LA MORT AUX TROUSSES - V - LES THEMES MUSICAUX DE L’ŒUVRE ET LEUR RAPPORT À L’IMAGE Pour revenir au SOMMAIRE Général Document réalisé par Éric MICHON IA-IPR Académie d’Orléans-Tours Août 2007
Pour revenir au SOMMAIRE Général Les thèmes musicaux du film : généralités Le thème A du générique Le thème B du générique Le thème de la fuite Les thèmes des espions Le thème d’amour – Ève Kendall Le motif de la duplicité d’Ève.
LES THEMES MUSICAUX : Généralités Plusieurs thèmes musicaux assurent l’unité de l’œuvre – tant musicale que cinématographique. Caractéristiques générales de ces motifs : Des thèmes systématiquement brefs, la plupart du temps sur deux ou quatre mesure Développement de ces motifs par répétition ou transposition le plus souvent. Des mélodies qui caractérisent soit un personnage, soit une situation. Les procédés musicaux employés ne sont guère différents de ceux que Herrmann emploie habituellement : Le chromatisme Le jeu sur les dissonances Une utilisation «fonctionnelle» de l’intervalle de quarte augmentée Les motifs en tierces. L’ostinato Une importance fondamentale de l’orchestration – omniprésence des Vents
1. Thème A du générique (1) Un thème de fandango Energique, forte prédominance rythmique – c’est cet élément qui en est la signature principale -, tempo très rapide, nuance ff, il combine une certaine légèreté avec une violence contenue. Tutti orchestral. Les trompettes font sonner la cellule rythmique caractéristique du fandango. Ce thème peut être nommé « Thème du mouvement » dans sa relation avec le personnage principal : Le mouvement caractérise en effet l’état initial de Thornhill dans son activité professionnelle et dans sa personnalité : une hyperactivité aussi évidente qu’inefficace. Nous sommes en présence d’un rythme de danse dans un film d’action et de suspense ; volonté une fois encore, sur un mode plus distancié, de caractériser hyperactivité et inefficacité du « héros ». Le mouvement va bien entendu être l’objet de l’action développée dans le film : c’est un mouvement qui toutefois lui échappe totalement.
1. Thème A du générique (2) Harmonie construite sur l’alternance des accords de La mineur avec sixte ajoutée qui fait dissonance – et de Si b Majeur (avec dissonance faite par le mi bécarre, quarte augmentée de la fondamentale). Richesse de l’orchestration – cf. ci-dessous. Une organisation interne du thème très proche de celle de l’introduction – avec inversion des propositions rythmique / mélodique : antécédent – conséquent par groupes de deux mesures. ü Thème mélodique très bref (2 mes.) aux trompettes, piccolo, flûtes, violons, altos avec soutien percussif des timbales, castagnettes, du tambourin, de la caisse claire. ü Réponse rythmique en accords – en hémiole, du quasi 3/4 - aux Bois (piccolo, flûtes, hautbois, cor anglais, clarinettes, clarinette basse, bassons et contrebasson) et aux Cors. Motif caractéristique, sur l’arpège descendant de Si b, à la basse – qui passera bientôt dans l’aigu lors des reprises.
1. Thème A du générique (3) Quelques nouvelles occurrences de ce thème : - Séquence de la descente en voiture bien sûr, puisque l’ensemble de la partition du générique – étoffée, il s’agit de la partition originale – est reprise. - Fin de la scène du meurtre à l’ONU - Fin de la scène de l’avion, profondément modifié - Finale au Mont Rushmore bien sûr.
2. Thème B du générique (1) C’est pour Jean-Pierre Eugène le motif « de la fuite » -. C’est surtout – comme il l’indique également le « Thème de Thornhill » : Construit lui aussi sur la rythmique du fandango, il donne son unité à la description musicale du héros à travers ses deux thèmes. Caractère plus léger, aérien, mais surtout – à la différence du premier motif – il contient une certaine dose d’humour voire d’ironie qu’il faut bien évidemment relier à la candeur et la naïveté initiales du personnage de Thornhill. Il est d’ailleurs souvent exploité pour ponctuer le ridicule d’une situation – cf. notamment la rencontre inopinée entre Thornhill, sa mère et les tueurs juste avant la séquence du meurtre à l’O.N.U. Rythmique moins heurtée, moins syncopée, organisée comme le thème A en deux groupes de deux mesures :
2. Thème B du générique (2) Orchestration organisée en deux plans sonores : Mélodie dans l’aigu – voire le suraigu – aux bois et violons : deux itérations de la même formule mélodique, la 2ème transposée à la seconde inférieure. Basse en croches régulières, sorte de « walking bass » en arpèges ascendants réalisée par les cordes graves en pizzicato sur une périodicité de deux mesures (4 x 2) : Indépendance de ces deux plans sonores qui créent dissonance – grande incertitude harmonique de ce motif. Sorte de marche harmonique hybride, qui ne se résout pas.
2. Thème B du générique (3) Quelques nouvelles occurrences de ce thème : - Séquence de la descente en voiture bien sûr. - Juste avant la scène à l’ONU, la rencontre entre Thornhill, sa mère et les espions - caractère franchement ironique qui éclaire différemment ce que nous disent les images et les dialogues (le sérieux des assertions de Thornhill) et fonctionne comme un prolongement du grand fou rire qui prend la mère et les espions, moquant Thornhill. - Gare de Chicago, en alternance avec le thème des espions Noter le jeu sur le timbre - mélodie de timbre, relais entre instruments, Bois et Cuivres pour l’essentiel). - Dans le Finale au Mont Rushmore bien sûr. On notera que ce thème qui caractérise Thornhill avec beaucoup d’ironie dans sa dimension légère et futile n’est plus utilisé – hormis dans le Finale – dès lors que le personnage principal prend enfin son destin en main et devient « agissant ».
3. Le thème « de la fuite » (1) Un film de poursuite : Herrmann compose un thème construit sur un ostinato en double croches à 2/4 (avec accent à chacun des deux temps). Harmonisé en tierces parallèles qui ne se résolvent jamais – procédé classique chez Herrmann -, il est également très bref et se développe par répétition / transposition. La mélodie bouge peu, ou sinon en zigzag, tournant sur elle -même à l’image des personnages qui se poursuivent. La première exposition de ce motif a lieu pendant la poursuite dans la gare de Chicago, alternant avec le thème de Thornhill.
3. Le thème « de la fuite » (2) Nouvelles occurrences de ce thème : Scène de la vente aux enchères : le thème s’arrête sur une note jouée à la clarinette alors que Thornhill vient d’avoir l’idée de semer la zizanie dans la vente aux enchères. Avec l’arrestation par les policiers le thème est joué sans répétition de notes : plus léger, grâce notamment à l’utilisation des Bois. A l’aérodrome ensuite, variations mélodiques par répéptition des notes par deux. Ce motif apparaît une dernière fois lors de l’évasion de l’hôpital – cordes en pizzicati puis trémolo avec basses en contretemps. Vente aux enchères Fin de la vente aux enchères
4. Thèmes « des Espions » (1) Un thème chromatique relie Thornhill et les espions : cf. la séquence du kidnapping. Ce motif peu mélodique – descente chromatique sur quatre notes -, lent, grave, sur un rythme binaire, lui confère un caractère inquiétant et d’attente - suspense. Remarquer l’intervalle de quarte augmentée entre la 1ère et la dernière note de chaque transposition du motif. Ce motif est repris après le faux meurtre de Thornhill à la cafétéria du Mont Rushmore lorsque le héros est transporté en ambulance. Variation du motif à la fin de la séquence dans la maison de Van Damme au Mont Rushmore lorsque Thornhill s’apprête à descendre. Cordes graves soutenues par un ostinato de timbale.
4. Thèmes « des Espions » (2) Le thème du double se retrouve également dans la description musicale des espions eux-mêmes : deux motifs Le premier : « quasi labyrinthique », illustre le plan des deux tueurs encadrant Thornhill dans la voiture. Mélodie sinueuse, plus rapide, rythmique ternaire, construite pour l’essentiel sur des tierces qui tournent sur elles mêmes. Comme souvent dans la partition, le sentiment tonal reste très imprécis, illustrant le flou et la duplicité des personnages et de la situation. Présenté la première fois à l’unisson par les Cordes – relayées par instants par la clarinette, il est harmonisé par l’orchestre la seconde fois ; le troisième énoncé est abrégé – pour coller à l’image.
4. Thèmes « des Espions » (3) Ce thème intervient lors des tentatives de kidnapping ou d’élimination : - Poursuite vers l’ONU - Arrivée à la cafétéria du Mont Rushmore - Enlèvement d’Ève par avion - fin de la séquence dans la maison de Van Damme. Il est entendu également à la fin de la séquence de l’hôtel de Chicago, lorsque Thornhill sort de la douche et décrypte le message pris par Ève au téléphone : la musique nous indique ainsi par avance que ce sont bien Van Damme et les espions qui en étaient à l’origine. Elle accompagne également, dans la continuité, son trajet en taxi vers la salle de la vente aux enchères. L’arrivée de Thornhill à la maison du Mont Rushmore est également soulignée par l’exploitation de ce thème dans de subtiles variations mélodiques – renversement, modification des intervalles… La musique précisant ainsi par avance où se rend le personnage principal.
4. Thèmes « des Espions » (4) Second thème : Deux maisons reliées par un même motif - Van Damme possède « deux » maisons – double jeu – la première (celle de Townshend en fait) voit Thornhill introduit de force par un motif lent et bref (trois notes) construit en tierces parallèles ascendantes qui est quadruplé en terme de tempo lors qu’il se retrouve peu après au volant de la voiture. - Les motifs en tierces irriguent la séquence dans la maison de Van Damme au Mont Rushmore : ils sont dérivés dans un premier temps de ce thème – au début, lorsque Thornhill est à l’extérieur - et soulignent le suspense de la situation. Par la suite, ils se rapprochent plus du motif de la duplicité d’Ève – voir plus loin. A l’arrivée chez Townshend A la sortie, dans la voiture
5. Thème d’amour - Ève (1) - Son véritable thème est de facto le thème d’amour du film : sorte de romance, cette mélodie a été composée en 1953 pour le film d’Henry Hataway La Sorcière blanche sous le titre de Nocturne. Avec les mêmes instruments, l’ostinato aux cordes excepté. Il apparaît assez serein, moins torturé que d’autres thèmes d’amours de Herrmann – Pas de printemps pour Marnie ou Sueurs froides. Opposition d’effectif orchestral par rapport au reste de la partition – deux bois et un petit effectif de cordes / grand orchestre.
5. Thème d’amour - Ève (2) Construit sur quatre mesures, dans une tonalité de Mi bémol majeur clairement affirmée. Il fonctionne sur deux périodes de deux mesures et est fortement appoggiaturé (accord parfait initial et second accord de 7ème diminuée). L’ostinato rythmique est construit sur la cellule 1ère apparition dans le wagon restaurant : il accompagne le jeu de séduction d’Eve – hautbois et clarinette soutenus par l’ostinato des cordes « qui imite le bruit régulier du train » - JP Eugène. La romance est reprise plus longuement lors du baiser dans le compartiment, avec un développement mélodique et harmonique – modulations - qui fait déborder la mélodie du cadre des quatre mesures initiales. Dans le wagon restaurant Dans le compartiment
5. Thème d’amour - Ève (3) Nouvelles occurrences du thème d’amour : La romance s’assombrit le lendemain : Thornhill déguisé en contrôleur, le thème revient brièvement lorsqu’il déclare « tu es la plus futée des femmes… » pour se terminer sur un intervalle de quinte diminuée inexistant dans la mélodie originale. Dissonance signifiante… Ève tourne la tête et provoque un panoramique latéral vers Van Damme et Léonard. Image et son sont ainsi associés pour faire comprendre la situation au spectateur. On réentend le thème à la fin de la même séquence – séparation avant qu’Ève n’envoie Thornhill à la mort au bord de la Nationale 41. Dans la continuité (« où te retrouverai-je ? »), brève auto citation d’un thème de Sueur Froides. Reprise aux Cordes, très lyrique, dans la scène d’explication dans le bois (« 2ème scène du baiser »).
5. Thème d’amour - Ève (4) Dans la chambre d’hôtel Thème rendu plus lyrique par l’instrumentation en orchestre à Cordes lors des retrouvailles à l’hôtel après la scène de la Nationale 41. Ève, sans un mot, court se jeter dans ses bras au point que Thornhill, désarçonné par ce mouvement spontané qui infirme ses certitudes, reste les bras ouverts. Conclusion musicale sur une dissonance très évocatrice à la question d’ Ève « Content de ta journée ? ». Toujours dans la même scène, nouvelle occurrence du thème d’Amour au moment où Eve lui demande de partir définitivement. Les bois –notamment les clarinettes – officient cette fois.
6. Ève : motif de la duplicité Comme les autres personnages, Ève a aussi ses deux thèmes. Le second est celui de la duplicité ; il est entendu pour la 1ère fois lors de la scène des cabines téléphoniques à la gare de Chicago. Le double jeu que mène Ève Kendall nous est ainsi révélé par la musique en premier lieu, sans dialogue, par un motif chromatique en tierces descendantes puis ascendantes joué par deux clarinettes et deux trompettes soutenues par une timbale et un vibraphone (note répétée) qui complète ce que nous disent les images : travelling de la caméra qui relie Ève à Léonard. C’est le double jeu d’Ève qu est ici dévoilé par cette alternance des instruments (clarinettes / trompettes) et leurs mouvements parallèles (en tierces). La pédale de la timbale souligne l’ensemble ou bien le contredit en mettant en évidence la ligne de conduite droite de l’héroïne.
6. Ève : motif de la duplicité Ce motif est entendu à chaque fois qu’Ève est obligée de mentir : - à Roger à l’hôtel de Chicago – vers la fin de la séquence -, - à Van Damme dans la maison du Mont Rushmore… - ou aux deux à l’Hôtel des Ventes – dès les premières images en relation avec Van Damme, puis plus brièvement quand Thornhill prend congé.