qu’un parti dispose de députés à la Douma, il devait obtenir au moins 5 % des voix.
Résultats des élections : Parti libéral démocratique (V.V. Jirinovski) : 22,7 % « Choix de la Russie » (Tchernomyrdine) : 15,4 %; PCFR (Ziouganov) : 12,4 %, « Femmes de Russie » 8,1 %, Parti agraire 7,9 %, Iabloko 7,8 %, Parti de l'unité et de la concorde russe 6,8 %, Parti démocratique de Russie, 5,5 %. - La répartition des forces politiques était encore plus complexe si on tient compte des sympathies politiques des députés élus selon le principe majoritaire. Les communistes et leurs alliés agrariens formèrent le plus grand bloc parlementaire.
3.3 – La constitution eltsinienne - La Constitution proclame que la Fédération de Russie est un État de droit démocratique fédératif, doté d’un gouvernement de type républicain. - L’individu, ses droits et sa liberté sont, selon la Constitution, la valeur suprême. Reconnaissance de la diversité idéologique et politique, du multipartisme et du principe de la division des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Reconnaissance de l’égalité en droit de la propriété privée et de la propriété d’État, ainsi que de la propriété privée de la terre.
Évident déséquilibre des forces entre le président et le parlement Évident déséquilibre des forces entre le président et le parlement. Les droits du président surpassent largement ceux de la Douma. Le président définit la politique, nomme le chef du gouvernement, présente les candidatures aux postes de juges à la Cour constitutionnelle. Le président russe obtient aussi le droit de dissoudre la Douma et de convoquer de nouvelles élections. La chambre basse des institutions fédérales est la Douma d’État ; le Conseil de la fédération, la chambre haute. Le règlement prévoyait que chaque sujet devait être représenté au sein de cette institution par deux députés. Ainsi, les députés de la Chambre haute sont élus sur la base d’un scrutin majoritaire. La division territoriale demeure inchangée, à part quelques aménagements (comme l’admission officielle de la scission de la république tchétchéno-ingouche). On compte alors 89 sujets de la fédération, répartis dans 6 statuts (républiques, régions autonomes, districts autonomes, villes fédérales, territoires, oblasts).
Les sujets de la fédération de Russie
3.4 – Séparatisme et intégrité de l’État Ayant écrasé par la force l’opposition parlementaire, le pouvoir présidentiel se retrouve seul face à face avec les frondes régionales : certaines composantes de la fédération menacent de quitter celle-ci. La principale menace vient du Caucase : la Tchétchénie. Moins spectaculaires que dans le Caucase, les conflits entre le centre et diverses autres républiques autonomes demeurent néanmoins fréquents tout au long des deux mandats de Eltsine.
Deux exemples : la république de Sakha, en Sibérie, qui impose un régime de visa, et le Tatarstan, sur la Volga, qui refuse de signer l’accord fédératif qui détermine la répartition des pouvoirs entre le centre et ses sujets. Bref, les prérogatives fédérales sont battues en brèche un peu partout .
3.5 – Les élections présidentielles de 1996 Lors des élections à la Douma de 1995, les communistes et le LDPR s’imposent à nouveau. Les diverses difficultés ont rendu Eltsine très impopulaire : avant le scrutin, les sondages placent Ziouganov en tête. Le premier tour donne cependant une légère avance à Eltsine, mais un second tour est nécessaire. Appuyé totalement par les médias, les milieux financiers et l’Occident, Eltsine obtient aussi le ralliement de Lebed, ce qui lui assure une victoire au second tour.
3.6 – La fin de l’ère Eltsine Malgré cette victoire, la confiance envers le président demeure faible : c’est surtout la peur des communistes, instrumentalisées par les médias, qui a permis cette victoire. Le président, qui souffre de multiples problèmes de santé (et d’alcool) se retrouve otage de ceux qui ont assuré sa réélection : c’est l’âge d’or des oligarques. La crise de 1998 (défaut de paiement des intérêts sur la dette) accentue les difficultés et conséquemment, la colère à l’endroit de président. Incapable d’obtenir la confiance de la chambre, dominée par les communistes et le LDPR, Eltsine est contraint de gouverner par décret et de changer régulièrement de premier ministre.
Ainsi, de multiples hommes vont se succéder à ce poste entre juillet 1996 et août 1999, accentuant l’instabilité politique : Tchernomyrdine, Primakov, Kirienko et Stépachine. En août 1999, les rebelles tchétchènes lancent une offensive contre le Daguestan. Cette crise, consécutive à une série de mystérieux attentats à Moscou, permet au président de nommer premier ministre un homme à poigne, complètement inconnu alors, mais issu des services de sécurité : Vladimir Vladimirovitch Poutine. La détermination de ce dernier lui attire la sympathie de la population. C’est pourquoi Eltsine, malade et fatigué, décide en décembre 1999 de quitter le pouvoir, Poutine assurant l’intérim jusqu’aux élections présidentielles de 2000.