Logique et raisonnement scientifique Une théorie des raisonnements valides-2
Une théorie du raisonnement Exemple : effort des médiévaux pour rechercher des formes dargumentation correctes…. Est-ce que le raisonnement suivant est « correct »? dû à Anselme de Cantorbury (1033 – 1129)
Largument ontologique [l] insensé, quand il entend cela même que je dis : "quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand", comprend ce qu'il entend, et ce qu'il comprend est dans son intellect, même s'il ne comprend pas que ce quelque chose est. Donc l'insensé aussi, il lui faut convenir qu'il y a bien dans l'intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, puisqu'il comprend ce qu'il entend, et que tout ce qui est compris est dans l'intellect.
Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seulement dans l'intellect. Car si c'est seulement dans l'intellect, on peut penser que ce soit aussi dans la réalité, ce qui est plus grand. Si donc ce qui est tel que rien ne peut se penser de plus grand est seulement dans l'intellect, cela même qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est tel qu'on peut penser quelque chose de plus grand ; mais cela est à coup sûr impossible. Il est donc hors de doute qu'il existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, et cela tant dans l'intellect que dans la réalité.
Problème de lexistence Soit P(x) = x est tel que rien de plus grand ne peut être pensé = x possède toutes les qualités imaginables Saint-Anselme : x Q Q(x) Soit E(x) = x existe dans la réalité Si x est tel que Q Q(x) et E(x), il y a une contradiction Donc: E(x), autrement dit: x existe!
Mais nest-ce pas étrange? Lexistence est-elle une propriété? – Dire « x est tel que P(x) et Q(x) et R(x) et… » – Ou dire « x est tel que P(x) et Q(x) et R(x) et… et que x existe » Est-ce que la deuxième formulation apporte quelque chose de plus par rapport à la première?
Logique et raisonnement scientifique Une théorie basée sur la « vérité »?
Différentes conceptions de la « vérité » 1. La vérité – correspondance Aristote : « dire de ce qui est que cela nest pas, ou de ce qui nest pas que cela est, est faux, et dire que ce qui est est et de ce qui nest pas que cela nest pas est vrai » (Métaphysique, 7) alors le vrai : un rapport à lêtre? – quapporte le « vrai» à « ce qui est »? – quelle différence entre dire « p » et dire « p est vrai »? – sil y a une différence, alors pourquoi pas « « p est vrai » est vrai » et ainsi de suite…
Différentes conceptions de la « vérité » 1. La vérité – correspondance (suite) Frege : « un accord ne peut être total que si les choses en accord coïncident, donc ne sont pas de nature différente […] or, cest ce quon ne peut pas avoir si lon définit la vérité comme laccord dune représentation et de quelque chose de réel. Il est essentiel que lobjet réel et la représentation soient différents ». La notion de vérité est indéfinissable et primitive On ne peut pas aller plus loin que: – « p est vrai » si et seulement si p
Quelques illustrations Que la représentation et la chose représentée doivent être différentes : – Le billet de banque est « vrai » sil est superposable à un autre billet de banque (censé être « vrai »), mais il nest pas superposable à un stock dor (pour fonder la vérité du deuxième billet, il faut un troisième et ainsi de suite… jusquau stock dor) – La carte et le territoire (A. Korzybski) : pour être de plus en plus précise et « correspondre » parfaitement à la région quelle décrit, la « carte » finit par être aussi grande que le territoire et… nest plus alors une carte!
Différentes conceptions de la « vérité » Wittgenstein (Tractatus logico-philosophicus) La proposition est une image de la réalité – La proposition montre son sens. La proposition montre ce quil en est, quand elle est vraie – La proposition peut représenter la réalité tout entière mais elle ne peut représenter ce quelle doit avoir en commun avec la réalité pour pouvoir la représenter : la forme logique. - Pour pouvoir représenter la forme logique, nous devrions pouvoir nous situer avec la proposition à lextérieur de la logique, cest-à-dire à lextérieur du monde.
Une illustration la fresque du Jugement Dernier, de Michel- Ange (chapelle Sixtine) Voulant peindre luniversalité des êtres, M-A doit se représenter lui-même, mais sous une forme… inattendue, soulignant limpossibilité de représenter lacte même de représenter. Michel-Ange dans les plis de la peau de St Barthélémy
Différentes conceptions de la vérité Théorie de la vérité – cohérence Vers un accord de nos jugements et représentations entre eux (plutôt quavec un extérieur) les propositions doivent passer un test de cohérence (par exemple, cohérence = non contradiction, thèse soutenue par les formalistes en mathématiques) théorie trop laxiste? plusieurs théories différentes se rapportant aux mêmes objets peuvent être également cohérentes
Une illustration de la théorie de la cohérence En mathématiques, lidée propre au formalisme que, pour admettre lexistence de quelque chose, il suffit que cette existence nentraîne pas dincohérence (de contradiction) – Exemple : on admet lexistence densembles infinis (N, Z, Q, R, …) – au sens de linfini actuel dAristote – – On donne une définition axiomatique de N, mais cette définition axiomatique admet plusieurs modèles (et même des modèles non isomorphes) – La définition axiomatique est cohérente, mais elle peut servir à caractériser des objets différents relative indétermination de la définition
Formalisme et intuitionnisme Intuitionnisme (Brouwer) : on nadmet lexistence dun objet mathématique que si on en possède un mode de construction univoque Exemple : cas de la phrase Il existe ici quelquun tel que, si lui ou elle comprend la logique, alors tout le monde comprend la logique! – Intuitionnisme : cette phrase doit pouvoir être vraie ou fausse – Formalisme : elle est toujours vraie! (cest une tautologie)
Un raisonnement « formaliste » Il existe ici quelquun tel que, si lui ou elle comprend la logique, alors tout le monde comprend la logique! Supposons que Charlotte me dise quelle comprend la logique. Je demande si tous les autres comprennent la logique. Si tout le monde me dit « oui »: cest ok, la phrase est vraie. Si quelquun me dit: « non », par exemple Olivier, alors je mets Olivier à la place de Charlotte. La phrase « Olivier comprend la logique » étant fausse, la phrase « si Olivier comprend la logique alors tout le monde comprend la logique » est vraie, donc la phrase « il existe quelquun etc. » est vraie.
Différentes conceptions de la vérité Théorie pragmatiste de la vérité les idées vraies sont celles… qui réussissent le mieux! C. S. Pierce : croire que p est vrai, cest être disposé à certaine action le vrai est ce qui est utile cognitivement (par exemple, une idée peut être plus riche dimplications intéressantes quune autre) 4. Théorie voisine : le vérificationnisme une théorie est vraie si on peut la « vérifier » (voir plus loin) 5. Objection : plusieurs théories différentes peuvent entraîner les mêmes prédictions, ou être également « vérifiées » (ex: théorie corpusculaire vs théorie ondulatoire). Problème de la sous-détermination des théories par les données empiriques.
Logique comme « théorie du raisonnement » J. Stuart Mill ( ): – les lois de la logique sont « tirées de lexpérience » mais Kant : – Recourir à la psychologie aussi absurde que tirer la morale de la vie. Il ne s'agit pas des règles contingentes (comment nous pensons) mais des règles nécessaires qui doivent être tirées de l'usage nécessaire de l'entendement que sans aucune psychologie on trouve en soi – la Logique ne peut être définie que postérieurement à la position de ces facultés, bien qu'elle prétende les diriger – Sen remet à lintuition transcendantale (les intuitions « pures », intuition du Temps, de lEspace, de la Logique?)
objections de Frege Frege: – il (Kant) veut saider de lintuition de doigts ou de points, en quoi il risque de donner un aspect empirique à ces propositions, à lencontre de ce quil pense. Car lintuition de doigts nest certainement pas une intuition pure (lintuition va bien pour des petits nombres) – Si la vérité de telles propositions néclate pas immédiatement, comment seraient-elles comprises autrement que par une preuve ? – Les preuves ne ressortent pas de lintuition, donc la logique ailleurs que dans cette « intuition transcendantale »?
Husserl (1859 – 1938) Prolonge lanti- psychologisme de Frege Croyance en une conscience transcendantale Opération logique en tant quacte subjectif Une « philosophie de la Conscience »
Différentes conceptions de la vérité La vérité « stratégique » ou « communicationnelle » celle que lon construit au cours du débat « libre » (J. Habermas) idée que de toutes façons, le réel nest pas atteignable (en tout cas directement)
Constructivisme (anti-réalisme) Idée que la « vérité » nexiste que de manière indirecte, via les justifications et les preuves Retour aux jeux: – Un « jeu de la vérité »: Le proposant propose une thèse Lopposant tente de la réfuter Si le proposant possède une manière de répondre victorieusement à tous les coups de son adversaire, on dit quil a une stratégie gagnante. Une thèse est vraie sil existe une stratégie gagnante pour la défendre
Formes dargumentation Forme dargumentation : une présentation schématique concernant une formule composée. comment une assertion faite par X peut être attaquée par Y et comment, si cest possible, une telle attaque pourra être contrée par X. Comme la forme logique dune formule composée détermine complètement largumentation, il suffira de définir une forme dargumentation pour chaque connecteur et chaque quantificateur.
conjonction :assertion : Xw1 w2 attaque : Y i(Y choisit i = 1 ou i = 2) réponse : Xwi commentaire : supposons que X soit le proposant (« je ») et Y lopposant. Je soutiens A B. Lattaque correspondante pour mon opposant consiste à choisir lun des deux conjoints, ma réponse consistera alors à soutenir le conjoint choisi.
disjonction :assertion : Xw1 w2 attaque : Y réponse : Xwi(X choisit i = 1 ou i = 2) commentaire : cette fois lattaque porte sur le connecteur, mon opposant me demande de prouver que lun des deux membres, au choix, est vrai, jai donc le choix du membre à asserter.
implication : assertion : Xw1 w2 attaque : Yw1 réponse : Xw2 commentaire : je soutiens une implication A B. Mon opposant me met au défi. Pour cela, sa stratégie consiste à me donner lantécédent. A moi de prouver que je peux soutenir B.
négation : assertion : X w attaque : Yw réponse : pas de défense possible commentaire : si je soutiens w, mon adversaire peut mattaquer en soutenant w. En ce cas, si w est atomique, je nai pas de défense: jai perdu, si w est non atomique, je peux attaquer w: en ce cas il est devenu le proposant et moi lopposant. Et cest une nouvelle attaque, pas une défense par rapport au coup associé à la négation.
Quantificateur universel :assertion : X xw attaque : Yt(Y choisit le terme t) réponse : Xw(t) commentaire : jasserte que tous les x vérifient la propriété w, alors mon opposant me met au défi en prenant un exemplaire dobjet pouvant se mettre à la place de x et me demande de justifier que cet objet vérifie w, ma seule défense possible est donc de soutenir que cet objet vérifie w.
Quantificateur existentiel :assertion : X xw attaque : Y réponse : Xw(t)(X choisit le terme t) commentaire : je soutiens lexistence dun x vérifiant w, alors mon opposant porte son attaque sur lexistentiel, autrement dit me met au défi de trouver un exemple, ma réponse est de choisir un objet t et de soutenir quil vérifie w.
Règles structurelles (D12)Une attaque a au plus une réponse, (D13)Une P-formule peut être attaquée au plus une fois.
Jeux de Lorenzen (D-dialogues) (D10)P ne peut asserter une formule atomique que si celle-ci a déjà été assertée par O auparavant, (D11)Si, à une position k-1, il y a plusieurs attaques ouvertes auxquelles il peut être répondu à k, alors cest seulement à la dernière attaque faite quil sera répondu à k,
Jeux gagnés Un D-dialogue est dit être gagné par P sil est fini, sil se termine par une position paire et si les règles ne permettent pas à O de continuer par une autre attaque ou une autre défense.
Un exemple de D-dialogue : 0.P(a b) (a b) O(a b)[0, A] P 1[1, A] Oa[2, D] P 2[1, A] Ob[4, D] P(a b)[1, D] O 1[6, A] Pa[7, D] ou bien : 7. O 2[6, A] 8. Pb[7, D]
commentaire Je soutiens (a b) (a b). Mon opposant ne peut attaquer quen concédant a b. Du coup, ma stratégie est de lui faire concéder dautres choses, que je pourrai utiliser ensuite. En lattaquant sur chacun des deux conjoints de la formule, je loblige à concéder dabord a, puis b. Alors, je peux soutenir a b sans risque, à toute question de sa part (attaque) portant sur lun des deux conjoints, je pourrai répondre par la formule atomique correspondante quil ma déjà concédée. Jarrive donc dans tous les cas, quil sagisse de la première branche (7, 8) ou de la deuxième (7, 8) à une situation dassertion de formule atomique que mon opposant ne peut attaquer (puisquil ny a plus de connecteur en activité).
Autre exemple 0.P((a a) b) b Q(a a) b[0, A] P(a a)[1, A] Qb[2, D] Pb[1, D] Qa[2, A] Pa[5, D] 3. Qa[2, A] 4. Pa[3, D] 5. Qb[2, D] 6. Pb[1, D]
commentaire Je soutiens ((a a) b) b. Daprès la forme associée à, lopposant asserte lantécédent (a a) b, je réponds donc en lattaquant par lassertion de lantécédent de cette nouvelle implication : a a. A ce stade, lopposant peut immédiatement se défendre par rapport à mon attaque, ou bien il peut attendre en lançant une nouvelle attaque consistant à asserter a. Dans le premier cas, je lai amené à concéder b, je peux donc le reprendre à mon compte pour me défendre de lattaque faite en 1. Ce qui reste à lopposant cest de mattaquer en 5 en me concédant a, que je peux alors immédiatement reprendre pour me défendre et alors lopposant na plus de coup à jouer. La deuxième branche conduit aux mêmes opérations dans un ordre différent.
Exemple logique des prédicats Une relation R
P soutient :
Exemple de partie P: O: choisit 2 P: O: choisit 1 P: O: dit à P de choisir un membre de la disj. P: O: dit à P de choisir un objet P: O: choisit le 2ème membre de la conjonction P: R(3,1)test : P gagne
Autre partie P: O: choisit 2 P: O: choisit 4 P: O: dit à P de choisir un membre de la disj. P: O: dit à P de choisir un objet P: O: choisit le 2ème membre de la conjonction P: R(3, 4)test : O gagne
A ce jeu, O a une stratégie gagnante (2 ne peut être relié à 4 en moins de deux coups)