Pourquoi la séropositivité est-elle stigmatisante ?

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Transcription de la présentation:

Pourquoi la séropositivité est-elle stigmatisante ? Fatoumata Ouattara Anthropologue, IRD (UR 002), Marseille SFLS, XIèmes Assises, VIème Congrès National, 6-7 oct. 2005, St-Malo

Stigmatisation ? Une marque corporelle qui tend à mettre l’individu à l’écart de sphères sociales (connotation de souillure) Un décalage entre l’image faite d’un individu et ce qu’il apparaît en réalité aux yeux des autres Un processus de disqualification sociale dans un univers de sens partagé par le « stigmatiseur » et le « stigmatisé » La honte provient du sentiment d’un décalage entre soi et les autres.

Stigmatisation & honte La stigmatisation : point de vue « étique », construite de l’extérieur La honte : point de vue « émique » « concept proche de l’expérience » Les questions de recherche Les expériences individuelles de la séropositivité Les interactions sociales Les contextes sociaux

Projet de recherche ANRS 1258 (2001-2003) Une enquête dans quatre villes burkinabè Une approche intensive 13 mois répartis de mars 2002 à juin 2003 Une approche qualitative Des entretiens auprès de différents acteurs (274) : personnels de santé, membres d’association de personnes infectées, familles, « groupes de sociabilité » Des observations

Images du sida (1) Le sida demeure toujours associé à la mort. Des perceptions qui ne sont pas sans rapport avec les images de la prévention présentant des malades amaigris, diarrhéiques « faire son test VIH, c’est savoir si l’on va mourir bientôt ou pas » Le sida suscite des sentiments de peur et de honte : association du sida à la conséquence d’une inconduite liée à la sexualité « ils vont me regarder bizarrement, ils auront peur de moi… C’est la honte ! » La connaissance de la séropositivité entraîne un sentiment de culpabilité : le sentiment d’avoir transgressé une règle de conduite.

Perceptions communautaires du sida Les rapports sexuels sont la voie de transmission la plus connue L’appartenance sexuelle, l’activité, la trajectoire sociale de l’individu mises en relation avec la connaissance ou le soupçon de l’infection à VIH Les signes physiologiques associés à la maladie : Maladies répétitives (diarrhées, maux de tête) Etat de fatigue permanent Perte de poids prononcée Altération du teint de la peau Zona Toux prolongée

Comment affronter le risque de stigmatisation ? (1) Comment éviter de le montrer : l’usage des faux-semblants Port de vêtements amples Dissimulation de la perte des cheveux : rasage ou perruque Comment ne pas le dire : le choix du vocabulaire Evitement du terme ‘sida’ Usage d’autres nosologies populaires A qui ne pas le dire : la préservation de la confidentialité Importance de la notion de secret Choix des destinataires de l’information

Comment affronter le risque de stigmatisation ? (2) Des stratégies de préservation des apparences sociales dans les interactions : La valorisation du statut social La non demande d’usage du préservatif pour les femmes Le partage de l’information comme un souci de préservation de la dignité (veuves). Moins de la moitié des femmes au Burkina savent qu’une personne apparemment en bonne santé peut être infectée par le VIH.

L’entourage face au malade La non nomination du sida (crédit ou discrédit) La crainte de la contamination justifie la mise à l’écart La prévision de l’échec thérapeutique justifie l’abandon La déchéance physique du malade justifie son isolement Les conduites antérieures d’entraide sociale du malade justifient sa mise à l’écart : la solidarité n’est pas gratuite ! Le sida perçu comme une conséquence de la solitude sociale.

Les soignants face aux malades Des malades comme les autres… mais très différents ! Un infirmier : « Il ne faut pas penser que parce qu’un patient fait le sida, qu’il faut le gérer particulièrement, qu’il ne faut pas trop t’intéresser à lui; qu’il faut se méfier. Moi, en tout cas, je pense que ça ce n’est pas normal. Un patient séropositif doit être considéré comme un patient ordinaire. On doit avoir les mêmes égards, sinon même en fait beaucoup d’égards envers lui que pour les autres, parce que ce sont des sujets fragiles, il faut en fait les remonter, les encourager »

Les expériences de soignants Des vécus d’expériences directes du sida (familial, voisinage) Des expériences de la maladie quotidiennes dans les structures de soins Une conscience aiguë du sida certes, mais des dépistages rares par crainte d’un résultat positif qui entacherait la réputation individuelle.

La gestion de la séropositivité par les soignants La prescription des tests reste rare La pratique des « dépistages sauvages » persistent Une connaissance de la séropositivité fondée sur la suspicion à partir des critères cliniques Une expérience qui permet de reconnaître un malade du sida « à vue d’œil! » Des suspicions confirmées par des éléments de la biographie du patient : activité, situation matrimoniale, parcours migratoire…

La gestion de la confidentialité par les soignants Des craintes face aux conséquences supposées du dévoilement : suicide, dissémination volontaire de l’infection, etc. La délicate utilisation des gants : éviter un dévoilement passif La mise en garde de l’entourage sur les besoins de « leur » patient (alimentation, hygiène) sans éveiller les soupçons La non nomination du sida, l’usage des termes « d’initiés » La gratuité des médicaments peut éveiller les soupçons. Une étude réalisée en 2001 auprès de médecins au Burkina révélait que moins de la moitié d’entre eux informait leurs patients préalablement à la pratique d’un test VIH et leur annonçaient le résultat final (Sondo B. & al. 2002).

Des patients « particuliers » Des malades agressifs et égoïstes Des malades dissimulateurs et trompeurs Des malades qui manifestent des troubles de comportement qui pourraient relever de la psychiatrie Les plus « mauvais patients » : les « intellectuels » Des « mauvais patients » qui ne méritent pas toujours l’attention qui leur est prodiguée.

Les contradictions des soignants (1) Les malades du sida sont des malades comme les autres mais auxquels il faut prêter une attention particulière Ils tentent de réduire la distance vis-à-vis du malade (langage, attention particulière) et limiter la proximité dans les gestes (ports des gants) Donner des médicaments gratuits pour les aider, mais la gratuité est difficilement acceptable Ils évitent d’éveiller les soupçons, mais tout le monde sait (la confidentialité en question)

Les contradictions des soignants (2) Les personnes de santé composent avec les directives des instances nationales et internationales, des normes professionnelles et bricolent avec les normes sociales qu’ils partagent avec les personnes infectées par le VIH (les normes du savoir-vivre local).

Pourquoi le risque de stigmatisation ? L’importance de la honte dans les sociétés ouest africaines La pudeur : un des registres de la honte La pudeur Adhésion à une valeur normative La pudeur sexuelle plus accentuée chez les femmes Codifie la sexualité et sa pratique par la retenue Régie les rapports sociaux de sexe

La honte de la séropositivité La honte : une sanction sociale ne pas pouvoir cacher que l’on a transgressé les règles sociales indicateur d’exclusion des réseaux sociaux d’entraide communautaire Mise à nu d’un état de vulnérabilité (physique, sociale, économique) Le poids du regard des autres (médisance, rumeur, raillerie) « Le sida ‘gâte’ le nom dans l’entourage »

Implications de la stigmatisation L’importance des interactions sociales : « … la notion de stigmate implique moins l’existence d’un ensemble d’individus concrets séparables en deux colonnes, les stigmatisés et les normaux, que l’action d’un processus social » (E. Goffman, 1975) Le développement par anticipation des conduites particulières pour taire leur statut sérologique devient par conséquent fondamental dans les univers sociaux régis par une forte interconnaissance pour éviter le risque de stigmatisation

Conclusion Implications de l’anticipation : Représentations culturelles de la pudeur Rapports sociaux de sexe Pouvoir économique La place importance de l’acte de parole « On l’a tué avec la bouche; il faut avoir peur de la bouche de l’Africain! » (propos dans un groupe de sociabilité, grin)