Principes généraux et mesures spécifiques en matière de contrats municipaux Par Me François Girard, avocat
MISES EN GARDE Cette présentation a été conçue de manière à donner un ordre d’idée général des règles applicables aux contrats municipaux. Il ne s’agit en aucun cas d’opinions juridiques. Le contenu de la présentation ne peut en aucun cas être interprété comme traduisant la position juridique, ni du MAMOT, ni du ministère de la Justice.
Principes généraux de droit municipal
Le principe de base « Créature de la loi, une municipalité ne possède que les pouvoirs qui lui ont été délégués expressément ou qui découlent directement de pouvoirs ainsi délégués. Agir autrement constitue une atteinte à l'existence même du pouvoir puisque l'autorité administrative n'a aucune compétence pour agir comme elle le fait. » Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326
Ce principe de base signifie que: 1- Une municipalité ne peut œuvrer que dans les domaines où le législateur lui a octroyé compétence; 2- Une municipalité doit exercer ses pouvoirs conformément aux balises fixées par la loi.
Une municipalité qui agit dans des domaines où elle n’a pas compétence ou d’une façon non- conforme à la loi sort du cadre prévu par le législateur. Hors de ce cadre, ses gestes ne sont plus habilités, ou ultra vires.
La sanction La conséquence de l’ultra vires est la nullité C’est à la cour supérieure qu’il appartient de déclarer la nullité d’actes municipaux. La nullité implique que ces actes sont censés n’avoir jamais existés.
Concrètement, dans le cas, par exemple, du non- respect des règles d’octroi de contrats, la nullité implique que le contrat est réputé n’avoir jamais existé; même si la municipalité a reçu un service elle n’est pas tenue de le payer.
« Ces principes peuvent paraître rigoureux mais, dans mon opinion, ils sont bien fondés, car il a toujours été reconnu par la doctrine et la jurisprudence que ceux qui contractent avec une municipalité doivent s'assurer que non seulement celle-ci agit dans les limites des ses pouvoirs, mais aussi que toutes les conditions requises par la loi ont été observées; autrement la municipalité n'est pas liée envers eux. » Beaudry et al. v. Cité de Beauharnois, [1962] B.R. 738, p. 743.
L’acte illégal d’une municipalité écarte, en principe, la théorie de l’enrichissement sans cause. Olivier c. Wottonville, [1943] R.C.S. 118 Ajoutons que la municipalité peut invoquer sa propre turpitude. Gravel c. Cité de Saint-Léonard, (1973) C.A. 779
« Il nous faut donc appliquer la loi dans toute sa rigueur sans qu’il y ait lieu de rechercher si les circonstances donneraient lieu à l’application du principe de l’enrichissement sans cause que la justice nous commanderait d’appliquer à un particulier ou à une société. La Ville est à l’égard de son pouvoir de contracter assujettie à des restrictions d’ordre public que l’exécution du contrat ne peut avoir pour effet d’écarter. » [Références omises] Lalonde et autres c. Cité de Montréal-Nord, [1978] 1 R.C.S. 672
La mise en concurrence Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un « principe », la mise en concurrence est devenue, par l’étendue de son application, LA règle en matière de contrats municipaux. Le gré à gré devient l’exception. Code municipal du Québec (C-27.1) et Loi sur les cités et villes (C-19)
Les règles de demandes publiques de soumissions visent tous les contrats: -d’assurances; -de fourniture de matériel ou de matériaux; -d’exécution de travaux; -de fourniture de services.
Sous réserve des exceptions: tout contrat entre $ et $ doit être soumis à un processus d’invitations écrites; tout contrat de plus de $ doit suivre le processus d’appel d’offres public prévu par la Loi.
Une fois accordé au terme d’un processus de demandes publiques de soumissions, un contrat ne peut être modifié, sauf s’il s’agit de modifications mineures ou accessoires. « Une municipalité ne peut modifier un contrat accordé à la suite d'une demande de soumissions, sauf dans le cas où la modification constitue un accessoire à celui-ci et n'en change pas la nature. » Articles du Code municipal du Québec et de la Loi sur les cités et villes
« Regard must be had to the specific circumstances of each case, such as whether the changes are minor in relation to the contract as a whole, the presence or absence of consideration, and in particular the intent of the parties, since they are clearly not permitted to evade the law by altering, for example, the fixed nature of the contract. » Adricon ltée c. Ville d’East-Angus, [1978] 1 R.C.S. 1107, 1118.
Règles particulières Applicables aux organismes municipaux
Notion d’ organisme municipal Les organismes municipaux visés par les règles ci-après sont tous ceux identifiés par la loi: Les municipalités locales et régionales; Les Communautés métropolitaines; Les régies intermunicipales; Conseils intermunicipaux de transport; Les société de transport en commun; Organismes mandatés par une MRC en matière de développement économique (anciens CLD); Les sociétés d’économie mixte.
Le secret des soumissions Depuis le 1 er septembre 2010, malgré la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1), il est interdit de divulguer, jusqu’à l’ouverture des soumissions, « un renseignement permettant de connaître le nombre ou l'identité des personnes qui ont présenté une soumission ou qui ont demandé une copie de la demande de soumissions ou d'un document auquel elle renvoie ». Paragraphes 3.1 des articles 935 du Code municipal du Québec et 573 de la Loi sur les cités et villes
Le non-respect de cette règle est sanctionné par l’attribution d’une responsabilité personnelle et la possibilité, dans le cas d’un élu, d’être déclaré inhabile à exercer toute fonction municipale pendant deux ans. Articles du Code municipal du Québec et de la Loi sur les cités et villes
Estimation préalable Le prix de tout contrat qui comporte une dépense de $ ou plus doit, avant l'ouverture des soumissions, le cas échéant, et la conclusion du contrat, avoir fait l'objet d'une estimation établie par la municipalité Articles du Code municipal du Québec et de la Loi sur les cités et villes
Politique de gestion contractuelle Toute municipalité doit adopter une politique de gestion contractuelle, applicable à tout contrat, dont le contenu minimal est balisé par la loi. Articles du Code municipal du Québec et de la Loi sur les cités et villes.
La politique de gestion contractuelle doit être accessible en tout temps sur Internet et elle doit être envoyée au ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire.
Liste publique des contrats Les organismes municipaux visés doivent publier dans le SEAO et mettre à jour mensuellement la liste de tous les contrats de plus de $ qu’ils ont octroyés. Les renseignements doivent demeurer inscrits pendant 3 ans. Articles du Code municipal du Québec et de la Loi sur les cités et villes.
Règles particulières Applicables aux cocontractants
License restreinte Depuis 2009 (L.Q. 2009, c. 57), la notion de « licence restreinte » implique non seulement l’impossibilité pour l’entrepreneur visé d’obtenir des contrats du gouvernement, mais aussi l’impossibilité d’obtenir des contrats municipaux.
Contributions politiques La Loi prévoit maintenant qu’une contribution à un parti politique municipal « doit être faite volontairement, sans compensation ni contrepartie, et elle ne peut faire l’objet d’un quelconque remboursement ». Article 430 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités.
La Loi prévoit aussi que le reçu délivré au donateur doit contenir une déclaration signée à l’effet que la contribution de « l’électeur » « est faite à même ses propres biens, volontairement, sans compensation ni contrepartie, et qu’elle n’a fait ni ne fera l’objet d’un quelconque remboursement ». Article 434 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités.
Une personne, physique ou morale, qui contrevient aux règles applicables aux contributions politiques risque non seulement de fortes amendes, mais aussi de se voir interdire l’obtention de « contrats publics » via son inscription au RENA et l’impossibilité de se voir inscrit au REA.
Loi sur les contrats des organismes publics Ne s’applique que partiellement aux organismes municipaux, en fonction des dispositions spécifiques qui la rende applicable.
RENA Soit le Registre des Entreprises Non Admissible constitué et géré par le Conseil du trésor. Article 21.6 de la Loi sur les contrats des organismes publics. La Loi prévoit qu’un contractant déclaré coupable d’une infraction visée à l’annexe 1 est inscrit au Registre. L’inscription au registre implique l’impossibilité d’obtenir tout contrat public. Article 21.1 de la Loi sur les contrats des organismes publics.
REA Soit le Registre des Entreprises Admissibles constitué et géré par l’Autorité des marchés financiers. Article de la Loi sur les contrats des organismes publics.
« Une entreprise qui souhaite conclure avec un organisme public tout contrat comportant une dépense égale ou supérieure au montant déterminé par le gouvernement doit obtenir à cet effet une autorisation de l'Autorité des marchés financiers. » Article de la Loi sur les contrats des organismes publics.
Pour Montréal, le décret prévoit que le REA s’applique aux « contrats de travaux de construction, de reconstruction, de démolition, de réparation ou de rénovation en matière de voirie, d’aqueduc ou d’égout de la Ville de Montréal, qui comportent une dépense égale ou supérieure à $ et dont le processus d’adjudication ou d’attribution débute à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret, ainsi qu’aux sous-contrats de même nature qui sont rattachés directement ou indirectement à ces contrats et qui comportent une dépense égale ou supérieure à $. »
Pour l’ensemble des organismes publics, le montant d’un contrat de services rendant applicable l’obligation d’être inscrit au REA a été fixé par le plus récent décret à $. Décret du 27 mai 2015 concernant les contrats et sous-contrats de services comportant une dépense égale ou supérieure à $ En ce qui trait aux contrats de travaux de construction, le montant est celui de $ prévu au précédent décret. Décret du 10 septembre 2014 concernant les contrats et sous- contrats de services et les contrats et sous-contrats de travaux de construction comportant une dépense égale ou supérieure à $.
Attestation de Revenu Québec Tout entrepreneur intéressé à conclure avec un organisme public un contrat de travaux de construction comportant une dépense égale ou supérieure à $ doit détenir une attestation de Revenu Québec. Article 40.1 du Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics (C-65.1, r 5).
Les recours
Nullité du contrat Le nullité d’un contrat municipal se demande à la Cour supérieure par voie de requête en nullité. Tout « intéressé » peut demander cette nullité. Roy c. Pincourt (Ville de), 2015 QCCA 1394.
Inhabilité Dans certains cas, les élus en conflit d’intérêts ou ayant sciemment participé à l’octroi du contrat illégal s’exposent à se voir déclarer inhabiles. Encore une fois, c’est à la Cour supérieure qu’appartient de prononcer cette inhabilité.
Le MAMOT offre un service de traitement des plaintes concernant le domaine municipal.