La vie en réseau Claire Bidart Alain Degenne Michel Grossetti Séminaire (re)lire les sciences sociales ENS Lyon, 18 mars 2013
Faire de la sociologie qui prenne en compte les relations et les réseaux Analyse des réseaux sociaux : corpus de méthodes et de notions formalisé et mis en cohérence au cours des années 1960 et 1970 à partir de travaux divers (interactionnisme de Simmel, psychologie sociale de Moreno, théorie des graphes, anthropologie britannique des années 1950, etc.) Diverses positions épistémologiques et théoriques : nouveau paradigme (« sociologie relationnelle ») ; ajout aux approches individualistes (le capital social comme ressource individuelle), structuralistes (le réseau comme structure déterminant les comportements), ou constructivistes (les relations émergent des interactions et les cadrent en retour). Position de ce livre : les relations et les réseaux constituent une forme de structuration des mondes sociaux qui interagit avec d’autres formes, les cercles sociaux, et avec les artefacts et dispositifs de toutes sortes qui cadrent les interactions. L’analyse des relations et des réseaux est donc un aspect du travail du sociologue.
L’enquête de Toulouse Réalisée en 2001 dans l’agglomération de Toulouse et plusieurs villages autour de Graulhet (Tarn) Transposition de la méthode utilisée dans une enquête conduite en 1977 en Californie (Claude S FISCHER, 1982, To Dwell Among Friends, Chicago University Press) 1. Sélection d’une population d’enquête (P1) selon des méthodes classiques 2. Questionnaires avec générateurs de noms listes de noms par générateur et liste générale (P2) -> questions sur les relations population de relations (P2) 3. Sélection de 5 noms au maximum (premiers cités pour 5 générateurs) par enquêté et question sur les relations disparues questions complémentaires et matrice de densité sous-population de relations (P3) 399 enquêtés (P1), 10 générateurs de noms, personnes citées (P2), 1624 avec des questions supplémentaires (P3), 305 relations disparues (P3).
Le panel de Caen Un panel de jeunes vivant à Caen en Normandie (France) Vague 1 en 1995 : 87 jeunes interrogés, garçons et filles dans trois filières bac section économique et social (filière générale) bac professionnel stage d’insertion (niveau inférieur au baccalauréat) Ils avaient alors entre 17 et 23 ans Vague 2 en 1998 : 73 d’entre eux ont à nouveau participé à l'enquête. Vague 3 en 2001 : 67 participants Vague 4 en 2004 : 60 participants On a au total 287 réseaux, 200 transitions, observations Cette enquête est réalisée par : Claire Bidart, Alain Degenne, Daniel Lavenu, Didier Le Gall, Lise Mounier, Anne Pellissier Elle associe le LEST, le Centre Mauriche Halbwachs, le CERSE (laboratoires CNRS-Universités).
Un générateur de noms "contextuel" On déroule dans l'entretien les divers contextes parcourus dans la vie: Études, travail, résidence, vie associative, loisirs, sports, bandes de copains, religion, vacances, couple, famille... Anciens contextes: école, études, ex-emplois, ex-résidences, activités diverses, ex-bandes, ex-couple, vacances... « Dans (tel contexte), y a-t-il des personnes que tu connais un peu mieux, avec qui tu parles un peu plus? » Est-ce qu'il y en a que tu fréquentes en-dehors de (contexte) ? Est-ce qu'il y en a qui sont importantes pour toi, que tu les fréquentes ailleurs ou pas ? Quelles sont celles qui se fréquentent entre elles? lien fort prénom interconnections
Agnès vague 4
Sonia vague 4
Tableau 7-3. Taille et composition des réseaux selon l’âge (enquête de Toulouse, ensemble des relations) Tableau 7-3. Taille et composition des réseaux selon l’âge (enquête de Toulouse, ensemble des relations) Lecture : Les enquêtés de 18 à 25 ans citent en moyenne 26 personnes dont 31 % appartiennent à leur famille et 13 % sont des collègues Tableau 7-3. Taille et composition des réseaux selon l’âge (enquête de Toulouse, ensemble des relations) Âge de l’enquêté Désignation de la relation ans ans ans plus de 65 ans Ensemble Nombre moyen de relations dont : Famille31 %38 %43 %51 %40 % Collègues13 %7 % 1 %7 % Voisins1 %3 %5 %6 %4 % Associations2 %3 %4 %10 %4 % Amis48 %41 %35 %24 %38 % Connaissances12 %9 %7 % 9 % Autres3 %5 %6 %1 %5 % Total (réponses multiples) 100 % Lecture : Les enquêtés de 18 à 25 ans citent en moyenne 26 personnes dont 31 % appartiennent à leur famille et 13 % sont des collègues Taille et composition du réseau selon l’âge (enquête de Toulouse)
famille hors-famille Renouvellement du réseau (panel de Caen)
«J'ai arrêté de voir toutes les personnes qui étaient avec Cyril, pratiquement, parce qu’on se rejoignait toujours chez Cyril. A partir du moment où je ne vais plus chez Cyril, je ne vois plus ces personnes. Et les autres, Fabien, Annabelle etc., on allait à la patinoire ensemble, mais c’étaient surtout des amis d’Anthony. Moi, à partir du moment où je ne vois plus une personne et que cette personne est rattachée à d’autres, je ne vois plus ces autres. »
Tableau 5-2. Raisons données par les enquêtés de Caen pour expliquer la non-citation des relations, hors-famille d'Ego Raisons données liens perdus % Contexte disparu 35,4 Perdu de vue 26,6 Effet du réseau 15,3 Distance sociale 9,1 Conflit 7,4 Distance spatiale 5,5 Décès 0,7 Total 100 % Effectif 3 097
Sonia
Clotilde
Temporalité des relations en fonction de la classe de centralité d'Alter (Panel de Caen liens forts hors-famille et hors Alter -amour) Centralité Relation NulleBasse Haute Toutes centralités Pérenne 40,6 %44,2 % 53,3 %46,3 % Disparu 31,9 %35,6 % 30,3 %33,7 % Ephémère 27,5 %20,2 % 16,4 %20,0 % Total 100 % Effectif Lecture : 40,6 % des Alter dont la centralité est classée nulle ont des relations classées en pérennes.
Suzie en 1995 avec enfant sans enfant
Suzie en 1998 avec enfant sans enfant
Suzie en 2001 avec enfant sans enfant
Suzie en 2004 avec enfant sans enfant
Alice, fille d’ouvriers PCS Ouvriers Employés Cadres sup Etudiants
PCS Ouvriers Employés Cadres sup Etudiants
PCS Ouvriers Employés Cadres sup Etudiants
PCS Ouvriers Employés Cadres sup Etudiants
Age densité moyenne ans 0, ans 0, ans 0,52 Plus de 65 ans 0,55 tous 0,46 Age densité moyenne ans0, ans0, ans0, ans0,24 all 0,28 Panel de Caen Enquête de Toulouse
Antoine Les personnes influentes dans son réseau : dissociation
Une exp é rience de comparaison de r é seaux L’enjeu est de mettre en relation la forme des réseaux et les événements de la vie des personnes. Pour cela, il nous a fallu regrouper les réseaux en types. On fait donc un double pari : - Une typologie est possible - Elle permettra de rendre compte des transitions biographiques des individus
Peut-on comparer des r é seaux aussi diff é rents ?
Qu’est-ce qui fait que deux réseaux se ressemblent ? On sait qu’ils ne correspondent pas aux mêmes personnes. Cela n’a donc pas de sens de se demander comment on passe de l’un à l’autre. Ils n’ont pas le même nombre de sommets.
Les données 287 réseaux correspondant aux entourages de jeunes gens de la région de Caen. Issus de quatre enquêtes qui s’étendent sur 12 années. Les réseaux ne sont pas orientés.
La méthode est purement descriptive On a retenu pour chaque r é seau une s é rie de 12 descripteurs : - Le nombre de sommets, - La densit é, - Le pourcentage de triplets contenant une seule arête, - Le pourcentage de triplets contenant deux arêtes, - Le pourcentage de triplets contenant trois arêtes, - La m é diane de la distribution des centralit é s de proximit é, - Un indice de centralit é d ’ interm é diarit é, - Le nombre de sommets isol é s, - Le nombre de composantes, - Le logarithme du nombre de cycles de longueur 4, - L ’ indice de Zagreb, - L ’ indice de Randic. Tous ces indices sont calcul é s par Pajek. Les indices de Randic et Zagreb sont fortement corr é l é s entre eux et avec la taille. On peut donc s ’ en passer.
Les types de triangles dans un réseau non orienté
Une première étape consiste à normaliser ces données pour les rendre comparables. A partir de ces données, on calcule une distance entre les réseaux pris deux à deux. Ceci permet de reconnaître des « noyaux homogènes » de réseaux fortement semblables. La procédure de classification ascendante hiérarchique nous permet alors d’agréger les réseaux autour de ces noyaux.
Nous avons retenu quatre grandes classes de réseaux appelées : - Les réseaux denses, - Les réseaux centrés, - Les réseaux dissociés, - Les réseaux composites.
dense centré dissocié composite
Qualité des regroupements Type denseType centr é Type dissoci é Type composite Taille23,4 – 27,318,9 – 24,826,3 – 31,316,3 – 19,5 Densit é 0,33 – 0,380,27 – 0,320,14 – 0,190,24 – 0,28 Centralit é de proximit é 0,50 – 0,550,52 – 0,550,19 – 0,340,38 – 0,43 Centralit é d ’ interm é diarit é 0,19 – 0,240,50 – 0,570,08 – 0,140,17 – 0,26 % Triangles 3 arêtes 0,12 – 0,160,06 – 0,090,02 – 0,030,05 – 0,07 Nombre de composantes 1,18 – 1,391,04 – 1,342,13 – 2,681,40 – 1,75 Nombre d ’ isol é s0,06 – 0,10,03 – 0,050,22 – 0,310,10 – 0,16
Passage entre les types, d’une vague à l’autre
idem centralisation dissociation densification décentralisation Séquences d’évolutions structurales
Fleur épouse Stéphane, Son réseau passe de composite à centré
Clotilde divorce avec Emmanuel, son réseau passe de centré à dissocié Solange divorce avec Laurent, son réseau dense devient composite
François émigre seul, son réseau reste dissocié Nicolas émigre avec Veronica, son réseau dissocié devient centré
Didier Didier aime Mathilde Didier aime Sébastien ♂ Dissocié ♂ ♀ Composite
Mise en relation de l’évolution du réseau et des événements de la vie L’entrée dans la vie active correspond à une dissociation du réseau (passage de dense ou centré à dissocié). La mise en couple correspond à une densification et une centralisation. La naissance d’un premier enfant correspond à une densification et à une décentralisation.
La liste des variables paraît lourde et la technique fait « boîte noire ». En fait on dispose depuis 2012 d’un nouvel indice correspondant à la recherche des communautés dans le graphe par la méthode dite de Louvain. Etant donnée une partition des sommets en communautés, cet indice de modularité exprime dans quelle mesure les arêtes sont plutôt dans les communautés qu’entre les communautés. Un algorithme définit la partition en maximisant la modularité.
En utilisant la taille du réseau, la densité et le seul indice de modularité, on peut définir une typologie très proche de celle obtenue au moyen d’un grand nombre d’indicateurs. C’est un chantier en cours.
Merci de votre attention