Théorie de l’argumentation 1 Acceptabilité, pertinence et suffisance
Source: Hélène Laramée, « Chapitre 4, Les règles et la pratique de l’argumentation », dans Introduction à la philosophie, 2003, pp. 71-89. (Adaptation libre).
Savoir-faire à développer 1 Analyse de texte ou de discours: Repérer la thèse de l’auteur. Repérer les arguments. Juger de la pertinence, de la cohérence et de la suffisance de l’argumentation. Repérer les sophismes. Formuler un jugement sur le bien-fondé (la valeur de vérité ou la rationalité) de la thèse.
Argumenter Argumenter, c’est élaborer un discours en vue de défendre une opinion sur un sujet. Il y a argumentation lorsque plusieurs opinions sont possibles; en effet, devant l’évidence, personne n’argumente. Le parti pris défendu est exprimé dans une thèse et soutenu par les arguments.
Les critères d’un bon texte d’argumentation Comme tout raisonnement vise un échange rationnel avec les autres, nos raisonnements doivent être biens construits. C’est pourquoi nous devons veiller à respecter les critères d’acceptabilité, de pertinence et de suffisance; il faut aussi se garder d’employer des sophismes. C’est en respectant ces critères que nos positions peuvent prétendre être impartiales, universelles et/ou objectives.
Trois critères Acceptabilité des prémisses La pertinence des prémisses La suffisance du lien entre les prémisses et la conclusion
1. Acceptabilité des prémisses Pour évaluer un raisonnement, il faut commencer par déterminer si le contenu de chacune des prémisses (propositions, jugements, arguments) est acceptable ou non. IMPORTANT: Si les prémisses du raisonnement ne sont pas acceptables, nous ne sommes pas justifiés d’admettre la vérité de la conclusion (de la thèse avancée par l’auteur).
Les jugements de fait Comment dire si une prémisse empirique est acceptable? Elle doit respecter l’un ou l’autre de ces critères: La correspondance avec les faits empiriques: on peut dire d’une prémisse qu’elle est vraie lorsqu’elle correspond à la réalité observée: « mon ordinateur est noir », « les poissons ne sont pas des mammifères ». La cohérence avec les autres prémisses. Si la correspondance avec les faits empiriques ne peut être établie, on doit vérifier si la prémisse n’entre pas en contradiction avec les autres prémisses impliquées dans le raisonnement. La confirmation d’un expert reconnu et compétent.
Les jugements de valeur Pour être acceptables, les jugements d’évaluateur: Ne doivent pas être absurdes, irrationnels ou dogmatiques, puisqu’il nous est alors impossible de poser un jugement critique à leur égard; Doivent être suffisamment justifiées (pas sophismes ou préjugés); Doivent être cohérents avec les autres prémisses qui composent le raisonnement.
Les prémisses analytiques Les prémisses analytiques sont des positions que l’on tient pour vraies en se basant uniquement sur le sens des termes qu’elles renferment, sans avoir à recourir à des réalités extérieures, ni à d’autres propositions. Tant qu’elles sont logiquement cohérente, elles ne peuvent être réfutées. Elles ne nous apprennent rien de nouveau qui n’est pas contenu logiquement dans la proposition.
Exemple de prémisse analytique « Mon père est un homme ». Cette prémisse est analytique puisqu’elle ne nous apprend rien de nouveau sur le monde empirique. Par définition, un père est forcément un homme.
Acceptabilité des prémisses analytiques Quand on veut savoir si une prémisse analytique est vraie, on doit lui appliquer le test de la négation : si la forme négative de la proposition contient une contradiction interne, nous avons la preuve de la vérité logique et rationnelle d’une prémisse. Exemple: « Mon père est un non-homme ». Lorsqu’on nie la qualité « d’homme » à un père, on voit apparaître une contradiction. Cette contradiction est la preuve analytique de la vérité de la prémisse « Mon père est un homme ».
2. La pertinence des prémisses Même si toutes les prémisses d’un raisonnement étaient acceptables en elles-mêmes, prisent séparément, elles n’apporteraient pas nécessairement des éléments de preuve à l’appui de la conclusion. Comme dans le cas des paralogismes, il se peut que les prémisses soient vraies en elles-mêmes, mais n’aient rien à voir, ou peu à voir, avec la conclusion. Il s’agit soit d’un rapport indirect et alors il manque trop d’éléments pour conclure; soit il s’agit d’une absence de rapport entre les prémisses et la thèse.
Exemple de non-pertinence des prémisses pour la conclusion Si quelqu’un essaie de vous démontrer que « la lune tourne autour de la Terre » (conclusion qui est sa thèse qu’il veut défendre), à l’aide des prémisses suivantes: « Le dauphin est un mammifère » (prémisse 1) et « Platon est l’auteur de La République » (prémisse 2), vous jugerez que, même si elles sont vraies, ces prémisses ne sont pas pertinentes, c’est-à-dire qu’elles n’ont aucun rapport avec la conclusion; le raisonnement ne tient donc pas.
3. La suffisance du lien entre les prémisses et la conclusion Notre troisième critère: la suffisance. Si les prémisses (parties) d’un raisonnement sont acceptables et pertinentes, il se peut cependant qu’elles ne suffisent pas à établir la conclusion.
Exemple de lien insuffisant entre les prémisses et la conclusion En route vers Sainte-Patente vous arrêtez pour faire le plein d’essence à St-Machin. Au moment de payer, le caissier de la station d’essence se montre désagréable à votre endroit. Vous concluez que les Machiniens sont des gens déplaisants. Raisonnement: (P1) Les Machiniens vivent à St-Machin. (P2) Un Machinien à St-Machin s’est montré désagréable. Donc (C) Tous les Machiniens sont désagréables.
Analyse du raisonnement insuffisant La prémisse (1) est acceptable, puisque qu’elle est vraie sur le plan analytique. Un Machinien est par définition un citoyen de St-Machin. La prémisse (2) est acceptable, puisque dans le cas qui nous occupe, elle est vraie: vous avez fait le plein d’essence à St-Machin et quelqu’un a été désagréable avec vous. Elle est également pertinente, puisqu’elle apporte un élément de preuve à l’appui de la conclusion (C). Toutefois, elle ne suffit pas à montrer que la conclusion est vraie, ni même qu’elle est probable: le lien entre la prémisse (2) et la conclusion est insuffisant.
Quel est le sophisme dans ce raisonnement? Ici il s’agit d’un exemple de généralisation hâtive (de composition): On attribue une qualité (un comportement ou un attribut) à l’ensemble d’un groupe de personnes, à partir d’une qualité (comportement ou attribut) d’une seule personne de ce groupe.