Le devoir Vème partie
L’action morale et l’intérêt Selon Kant, si nous agissons de façon morale par intérêt, notre acte ne peut plus être qualifié de moral. Mais cela importe-t-il vraiment ? L’homme moral vise le bien de la société. Si son action peut lui profiter, quel mal peut-il y avoir ? C’est doublement bénéfique pour certains.
John Stuart Mill 1806-1873 L’utilitarisme de John Stuart Mill envisage toute action en fonction de ses conséquences. Cette morale eudémoniste n’est pas en soi une doctrine égoïste puisque ce que le philosophe considère n’est pas l’intérêt personnel mais le bien-être de la société en général. L’utilitarisme, selon la formule de Joseph Priestley, vise au « plus grand bonheur du plus grand nombre».
A partir du moment où l’acte moral est réalisé, pourquoi serait-il important que celui-ci fût fait sans souci d’intérêt ? « La tâche de l’éthique est de nous dire quels sont nos devoirs ou par quelle expérience nous pouvons les connaître : mais aucun système éthique ne demande que le seul motif de tout ce que nous faisons soit un sentiment de devoir : bien au contraire, quatre-vingt-dix pour cent de toutes nos actions ont leur source dans d’autres motifs et ce, à juste titre, à condition que la règle du devoir ne les condamne pas. »
Ce n’est pas tout à fait exact. Le système éthique de Kant exige un tel sentiment de devoir à l’origine de nos actes et, d’autre part, le fait que quatre-vingt-dix pour cent des actions soient intéressées ne signifie pas pour autant qu’elles soient justes ou bien fondées. Pourtant Stuart Mill remarque, malgré tout, avec beaucoup de finesse que la conséquence de l’acte doit aussi être pertinente dans l’observation de l’acte moral. La valeur de l’acteur est peut-être moins importante que l’acte lui-même.
« Celui qui sauve son semblable de la noyade fait ce qui est moralement juste que son motif soit le devoir ou l’espoir d’être rétribué pour son geste ; celui qui trahit l’ami qui lui a fait confiance est coupable d’un crime, même si son objet était de servir un autre ami vis-à-vis duquel il avait une obligation plus grande. »
En fait, Stuart Mill et Kant ne sont pas forcément en désaccord : l’acte moral est une priorité pour les deux mais c’est seulement l’objet de l’acte qui prend une dimension différente. Pour les utilitaristes, l’acte moral doit tendre au bonheur de la société ; pour Kant, il crée les conditions nécessaires à l’affirmation de la liberté et de la responsabilité humaines. Mais pour Kant, comme pour Stuart Mill, l’acte moral est nécessaire à la société, à son harmonie, à son épanouissement. Il constitue l’engagement de l’un vers autrui et donc vers tous.