Sport, mondialisation et géopolitique depuis les années 1930 Ce chapitre exige de se pencher un peu sur ce qu’est la « géopolitique ». Selon le géographe Yves Lacoste, elle s’intéresse à « tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d’influence sur des territoires et les populations qui y vivent ». La géopolitique repose alors sur l'analyse des objectifs visés par les acteurs et leurs moyens mis en œuvre pour y arriver. Les acteurs sont variés : ils peuvent être des États, mais également des mouvements politiques ou des groupes armés plus ou moins clandestins.  Comment le sport peut-il être lié à cette notion de « géopolitique » ?

Le sport est aussi utilisé par des mouvements politiques pour appuyer des revendications.

Le sport est donc éminemment « géopolitique », et cela devient particulièrement net avec l’utilisation qu’en font les régimes totalitaires à partir des années 30.

Le sport est par ailleurs étroitement lié à la mondialisation. De plus en plus de gens s’y intéressent, à l’échelle d’un monde qui s’industrialise et s’enrichit. Les grands médias, les grandes multinationales promeuvent et accompagnent cette diffusion croissante. Le sport est désormais quelque chose d’important, de central pour des millions de gens. Cela le rend plus que jamais stratégique. Donc on peut poser la question suivante :  Dans quelle mesure la mondialisation contribue-t-elle à renforcer la portée géopolitique du sport ?

I) Dans les années 30 : une pratique récente, déjà populaire et internationalisée, récupérée par les régimes fasciste et nazi A) Le sport, une pratique qui s’universalise et suscite un engouement croissant 1) L’universalisation du sport dans la foulée de la domination européenne En Europe, l’industrialisation a séparé clairement le temps de travail et le temps de loisir, les gens peuvent faire du sport, et surtout, pour ce qui nous intéresse ici, peuvent assister à des manifestations sportives. De plus, la domination économique et coloniale de l’Europe a permis la diffusion mondiale des sports les plus populaires en Europe.

Des institutions internationales se sont rapidement mises en place : CIO en 1894, UCI en 1900, FIFA en 1904, … Signe de cette internationalisation : la naissance des JO à partir de 1896, sous l’impulsion de Pierre de Coubertin

2) L’engouement croissant autour du sport Le sport s’impose comme une activité capable de déplacer les foules, de susciter un engouement, une émotion forte… Du coup, un évènement sportif de grande ampleur acquiert une portée symbolique, qui va au-delà du simple sport.

B) Le sport au cœur de la stratégie des totalitarismes fasciste et nazi Ces régimes totalitaires voient dans le sport plusieurs opportunités : 1) Au niveau interne, le sport au service de l’idéologie Le sport est vu comme un moyen : -d’embrigader la société, et notamment les jeunes -de promouvoir un « homme nouveau » en exaltant la beauté du corps et de la force physique

2) En termes de rayonnement, le sport est une vitrine des régimes totalitaires Les sportifs sont des « athlètes d’Etat », au service de l’image du régime : l’Italie mussolinienne remporte 3 titres mondiaux de football. Les JO de Berlin en 1936 méritent qu’on s’y penche un peu plus attentivement : -les JO sont l’occasion de diffuser dans le monde entier des images de la puissance allemande -l’Allemagne surclasse les États-Unis avec 89 médailles contre 56, malgré les succès de l’athlète noir Jessie Owens

Le succès de ces JO est total, et permet même de faire passer Hitler pour un pacifiste !

L’exploitation des JO est durable, puisqu’en 1938 sort le film « les Dieux du Stade », réalisé par Leni Riefenstahl avec des moyens considérables pour l’époque, et qui rafle de nombreux prix.

Visionner un extrait : pourquoi ce film est-il réussi ?

Leni Riefenstahl invente en fait les techniques modernes de filmage du sport, qui permettent au spectateur de mieux voir que sur place !

La guerre de vit les JO annulés, ils ne reprirent qu’en 1946 à Londres dans un contexte de Guerre Froide.

II) Le sport au cours de la Guerre Froide, véritable enjeu géopolitique A) L’impact médiatique des évènements sportifs se renforce progressivement Après la guerre, le contexte est très favorable à l’essor du sport- spectacle dans les PI : hausse du niveau de vie, urbanisation, nouveaux médias de masse.

Cette retransmission a lieu en direct, instantanément, pour toucher au maximum les spectateurs… Toutes les images provenant des évènements sportifs acquièrent un retentissement considérable, d’où… :

B) Le sport, terrain de la rivalité États-Unis – URSS Avec la Guerre Froide, la géopolitique prend tout son sens : les moyens mis en œuvre pour les rivalités de pouvoir ou d’influence.

1)Sport et expression de la rivalité « Un succès sportif peut servir une nation autant qu’une victoire militaire » d’après le président américain Gerald Ford ( ) La course aux médailles aux JO L’URSS a pendant longtemps boycotté les JO considérant que c’était du « sport bourgeois », mais en 1951 elle adhère au CIO (comité chargé d’organiser les JO).

Dès lors, les JO servent de terrain pour la course aux médailles entre les 2 Grands, comme à la même époque la course à l’espace.

Dans le bloc soviétique, et particulièrement en RDA, pour parvenir à de tels résultats, les athlètes sont sélectionnés dès leur plus jeune âge, soumis à un entraînement et à un dopage intensifs. Les sportifs sont donc des acteurs centraux de la mythologie socialiste.

L’arme du boycott en période de tensions Le boycott a déjà été utilisé par le passé lors de crises internationales, mais 2 olympiades ont été boycottées en raison de la rivalité Est-Ouest

 62 pays occidentaux boycottent les JO de Moscou en 1980, et en 1984, l’Urss et 14 pays alliés ripostent lors des JO de Los Angeles

2) Le sport, outil de dialogue dans la Guerre froide : la « diplomatie du ping-pong »

Depuis 1949, il n’y a pas de relations officielles entre la Chine et les États-Unis. En 1970, des joueurs américains et chinois se rencontrent au Japon et évoquent la possibilité d’une rencontre en Chine. D’abord récitent, Mao accepte et en 1971, 9 joueurs américains sont reçus en Chine.

Dans la foulée, en 1972, le président américain Nixon se rend en Chine en visite officielle.

C) Le sport instrumentalisé par des revendications nationales La médiatisation croissante de ces compétitions sportives permet à des minorités de s’exprimer et d’avoir un écho mondial Lors de JO de Mexico en 1962, les 2 médaillés américains Tommie Smith et John Carlos perdent leurs médailles et sont exclus à vie des Jeux Olympiques pour avoir soutenu le mouvement nationaliste noir des Blacks Panthers lors de la remise des médailles.

Les Jeux Olympiques de Munich (1972) Pour la 1 ère fois depuis 1936, l’Allemagne accueille les JO. Mais le 5 septembre 1972 un groupe de terroristes palestiniens s’introduit dans le village olympique et prend en otage 9 athlètes israéliens pour exiger la libération par Israël de 200 prisonniers palestiniens. L’opération de libération des otages est calamiteuse et se solde par 11 athlètes tués. Par la suite le gouvernement israélien fit bombarder les bases de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en Syrie et au Liban provoquant 200 morts.

III) Des enjeux économiques croissants qui renouvellent les enjeux géopolitiques A)Sport et économie mondialisée

En 1964, pour la 1 ère fois les JO (à Tokyo) sont retransmis mondialement et regardés par 800 millions de téléspectateurs. La seule cérémonie d’ouverture des JO de Londres a été suivie par 1 milliard de personnes ! 1)Une retransmission des événements sportifs de plus en plus universelle

Ceci est à mettre en relation avec l’avènement de nouvelles puissances sportives, comme la Chine

2) Une retransmission de plus en plus chère

Dans chaque pays, le CIO vend les droits de retransmission aux plus offrants. Montant des droits de retransmission des JO pour l’Europe Au niveau mondial, ces droits se sont élevés à 2,24 milliards de dollars (1,75 milliard d’euros) pour les JO de Londres.

De même, les droits TV de retransmission du football ont explosé : exemple de la ligue 1 en France : 2 millions d’euros pour la saison , 668 millions d’euros aujourd’hui !

2) Le poids des sponsors Le sport est sponsorisé par de grandes marques à des fins de publicité. Ce n’est pas nouveau, puisque dès 1928 Coca-Cola s’est associé aux jeux olympiques, dont l’image positive servait les intérêts de la firme. Le montant total des sponsors dans le monde avoisine les 50 milliards de dollars par an !

3) La naissance de multinationales du sport Fait nouveau depuis les années 1990 : les grands clubs sont devenus des entreprises gérant des budgets de centaines de millions d’euros. C’est surtout vrai pour le football, les clubs achètent des joueurs pour des sommes astronomiques et espèrent grâce à ces investissements gagner de l’argent en vendant des places, des produits dérivés, des espaces publicitaires…

Ces clubs permettent à des personnalités richissimes (Berlusconi, Abramovitch) ou à des pays (Qatar et PSG…) de se mettre en avant, d’être vus.

Le sport a désormais acquis un poids économique considérable, ce qui renouvelle son importance géopolitique

B) Le renouveau de la dimension géopolitique du sport 1) Les évènements sportifs restent dotés d’une portée symbolique forte Un simple match de foot peut avoir une portée diplomatique : en 2009, les présidents turc et arménien assistent ensemble au match entre les 2 équipes nationales.

En France, les affaires de Marseillaise sifflée lors de matchs viennent rappeler les fractures de la société…

2) Sport et prestige national Les pays les plus puissants sont en compétition pour l’accueil des grandes manifestations sportives. Le choix de Londres au détriment de Paris pour les JO de 2012 avait jeté un froid sur les relations entre les deux pays

Les pays émergents font « valider par le sport » leur développement : ceci explique l’apparition de nouveaux grands prix de F1, comme le grand prix d’Inde en 2012.

Une fois choisi, le pays organisateur doit à tout prix se montrer digne de sa fonction. La Chine a ainsi investi des sommes colossales et inégalées : 44 milliards de dollars, dont 40 pour les infrastructures urbaines de Pékin.

La seule cérémonie d’ouverture a coûté 100 millions de dollars !

Moins fastueux pour cause de crise ambiante, les JO de Londres 2012 ont été marqués par un souci de sécurité sans précédent, afin qu’aucun trouble ne vienne gâcher la fête et ternir l’image du pays. Cette obsession de « réussir » n’est pas forcément irrationnelle : certains considèrent que l’échec des JO de 2004 en Grèce est le point de départ de la crise actuelle que connaît le pays !

Conclusion Le sport est devenu une composante incontournable de sociétés en quête de spectacle et d’émotions. Des acteurs puissants (magnats, entreprises, Etats) s’en sont emparés, car le sport représente une source de bénéfices colossale. Cela lui confère une importance géopolitique réelle : le sport véhicule des images, et l’image d’un sportif qui gagne est bonne pour son pays, sans aucun lien véritable avec la réalité… Il en résulte une pression sans précédent sur les sportifs, une exigence de perfection, qui les pousse toujours plus loin dans… le dopage !