La ruralité : enjeux contemporains, perspectives d’action Université d’été du CMR, août 2009 La ruralité : enjeux contemporains, perspectives d’action Roger LE GUEN sociologue ESA Angers
La ruralité : enjeux contemporains, perspectives d’action 1 – « Rural / urbain » : une catégorie à discuter 2 – Diversité et dynamique du rural 3 – Les enjeux de la ruralité, terrains d’action
Ruralité, une réalité « archéologique » ? Liens systématiques villes – campagne Facilité des transports et communications Montée des « territoires » (ville + campagne) Des modes de vie « transversaux » ? Quelle utilité d’une réflexion sur la ruralité ?
1 – « Rural » : une catégorie à discuter Ce qui concerne « la vie à la campagne » Une équivalence de sens commun : rural = agricole … contredite par les statistiques publiques Rural = agricole …+ artisanat + commerce + tertiaire local + résidents actifs (ville) + retraités Une catégorie longtemps classique en sciences sociales rural / urbain = tensions, inégalités
L’agriculture dans la société (années 2000) Société globale (urbanisation = 75 %) Milieux ruraux (25 % population) Profession agricole 10 % population rurale (< population ouvrière rurale)
Ressources humaines, agriculture et ruralité en France (1800 – 2000)
La population active agricole Indicateurs … (suite) La population active agricole 1960 : 30 % 2000 : 3 % La population rurale (Communes rurales) 1960 : 37 % 2000 : 21 %
Quatre indicateurs … (suite) L’occupation de l’espace 1960 : 70 % de la surface utilisée par l’agriculture 2000 : 55 % de la surface utilisée par l’agriculture
Repères historiques sur l’image de la ruralité … Agriculteur, des dénominations génériques neutres ... Cultivateur Agriculteur Fermier ...
Paysan, des images souvent Repères historiques sur l’image de la ruralité … Paysan, des images souvent très péjoratives rustique, lourd, cul-terreux et même … péquenaud, plouc, bouseux …
Quelques repères historiques sur les images sociales de la ruralité
Un terme aux sens variables Au 12ème siècle : païsenc (germain), païsant « l’homme du pays » Au 16ème siècle : paysan = nom et adjectif terrien, rural, rustique Au 19ème siècle : controverse / sens = <0 et >0 apparition de la référence à « païen » (paganus)
Repères historiques sur l’image de la ruralité … Fin 19ème, le terme « paysan » devient ambigu Deux racines différentes homme du pays : conservation païen : conversion
Un synonyme négatif, contemporain de l’urbanisation adjectif évoquant un degré de civilisation inférieur Air, mœurs, langage Rustre, grossier, brutal Un substantif de révoltés … jacques, malandrins, croquants, pastoureaux, bagaudes, rustauds … passé en littérature et dans le monde savant Hugo, Balzac, Zola Marx, Proudhon … catholicisme : superstition, sorcellerie // fidélité des acteurs « manipulables politiquement » = image d’individualistes parfois révoltés
A partir du XIXème siècle : renversement d’image Une image positive depuis le romantisme, parallèlement au mythe du bon sauvage « êtres d’instinct » : un état proche de la nature Georges Sand, Edmond Michelet, Jean Giono Vertus physiques et morales, sagesse, bon sens : le paysan est doté de qualités palliant les défauts de l’urbain Le pétainisme Accentuation après 1968 : rural = garant du naturel
Dévalorisation / valorisation « Les paysans ne sont pas assez instruits pour penser de travers » Montesquieu Condescendance sentiment d’infériorité Instrumentalisation révolte
Repères historiques sur l’image de la ruralité … 1ère moitié du XXème siècle : une infériorité culturelle plutôt renforcée « Le complexe d’infériorité dans les campagnes est tel qu’on voit des paysans multimillionnaires trouver naturel d’être traités par des petits bourgeois retraités avec une hauteur de coloniaux envers des indigènes » (Simone Weil, 1950)
Ruralité et politique agricole contemporaine Un balancement permanent de discours Méline, Pétain, Pompidou etc. : conserver Les contraintes de la terre Les vertus paysannes L’impact sociétal Giscard d’Estaing, Sarkozy : changer compétitivité modernisation De Gaulle, Mitterrand, Chirac : changer en conservant (ou inversement …) Parler comme les uns, faire comme les autres
Une représentation urbaine « déposée » Repères historiques sur l’image de la ruralité … Une représentation urbaine « déposée » Être d’un territoire : identité porteuse de mémoire Une état social : plus qu’un métier Un handicap culturel : moins que … différent de …
Synthèse Des significations chargées de plusieurs siècles histoire Une notion qui reste d’actualité 2ème pilier PAC, nouveau gouvernement Un sens fondé sur les territoires Identité, politique, marché Partir des représentations car Risque de projeter sur cette notion des images, des sentiments, des convictions liés à des « origines familiales », à des « racines culturelles », auxquels on adhère / que l’on rejette
2 – Diversité et dynamique du rural Nombreuses typologies du rural L’idée de « déclin » domine toutes les typologies jusqu’aux années 1980 L’idée de « renaissance » s’impose depuis les années 1990 (B. Kayser)
« Rural » : une catégorie à discuter Deux angles d’analyse traditionnels en sciences sociales La relation entre la population et l’espace Le rural est défini « en creux » (l’urbain = > 2500 hbts agglomérés) Les rapports socio-politiques entre villes et campagnes Ville = territoire concentrant les pouvoirs politiques et administratifs
« Rural » : une catégorie à discuter Les territoires ruraux sont divers Les communes sont des produits historiques de très longue durée (80 % > 4000 ans) La France rurale est le « triomphe des terroirs / des localités » (cf. F. Braudel) Comment est caractérisée cette diversité ?
Espaces à dominante rurale Rural sous faible influence urbaine 8800 communes Communes ou unités urbaines, 20 % ou + des actifs résidents travaillant dans une aire urbaine Pôles ruraux 335 pôles, 594 communes Communes ou unités urbaines comptant 2000 emplois ou + et dont le nb. d’emplois est supérieur au nb. d’actifs résidents Périphérie des pôles ruraux 7893 communes Communes ou unités urbaines, 20 % ou + des actifs résidents travaillant dans un pôle rural Rural isolé 10918 communes Communes ou unités urbaines, n’étant ni sous faible influence urbaine, ni des pôles ruraux, ni à la périphérie des pôles ruraux
Espaces à dominante urbaine Aires urbaines Pôles urbains 361 pôles, 2813 communes Unités urbaines (agglo) comptant 5000 emplois ou + Couronnes périurbaines 7893 communes Communes ou unités urbaines, 40 % ou + des actifs résidents travaillant dans l’aire urbaine Communes multipolarisées 2537 communes Communes ou unités urbaines, 40 % ou + des actifs résidents travaillant dans plusieurs aires urbaines, sans atteindre ce seuil avec 1 seule d’entre elles
Catégories de « territoires vécus » (DATAR, INSEE, INRA) % communes % population % emploi Pôles urbains 7,7 60,7 71,6 Communes péri urbaines 21,6 12,2 6,7 Communes multipolarisées 6,9 3,5 2,0 Rural sous faible influence urbaine 24,3 8,9 6,2 Pôles ruraux 1,6 3,7 4,7 Périphérie de pôles ruraux Rural Isolé 8,0 29,9 2,1 1,1
des territoires diversifiés
Dynamiques du rural
Des territoires ruraux divers La démographie des espaces ruraux de 1990 à 2000
Des enjeux divers ... Cette diversité se décline à une échelle locale : - entre cantons, entre communes - en fonction des : - relations entre les groupes professionnels et sociaux (ambiance, identité) - modes de gestion de la collectivité locale - dynamiques intercommunales L’attractivité des communes est hétérogène Les liens sociaux et les formes institutionnelles représentent un enjeu de développement local
Deux déterminants de la qualification territoriale locale - le temps d’accès devient un enjeu essentiel pour l’usage et la valeur des territoires - la position par rapport à - et la relation avec - des pôles urbains devient prépondérante Pressions ++ des collectivités / terres agricoles (habitat, transport, loisirs) Déficit de contre-pouvoirs issus de l’espace rural (agriculteurs / autres ruraux ; ruraux / urbains)
Ruralité, société
Un renversement démographique sensible rural / urbain En dix ans : 1990-1999 2,2 millions d’urbains sont allés résider dans les campagnes périurbaines et 1,8 million dans les campagnes rurales 1,3 million de ruraux périurbains sont partis en ville + 1,4 million de « ruraux-ruraux » Depuis 2000, la croissance démographique des communes rurales se poursuit : Campagnes périurbaines : + 1 ,4 % de pop. par an Campagnes rurales : + 0,8 % de pop. par an (période 2000-2004) Perrier-Cornet, 2002 ; enquête Inra-Datar-Credoc
Campagnes périurbaines Qui va résider dans les campagnes françaises ? Campagnes périurbaines Campagnes rurales Des urbains actifs 49 % 41 % Des urbains retraités 6 % 14 % Des urbains « autres inactifs » (enfants, scolaires, …) 37 % Des étrangers 5 % 9 % 100 % Insee, Rcst pop. 1990-1999 Perrier-Cornet, 2002 ; enquête Inra-Datar-Credoc
Les retraités et l’espace rural Aujourd’hui, près de 5 millions de retraités dans les campagnes françaises : - 9 % habitaient en ville dix ans plus tôt - et 1 % à l’étranger En 10 ans : 450 000 urbains sont allés vivre à la campagne / retraite et 200 000 ruraux sont allés vivre leur retraite en ville Les retraités venus de l’étranger s’installent pour moitié dans les pôles urbains, pour moitié dans les campagnes Perrier-Cornet, 2002 ; enquête Inra-Datar-Credoc
Avez-vous l’intention, dans les prochaines années, d’aller habiter dans une petite commune (à la campagne, au bord de la mer ou à la montagne) ou dans une zone rurale ? Avez-vous l’intention, dans les prochaines années, d’aller habiter dans une grande ville ou dans une zone urbaine ? Champ : enquêtés déclarant habiter en zone urbaine, soit 58 % de la population Champ : enquêtés déclarant habiter en zone rurale, soit 42 % de la population Perrier-Cornet, 2002 ; enquête Inra-Datar-Credoc
Pour quelle raison principale avez-vous l’intention d’aller habiter dans une petite commune ou dans une zone rurale ? (Classement par ordre décroissant de la première réponse) 1ère réponse 2ème réponse Ensemble L’environnement et le cadre de vie y sont meilleurs 55 25 80 Pour pouvoir accéder à la propriété 11 6 17 Pour les conditions de vie et l’éducation des enfants 9 26 35 Pour la retraite 8 19 Les locations sont moins chères 7 14 Moi (ou mon conjoint) sommes originaires du milieu rural 4 15 Pour la famille, les amis 3 Pour le travail 2 5 Autre 1 Ne sait pas Total 100 Champ : urbains déclarant avoir l’intention de s’installer dans une petite commune ou en zone rurale, soit 15 % de la population - (en %) Perrier-Cornet, 2002 ; enquête Inra-Datar-Credoc
Les demandes sociales / ruralité Agriculture - acceptabilité - nature - coexistence - sécurisation des aliments Espace rural Ruralité Urbanité - identité, services / accueil
Trois figures de la campagne en tensions ressource Campagne cadre de vie Campagne nature Le rural productif Le rural résidentiel et récréatif Les espaces ruraux comme espaces naturels L’espace support d’activités économique L’espace consommé L’espace réservé : conservation, préservation, prévention L’économie résidentielle
3 - Les enjeux de la ruralité, terrains d’action Urbain / rural Segmentation / intégration des professions Coupure réalité matérielle / symbolique Tensions local / global Coupures et ponts intergénérationnels
1 - Urbain / rural La montée des grandes collectivités urbaines Un rural de + en + fabriqué par l’urbain Déséquilibre des équipements collectifs matériels et intellectuels aux dépens du rural profond
2 - Segmentation / intégration // professions Spécialisation croissante des métiers, entre et à l’intérieur des professions efficacité sectorielle ; difficultés de compréhension / mondes différents Multiplication d’institutions de représentation « assurance » ; inerties organisationnelles ; décalages / réseaux Changement des contenus et des frontières de métiers Débats / conflits ; conservation / invention Politique et marché = coopération territoriale ++
3 - Tensions réalité matérielle / symbolique Montée de l’information comme facteur de production nouvelle sélectivité sociale / contenu du travail (dévalorisation du « concret matériel ») Montée de l’enjeu « image » / personnes, produits et territoires Déréalisation de l’agriculture et de l’alimentation passage du sentiment de « trop plein » à la peur de manquer Mythification de la nature
4 - Tensions entre niveaux local / global Complexification et distanciation du niveau global Sentiments de manipulation, d’impuissance Politique de subsidiarité, relocalisation Survalorisation du niveau local Proximité, particularité, origine
5 - Coupures et ponts intergénérationnels Les années 1950-80 : conflit intergénérationnel JAC, CNJA ; dans les familles ; mouvements sociaux Disparition de cette forme de lutte sociale Distance entre générations Double affaiblissement « l’accueil de l’innovation » la « transmission de la mémoire » Des enjeux de transmission culturelle / nouveau contexte sociodémographique Modèles territoriaux de travail et de vie Changements institutionnels Redéfinition des processus de solidarité
En forme de conclusion
Ruralité et catholicisme social Repères historiques sur l’image de la ruralité … Ruralité et catholicisme social L’action catholique spécialisée : le « milieu professionnel », base du militantisme Le travail comme fondement identitaire Ambiguïté de cette notion en milieu rural / JAC et MFR Le milieu, entre espace et classe La montée du territoire : MRJC, CMR etc. milieux naturel / social réflexions / modes de vie recherche de nouvelles identités politiques
Que faire ? La coopération locale urbains – ruraux le rapport au territoire de travail et de vie la citoyenneté Coopération culturelle interprofessionnelle les comprendre entretenir la souplesse intellectuelle et organisationnelle construire des ponts Valorisation des métiers du vivant et des cursus qu’ils permettent
Que faire ? Tout est global, tout est local Une fausse opposition Aider à penser développement et interactions Des pontages intergénérationnels Accueillir les « entrants » Conserver les liens / « sortants » Construire des nouvelles cultures
Simone Weil, philosophe, 1943 « L’opposition entre l’avenir et le passé est absurde. L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire, devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. » Simone Weil, philosophe, 1943
« Celui qui chemine sait que le chemin n’est pas tracé d’avance « Celui qui chemine sait que le chemin n’est pas tracé d’avance. Le chemin se fait en marchant » Antonio Machado