Mme M, 37 ans J. BEAZIZ (INTERNE) SERVICE DE MEDECINE INTERNE-MALADIES INFECTIEUSES, HÔPITAL ROBERT-BALLANGER, AULNAY SOUS BOIS 08/12/15
Antécédents: Histoire de la maladie Patiente née en France, d’origine Marocaine Aucun antécédent médical, ne prend aucun traitement Mariée, vit à Paris G1P1 Histoire de la maladie Accouchement par césarienne le 11/11/15 (siège), à 39 SA Allaitement Fièvre oscillante entre 37.5°C et 38.5°C depuis l’accouchement
Démarche diagnostique en suite de couches ?
Démarche diagnostique en suite de couches ? Lochies habituelles Bonne rétraction utérine TV: pas de douleur à la mobilisation du col Seins: RAS Cicatrice de césarienne propre: pas d’écoulement Mollets souples et indolores Examen clinique sans particularité Une hémoculture prélevée, ECBU demandé
Examens demandés Biologie du 12/11, lendemain de la césarienne: NFS: leucocytes 10.5 G/l (8.10 PNN); Hb 10.5 g/dl, plaquettes N CRP 57 mg/l Prélèvement vaginal négatif ECBU: leucocyturie sans germe (91.000 leuco/ml), culture négative
Un flacon d’hémoculture est positif Un flacon aérobie d’hémoculture du 12/11 est positif le 16/11 (J4) à Bacille GRAM positif, difficile à identifier, type Corynébactérie d’après le laboratoire. Avis infectieux: que faites vous ?
Interrogatoire Patiente toujours fébrile depuis l’accouchement (max 38,5°C) Depuis 2 mois Sueurs nocturnes profuses (sensation de fièvre mais température non prise) Toux productive avec crachats hémoptoïques Altération de l’état général Lombalgies attribuées à la grossesse Arthralgies des poignets et des chevilles, fluctuantes, sans gonflement articulaire depuis quelques semaines. Actuellement: Asthénie, toux grasse.
Examen clinique Poids après accouchement 59 kg (58 kg avant la grossesse) Examen pulmonaire: eupnéique, auscultation claire, pas de douleur thoracique Examen cardiovasculaire: BDC réguliers, pas de souffle perçu, mollets souples et indolores. Abdomen sensible dans l’hypochondre droit, pas d’HSM. Examen gynécologique: TV indolore, pas de leucorrhée, cicatrice de césarienne propre, examen des seins sans particularité ORL: pas d’angine, pas de douleur à la pression des sinus Aires ganglionnaires libres Examen cutané: petite tuméfaction en regard de l’articulation IP du pouce gauche, apparue avant l’accouchement (secondaire à une plaie)
Quelle est le premier diagnostic à évoquer. Quel bilan demandez vous Quelle est le premier diagnostic à évoquer ? Quel bilan demandez vous ? Faut il instaurer une antibiothérapie ?
Hypothèse à évoquer en premier lieu ? TUBERCULOSE Devant: Sueurs profuses depuis 2 mois Toux grasse et crachats hémoptoiques Asthénie et faible prise de poids au cours de la grossesse Le germe retrouvé dans un unique flacon d’hémoculture du 12/11 est considéré comme contaminant: pas d’antibiothérapie instaurée, l’allaitement est poursuivi.
Démarche diagnostique et prise en charge Pas de notion de contage tuberculeux Radiographie de thorax normale BK crachats x3 demandés IDR à la tuberculine faite le 16/11 TDM TAP demandé Une seconde hémoculture prélevée. Biologie: pas hyperleucocytose, pas de lymphopénie, CRP à 15 mg/l, bilan hépatique N, créatinine 49 micromol/l, sérologie VIH négative Isolement respiratoire jusqu’aux résultats négatifs des BK crachats.
La seconde hémoculture est positive La seconde hémoculture prélevée le 16/11 est positive à J3, à Bacille GRAM positif, type Corynébactérie (flacon aérobie) . La patiente est revue par l’infectiologue: Patiente tachycarde à 120/min, doute sur un souffle systolique perçus dans tous les foyers, persistance d’une petite tuméfaction en regard de l’IP du pouce gauche, avec écoulement sale. Sensibilité de l’hypochondre droit. Résultats des examens demandés: IDR négative, RP N, scanner TAP N, premiers BK crachats négatifs au direct
Nouvelle hypothèse diagnostique?
Quel diagnostic doit être évoqué ? ENDOCARDITE SUBAIGUE Car: Bactériémie (deux hémocultures positives au même germe) dans un contexte de fièvre prolongée (sueurs profuses en rapport avec une fièvre non objectivée ?) et apparition d’un souffle cardiaque à l’auscultation, arthralgies fluctuantes depuis quelques semaines. Portes d’entrée ? Lésion du pouce ? Apparue après le début des symptômes ORL ? Notion de rhinopharyngites à répétition pendant la grossesse (foyer sinusien ?) Dentaire ? Douleurs dentaires peu de temps avant l’apparition des sueurs profuses Embole septique ? Lombalgies d’horaire mixte (spondylodiscite?)
Quelle est votre attitude ? Deux hémocultures positives au même germe (flacons aérobies): Une antibiothérapie est débutée, dans l’hypothèse d’une endocardite: amoxicilline 2gx6/24h et gentamicine 5 mg/kg/24h, le 19/11, en attendant l’antibiogramme, après avoir prélevé une 3ème hémoculture Recherche d’une endocardite par ETT puis une ETO Recherche d’une spondylodiscite (réinterprétation du scanner TAP avec coupes sur le rachis lombaire) Recherche de la porte d’entrée Panoramique dentaire Scanner des sinus
Résultats microbiologiques Discordance du GRAM au direct et en culture: Germe retrouvé sur les flacons aérobies Au direct: Bacille GRAM positif poussant difficilement, à J3 ou J4, dont l’identification est difficile (type Corynébactérie) En culture: coccobacille GRAM négatif Antibiogramme incompatible avec un GRAM + : glycopeptide R Antibogramme: R Pénicilline G, S amoxicilline (CMI 0.09), S céfotaxime (CMI 1.5) S Ciprofloxacine. Envoi de la souche à Lariboisière
Endocardite ? Porte d’entrée de la bactériémie ? Pas d’image d’endocardite à l’ETT et à l’ETO Scanner des sinus: sinusite maxillaire chronique gauche sur obstruction nasale par présence de matériel d’obturation dentaire au sein de la fosse nasale Panoramique dentaire: pas d’abcès dentaire
Hypothèse retenue à ce stade: Bactériémie à germe en cours d’identification secondaire à une infection sinusienne chronique due à un corps étranger intra sinusien
Sinusite maxillaire chronique? Un drainage su sinus au bloc opératoire avec réalisation de prélèvement à visée bactériologique est organisé. Modification de l’antibiothérapie: Augmentin 2gx3/j en IV, arrêt de la gentamicine (pas d’endocardite)
Difficultés d’identification de la souche La 3ème hémoculture, prélevée le 19/11, est positive au même germe (flacon aérobie) Souche adressée à Lariboisière 1/ Spectrométrie de masse (identification d’un profil protéique comparé à une base de données de routine): pas d’identification possible 2/ Analyse en ARN 16S: identification d’une Brucella (base de donnée de laboratoires spécialisés) 3/ Envoi de la souche au CNR de Nîmes: confirmation du diagnostic
Brucellose (1) Reprise de l’interrogatoire: Séjour à Chypre en juillet 2015, dans une ferme. La patiente dit avoir mangé tous les produits de la ferme (lait, viande, légumes) pendant son séjour Modification de l’ATB: arrêt de l’Augmentin et démarrage d’une antibiothérapie par DOXYCYCLINE 100 mgx2/jour et RIFADINE 900 mg/jour à jeun pendant 6 semaines (pas d’allaitement sous Doxycycline) IRM du rachis demandée, à la recherche d’une spondylodiscite (lombalgies d’horaire mixte)
Brucellose (2) Résultat de l’IRM rachidienne: pas de spondylodiscite Déclaration obligatoire CAT vis à vis de l’enfant: Arrêt de l’allaitement (doxycyline), pas de traitement prophylactique car peu de risque de transmission materno-foetale, mais surveillance renforcée de la température chez l’enfant. Dépistage des professionnels exposés au laboratoire (maladie professionnelle)
A propos de la Brucellose, ou fièvre de Malte (1) Agent causal: Coccobacilles à GRAM négatif, intracellulaire, aérobie strict Le genre Brucella comprend 6 sepèces, dont trois sont pathogènes pour l’homme: B.melitensis, B.abortus, B.suis Epidémiologie: Ubiquitaire (500 000 nouveaux cas par an dans le monde), prédominance dans le bassin méditerranéen, Réservoir: animaux d’élevage. En France: disparition des foyers bovins Contamination humaine (hôte accidentel): directe par voie cutanée (pénétration par excoriation) ou conjonctivale (maladie professionnelle des ruraux ou personnels de laboratoire, très rare) indirecte (vacanciers) par ingestion de lait cru ou fromage frais - 32 cas humains détectés en France en 2012, principalement importés Maladie à déclaration obligatoire Pas de transmission interhumaine
A propos de la Brucellose (2) Clinique: Infection asymptomatique (90% des contaminations) Primo-infection: incubation de 1 à 3 semaines. Fièvre progressivement croissante(39°), malaise, frissons, courbatures, arthromyalgies, sueurs (fièvre ondulante sudoroalgique); possible atteinte polyviscérale : hépatique, rénale, endocardite, ) Brucellose subaigue: localisation ostéo articulaire dans 20 à 40% des cas Brucellose chronique: « patraquerie brucellienne », associée ou non à des foyers osseux ou viscéraux
A propos de la Brucellose (3) Terrain particuliers Terrain à risque accru de formes graves (porteurs de valvulopathies, immunodéprimés) Femmes enceintes: risque augmenté d’avortements, d’accouchement prématuré et de mort in utero, mais pas de malformation pour l’enfant à naitre
A propos de la Brucellose (4) Diagnostic: Biologie non spécifique: leuconeutropénie initiale, élévation modérée de la CRP, des transaminases, et des phosphatases alcalines/gGT. La biologie est normale en cas de brucellose chronique Biologie spécifique: Culture bactérienne: bonne sensibilité en phase aigue ou subaigue (hémocultures ou prélèvements des foyers secondaires), PCR à partir des produits biologiques, Recherche des anticorps: - Séroagglutination de Wright (technique de référence de l’OMS): positive 10 à 15 jours après le début des symptômes, se négative rapidement - IFI positive plus tardivement.
A propos de la Brucellose (5) Traitement: Antibiothérapie orale prolongée associant plusieurs molécules (jamais de monothérapie !): doxycycline (base du traitement) + rifampicine 6 semaines (OMS) Doxycycline 6 semaine + (streptomycine 3 semaines ou gentamicine 7j) Fluoroquinolone + Rifampicine Femme enceinte: Triméthoprime-Sulfaméthoxazole + rifampicine Prophylaxie: Lutte contre la brucellose animale: surveillance et dépistage des animaux et décision d’abattage des animaux malades Prophylaxie humaine: contrôle des aliments d’origine animale (pasteurisation du lait), protection individuelle des sujets à risque (gants, lavage des mains…), Pas de vaccination en France
A propos de la Brucellose (6) En cas d’exposition hors laboratoire (sujets contacts avec des animaux infectés ou consommation de produits laitiers crus non surveillés) pas de mesure prophylactique, répéter le sérodiagnostic de Wright sur 3 mois minimum. En cas d’exposition au laboratoire : risque de transmission par contact avec des produits biologiques infectés: on peut proposer un traitement prophylactique par Doxycycline + Rifampicine pendant 3 semaines (discuté)