André Fougeron et le réalisme socialiste à la française Pistes pour l’histoire des Arts
André Fougeron (1913-1998), peintre communiste Né à Paris, dans une famille ouvrière, André Fougeron a exercé diverses activités : apprenti dessinateur, métallurgiste et… chômeur. Peintre autodidacte, il se fait remarquer dans les années 1930 et prend sa carte au parti communiste en 1939. Résistant, il devient responsable du « Front national des Arts », proche du parti communiste. En 1948, sa toile Les Parisiennes au marché fait scandale par son inspiration sociale. Il devient alors une des têtes de file du « réalisme socialiste » à la française et s’oppose à Picasso et à Aragon. Après la mort de Staline, le Parti communiste abandonne tout soutien au « réalisme socialiste ». La promotion et la diffusion des travaux d’André Fougeron se trouve donc limitée. Bien que les historiens de l’art du bloc de l’Est - et certains auteurs anglo-saxons - ne l’aient jamais oublié, André Fougeron reste très méconnu en France. Son œuvre a cependant été réévaluée depuis les années 1980, notamment sous l’impulsion de sa petite-fille, Lucie Fougeron.
André Fougeron et la Guerre d’Espagne Ce tableau est une des premières œuvres d’André Fougeron, qui a également consacré plusieurs dessins à l’Espagne en 1937. Déjà proche du Parti communiste, Fougeron a songé à s’engager dans les Brigades inter-nationales : il a finalement choisi de peindre pour dénoncer la menace franquiste. Le cadavre du cheval symbolise le martyr de l’Espagne républicaine. Les couleurs, plutôt sombres, renforcent l’atmosphère apocalyptique qui émane du tableau. La nudité de la femme, partiellement (et opportunément) cachée par le sabot du cheval, évoque irrésistiblement un viol et les violences faites aux civils. Le tableau aurait été retravaillé par Fougeron après l’exposition du Guernica de Picasso, en mai 1937. Artiste : André Fougeron Titre: Espagne martyre Date : de janvier à juin 1937 Taille : 98 x 154 cm Nature: huile sur toile
Artiste : André Fougeron Titre: La Civilisation atlantique Date : 1953 Taille : 380 x 559 cm Nature: huile sur toile
André Fougeron et la Guerre froide Le tableau intitulé La Civilisation atlantique peut être considéré comme une des œuvres majeures d’André Fougeron, qui s’attaque à l’américanisation de l’Europe, thème récurrent de la rhétorique communiste des années 1950. La droite du tableau est consacrée à la dénonciation des guerres coloniales : affiches de recrutement, cercueils… Une Indochinoise, portant son enfant mort, rappelle un des personnages de Guernica. Au premier plan, un petit Africain (qui cire la chaussure d’un soldat) et deux Maghrébins installés sous un abri de tôles sont autant d’allusions à la colonisation. Les Occidentaux (à gauche) sont également menacés: des enfants réfugiés dans un abri antiatomique, un taudis, des enfants intoxiqués par la pollution des usines… La prison insulaire (Alcatraz ?), la chaise électrique (allusion au couple Rosenberg, exécuté en 1953), l’énorme voiture américaine, les «pin-up» du magazine relèvent plus spécifiquement de l’anti-américanisme. Le terme même de « civilisation atlantique » vise clairement l’OTAN, dont l’immeuble parisien apparaît en arrière-plan.
La réception de l’œuvre Présenté au Salon de 1953, le tableau provoque des controverses au sein même du Parte communiste, dans le contexte de l’après-Staline. Louis Aragon attaque violemment Fougeron, tête de file du réalisme socialiste à la française (voir citations ci-dessous). Dans les années qui suivent, le Parti met fin à son soutien à ce mouvement artistique. La Civilisation atlantique peut donc être considéré comme la dernière grande œuvre française relevant de ce courant. « Je ne veux pas me livrer à la description de ce tableau parce que, ramené aux mots, il deviendrait plus consternant que nature. […] Mais l’invraisemblable ici […] c’est la peinture même, hâtive, grossière, méprisante, du haut d’une maîtrise que l’on croit posséder une fois pour toutes, la composition antiréaliste, sans perspective vraie, par énumération de symboles, sans lien, sans respect de la crédibilité. […] Il faut dire halte-là à André Fougeron ! » Louis Aragon, « Toutes les couleurs de l’automne », dans Les Lettres françaises, 12 novembre 1953.
Questions sur La Civilisation atlantique 1) Présentez le contexte historique de l’œuvre : quelles guerres se déroulent en 1953 ? 2) Quels pays sont censés faire partie de la « civilisation atlantique » ? 3) Quels éléments de la « civilisation atlantique » sont critiqués par Fougeron ? 4) Quels éléments du tableau dénoncent la politique extérieure du « bloc de l’Ouest » ? 5) A quels événements font allusion les affiches rouges et les cercueils ?
André Fougeron et la Guerre d’Algérie Artiste : André Fougeron Titre: Massacre de Sakiet III Date : 1958 Taille : 97 x 195 cm Nature: huile sur toile Alors que le Parti communiste critique vivement la politique française en Algérie, André Fougeron s’empare d’un sujet d’actualité: le massacre de Sakhiet. Le tableau est exposé trois mois à peine après l’évènement. Fougeron a considéré ce tableau comme la troisième partie d’un « triptyque de la honte » (d’où le numéro III), les deux premières parties étant Nord-Africains aux portes de la ville et Les orphelins. Les guêtres, allusion aux soldats français accusés du massacre (alors que le gouvernement français tente maladroitement de nier sa responsabilité) ont aussi pu être analysées comme un écho de l’Exécution de l’Empereur Maximilien d’Edouard Manet.
Contexte historique: Le bombardement de Sakhiet est une opération menée par l'aviation française sur le village tunisien de Sakhiet Sidi Youssef, qui abritait une base de l’Armée de Libération Nationale algérienne, le samedi 8 février 1958. Près de 70 morts et 150 blessés sont à déplorer, parmi lesquels de nombreux civils et enfants tunisiens. Une école et deux camions de la Croix-Rouge ont été touchés. Les réactions internationales sont très vives, et l’affaire provoque une nouvelle crise ministérielle qui précède de quelques mois la chute de la IVème République. Orientation bibliographique: DROZ Bernard, LEVER Evelyne, Histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, Seuil, 1982 STORA Benjamin, Histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, La Découverte, 1993
Pour aller plus loin: réalisme socialiste et expressionnisme abstrait Alors que l’URSS fait la promotion du réalisme socialiste, l’expressionnisme abstrait est le premier courant artistique américain à obtenir une influence internationale. Le Congrès pour la liberté de la culture, fondé à Berlin en 1950 et domicilié à Paris par la suite, financé à la fois par la CIA et par la Fondation Ford, a d’ailleurs assuré la diffusion et la promotion de nombreux artistes américains (dont des expressionnistes) afin de combattre le réalisme socialiste. Orientation bibliographique : ROSE Barbara, La peinture américaine. Le vingtième siècle, Genève, Skira, 1986 SAUNDERS Frances Stonor, The cultural cold war: the CIA and the world of arts and letters, New York, New Press, 2000
Jackson Pollock, Number 31 L’expressionnisme abstrait est un mouvement artistique américain, qui s’est développé dans les années 1940 et 1950, dans le cadre de « l’école de New York ». Jackson Pollock est un des artistes majeurs du mouvement. Jackson Pollock agite des bâtons (trempés dans la peinture) de façon violente, avec des gestes rapides et spontanés, sur une toile étendue sur le sol. Toutes suggestions figuratives sont alors écartées. Cette technique a été qualifiée d’« action painting ». Elle se caractérise par des toiles immenses, parfois entièrement peintes all-over, où les éléments picturaux sont disposés de manière égale sur la totalité de la surface du tableau.
Artiste : Jackson Pollock Titre: Number 31 Date : 1950 Taille : 269 x 532 cm Nature: huile et peinture d’émail sur toile
Bibliographie sommaire FOUGERON Lucie, « Peinture et communisme : le scandale Fougeron », dans L’Histoire n°227, 1998, pages 20-21. FOUGERON Lucie, « Un exemple de mise en images : le « réalisme socialiste » dans les arts plastiques en France (1947-1954) », dans Sociétés & Représentations, 1/2003 (n° 15), pages 195-214. GERVEREAU Laurent, « Le principe de réalité. Sur les traces des débuts du réalisme socialiste en France », dans Berelowitch Wladimir, Gervereau Laurent (dir.), Russie-URSS 1914-1991, BDIC, Paris, 1991, pages 282 à 293. La plupart des œuvres évoquées ici, ainsi que quelques autres, sont conservées à la Tate Modern, à Londres. Elles sont présentées (en anglais) sur : http://www.tate.org.uk/art