Nous étions invitées ce soir-là, Yvonne et moi, chez un couple d’amis. Nous voilà donc parties à la recherche de leur maison…

Une charmante maisonnette entourée de fleurs… Des plates-bandes bien soignées. Notre voiture est à peine arrêtée que le perron s’éclaire, la porte s’ouvre. Marie-Claire nous accueille chaleureusement. Serge nous rejoint.

Nous sommes introduites dans la salle à manger, où le couvert est déjà dressé. Plaisir d’un accueil plein de sympathie et de convivialité. Tout en parlant, Marie-France nous place et dépose sur la table des plats joliment préparés, où les couleurs des aliments choisis s’harmonisent pour le plaisir des yeux, avant d’être le plaisir du palais !!!

Marie-France saisit un ravier sur la table et me le présente en me proposant : “Un peu de macédoine ?” Serge nous verse à boire. - Ah ! dit Yvonne. J’ai posé nos affaires sur le premier fauteuil en entrant à droite dans le salon. - Oui je sais répond Serge très affirmatif !

Je la regarde, un peu étonnée par la netteté de cette précision… et je réalise tout à coup que nos hôtes sont aveugles tous deux. J’avais oublié…

J’observe mieux… J’écoute… En posant le plat de hors-d’œuvre près de son mari, Marie-France lui dit : - Je te pose le ravier sur ta droite, c’est une macédoine. Serge se saisit du ravier et se sert, sans aucune hésitation.

Une petite voix retentit soudain, mais, dans le brouhaha de la conversation, je n’ai pas compris. Marie-France perçoit mon étonnement et m’explique : - C’est le thermostat qui nous indique la température de la pièce.

Le climat est à la simplicité, à la confiance, et je puis me permettre de poser les questions qui se bousculent dans ma tête. - Comment sais-tu ce que contient chaque plat ? Tu ne te trompes jamais en nous les présentant. - Je choisis des plats de formes différentes, et je sais où j’ai mis chaque ingrédient.

- Mais nous ne le posons pas obligatoirement où tu l’avais posé toi-même, quand nous nous sommes servies ? - Le bruit du ravier sur la table me donne son emplacement. Serge nous sert à nouveau à boire, et je remarque qu’il pose le goulot de la bouteille sur le rebord du verre, pour se repérer.

- Et comment fais-tu pour être toujours si élégante, pour savoir que tu as un corsage bleu qui va avec tes pantalons prune ? Serge rit et se lève. Je remarque sa main qui frôle à peine le rebord du buffet lorsqu’il se dirige vers la porte d’un pas assuré.

Il revient, trouve sa chaise sans hésitation, s’installe. Il ramène un petit appareil, plus petit qu’un cellulaire, et, avec un air de conspirateur, le pose sur son pantalon. J’entends une voix mécanique : - gris clair. Nous sommes médusées. Marie-France fait une démonstration, et l’appareil imperturbable indique : bleu clair, bordeaux…

Elle nous explique qu’elle a une cocotte-minute parlante, mais tant de choses se bousculent dans ma tête que j’oublie de demander des précisions. Leur grand fils rentre alors en coup de vent, salue, repart en trombe, vrai courant d’air comme tous les jeunes. - Nous l’avons adopté ! Nous explique Serge. Nous avons adopté deux enfants…

Le repas se termine. Marie-France pose sur la table un appétissant gâteau : - Voyons si vous devinez à quoi je l’ai fait ! La couleur devrait vous guider ! Carotte ? citrouille ? non, notre hôtesse secoue la tête en riant. C’est pourtant délicieux… C’est Yvonne qui trouve : - à la patate douce !

- Bravo ! dit Marie-France. C’est une recette de chez moi, de l’Ile de la Réunion. Ma foi, c’est une excellente recette ! Et nous nous régalons… Café ? Non, pas de café. Une tisane, alors ! Serge fait une tisane, pendant que Marie-Claire s’installe au piano et nous chante une chanson de sa création.

Il revient nous servir. Sans hésitation nous offre cette excellente tisane. Nous parlons maintenant informatique. Leur ordinateur est équipé, et lit les textes. Mais oui, il faut que je leur envoie mes diaporamas, ils aiment beaucoup cela ! Et le texte leur permet souvent de visualiser les images…

C’est le moment du départ. Marie-France refuse absolument qu’on l’aide à la cuisine. Serge va prendre nos affaires dans le salon, et nous les tend. Et nous partons à regret.

Ah ! J’oubliais de vous dire : lui est kiné, et elle professeur de musique et musicothéra- peute !

Je suis émerveillée. Emerveillée par leur bonne humeur, par leur dextérité, par la capacité de l’être humain à s’adapter à toutes les situations, même celles qui paraissent les plus dramatiques. Et je constate, une fois de plus, que ceux qui geignent et se plaignent sans arrêt ne sont pas ceux auxquels on pourrait s’attendre.

Je me dis aussi que ceux qui sont à plaindre, ce sont précisément ceux qui ont tant de choses à portée de leur main, mais que les personnes que l’on qualifie d’handicapées sont au contraire, dans la majorité des cas, des gens qui saisissent la vie à pleine main, à plein cœur, et nous donnent de merveilleuses leçons d’optimisme et de courage…

Et je me dis enfin que j’essaierai de ne jamais oublier cette leçon…

Texte : Jacky Illustrations prises au fil du temps sur Internet. Musique : Yvette Horner - Caminito Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix

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