Usage et modalités d’usage de drogues chez les « nouvelles » populations migrantes (2002-2012) Michel Gandilhon (TREND/OFDT) Assises de l’UMCRA Paris 16 novembre 2012
Le dispositif TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues) Création, à l’OFDT, en 1999 (année charnière), d’un dispositif de détection des phénomènes émergents en matière d’usage de drogues. Observation (questionnaires qualitatifs, relevés ethnographies) dans l’espace festif (rave, teknivals, free parties, discothèques) et dans l’espace urbain (structures de première ligne devenues CAARUD (Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogues)). En 2012 sept sites (Bordeaux, Lille, Marseille, Metz, Paris, Rennes, Toulouse).
Contexte d’une « investigation spécifique » Emergence de la question des « nouveaux migrants » en 2002 (Paris, Lyon, Marseille, Metz) avec l’apparition dans les structures de première ligne (CAARUD) d’une population composée de personnes jeunes, majoritairement masculines, vivant majoritairement (mais pas toujours) dans des conditions d’extrême précarité, et provenant, majoritairement, d’Europe de l’Est, du Caucase mais aussi du Maghreb et d’Asie.
2002-2012 : Les « nouveaux migrants » Trois grandes provenances géographiques identifiées : Europe orientale et caucasienne (Pologne, Russie, Moldavie, Ukraine, Géorgie, Tchétchénie, Roumains, Bulgares). Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie). Asie (Chine).
Les personnes originaires d’Europe de l’Est et du Caucase Problématique régionale dominée par une épidémie d’héroïne et d’opiacés en injection (deux millions d’usagers (Russie, Ukraine) 30.000 décès par surdose en Russie en 2010) (ONUDC) - Entre 2007 et 2011, sur 1.930 personnes accueillies dans le Bus-Méthadone Paris (1998), 47 % sont étrangères avec 11% des personnes issues de l’Europe de l’est et du Caucase (source : Association Gaïa/ Dr Elisabeth Avril). - Forte progression de la visibilité dans les CAARUD des populations originaires de Géorgie et de Tchétchénie (Nice, Bordeaux, Rennes) et émergence de populations originaires d’Arménie (Bordeaux). Depuis 2010, CSAPA bus. Reconnu comme centre de soins. File active en 2011 : 711 personnes. 145000 personnes bénéficient de tso : 110 000 subutex ; 35 000 méthadone.
Les personnes originaires d’Europe de l’Est et du Caucase (suite) - Population essentiellement masculine composée de jeunes adultes (18-30 ans). - Majoritairement dépendante à leur arrivée en France à l’héroïne, l’opium et au « Krokodil » (Russes, Caucasiens) et aux amphétamines (injection) et à l’alcool (Polonais, Bulgares). - En France, et notamment à Paris, alignement des consommations sur celle des populations les plus marginalisées (Skénan®, Subutex®, voire Méthadone) avec une forte prévalence de l’injection. Krokodil : substance fabriquée à partir d’un médicament opiacé (type Néocodion),
Les personnes originaires d’Europe de l’Est et du Caucase (suite) Les produits les plus consommés : - Médicaments opiacés (Subutex®, Skénan®) fréquemment associés avec de l’alcool (poly-consommation) et obtenus sur le marché parallèle (implication des Géorgiens dans le trafic de Subutex® à Paris) où par le biais de l’Aide médicale d’Etat (AME). - A Paris, présence croissante de Polonais et de Géorgiens, sur la scène de crack du XVIIIe arrondissement.
Les personnes originaires d’Europe de l’Est et du Caucase (suite) Situation sociale caractérisée plutôt par une marginalité extrême(cas particulier des Géorgiens) : - existence de squats communautaires dans la région parisienne ; à Rennes (Polonais) et à Bordeaux. Mauvaise situation sanitaire liée entre autres à la pratique de l’injection (partage de matériels, œdèmes, abcès) et prévalence massive du VHC pour les Caucasiens (80 % des Géorgiens vus dans le B-M sont VHC +).
Les personnes originaires d’Asie Prédominance chinoise (province du Wenzhou, sud-est de la Chine). Visibilité en 2005 (7 % des nouveaux arrivants dans le programme du « bus-méthadone »)/moindre visibilité depuis. Présence en région parisienne et notamment dans le XXe arrondissement (Belleville). Immigration de travail (restauration, textile).
Les personnes originaires d’Asie (suite) Caractéristiques de la population chinoise : - Masculine et jeune. - Consommatrice d’héroïne blanche (pas de polyconsommation). - Mode d’administration dominant : chasse au dragon (Inhalation des vapeurs d’héroïne). - « Bonne » insertion sociale par le biais de la communauté (travail clandestin).
Les personnes originaires du Maghreb Problématique régionale marquée par le détournement de benzodiazépines (Tunisie, Maroc) et d’Artane (« Madame Courage ») en Algérie notamment. Emergence (du fait des contacts migratoires) de trafics de Subutex. Prédominance du Maghreb (Maroc, Algérie, et depuis deux ans Tunisiens). Population masculine et jeune. En termes de consommation : - Hégémonie des médicaments psychotropes de la famille des benzodiazépines (Rohypnol®, Rivotril®) avec une forte présence de l’Artane® (antiparkinsonien). - Polyconsommation (alcool/cannabis/médicaments) ; - Prédominance de la voie orale. La consommation d’Artane (trihexyphénidyle) se serait massivement développée pendant la guerre civile algérienne des années 1990. L’armée en importait massivement de Suisse pour en administrer à ses soldats avant le départ au combat (voir La sale guerre de Souïada). A petites doses, l’effet, comme certaines benzodiazépines (effet « Hulk ») produit une désinhibition qui permet le passage à l’acte. De là, l’Artane s’est diffusé dans les milieux populaires chez les jeunes chômeurs et marginaux.
Les usages récents dans les CAARUD (2010) Ena-CAARRUD 2010/OFDT, DGS Les évolutions Les opiacés en hausse (+ 5 pts) Surtout lié à la méthadone, + disponible (+ 5 pts) Stimulants (- 5,5 pts) et hallucinogènes (- 3,7 pts) en baisse diffuse Modification des préférences des usagers ou du recrutement des CAARUD ? Prévalences d’usage Produits posant le plus de problèmes Un opiacé : 43 % (BHD puis héroIne) L’alcool : 21 % Un stimulant 16 % (crack, puis cocaïne) mais Le crack est le produit le plus problématique pour 46 %de ses usagers récents la BHD et l’héroïne pour 43 % de leur usagers respectifs En 2008, la file active des CAARUD était estimée à 56000 personnes. L’enquête 2010, 2505 individus ont été inclus dans l’analyse. Les NA à la Sécurité Sociale avec ou sans AME représentaient 11 % du total. 8/10 usagers de BHD le font dans le cadre d’un TSO ; idem pour la méthadone. La proportion s’inverse quand il s’agit de sulphate de morphine. 12
Conclusion Dénominateurs communs partagés par les populations : - jeunesse (18-30 ans); masculinité ; carrière toxicomaniaque entamée le plus souvent dans le pays d’origine ; précarité liée à l’irrégularité du séjour. Différences : - mode d’intégration diffère en fonction des liens et des solidarités communautaires. Communautés fortes (Chinois, Maghrébins) = moindre marginalité et moindre visibilité des structures de première ligne.
Conclusion (suite) Communautés « faibles » (Européens de l’Est) = désinsertion et désaffiliation plus grandes. Plus grande visibilité des structures de bas seuil. Domination de la problématique « opiacés » avec l’importance du détournement de médicaments (Subutex®, Méthadone, Skénan®) et des problématiques sanitaires liées à l’injection (VHC) chez les Européens (Est + Caucase). Domination de la problématique benzodiazépines/Artane pour les Maghrébins.
Bibliographie RAHIS (A.-C.) et al, « Les nouveaux visages de la marginalité » in Les usages de drogues illicites en France depuis 1999 vus au travers du dispositif TREND, Saint-Denis, OFDT, 2010. CADET-TAIROU (A.), Résultats Ena-CAARUD 2010, Profils et pratiques des usagers, OFDT 2012. (documents téléchargeables sur le site de l’OFDT : http://www.ofdt.fr/) AVRIL (E.), ELIAS (K.), Aider les usagers des Pays de l’Est, Swaps, n°42. Remerciements à Elisabeth Avril (Gaïa Paris), Stéphane Akoka (Entractes, Nice), Aurélie Lazes-Charmetant (CEID-Bordeaux), Malika Amaouche (Trend Paris).