Chapitre 5 Le marché: ordre spontané ou construction politique?

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Chapitre 5 Le marché: ordre spontané ou construction politique?

Plan du chapitre I – Le marché et la main invisible II – L’allocation des ressources III – L’imperfection du marché

La main invisible d’Adam Smith « […] et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. » — Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre IV, ch. 2, 1776Adam Smith Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations  Congruence entre les intérêts privés et l’intérêt général assuré par le marché  Représentation de l’économie comme un ordre spontané : coïncidence des intérêts privés et de l’intérêt public (main invisible)

Le marché et la main invisible L’école néoclassique (Walras) : main invisible dans les conditions de la concurrence pure et parfaite  Walras et le calcul marginaliste  mathématisation de l’économie grâce au calcul différentiel et intégral  passage de la satisfaction des besoins à la maximisation de l’utilité  la demande devient élastique  la valeur-utilité succède à la valeur-travail  le consommateur individuel succède aux trois classes productives Modélisation par Arrow et Debreu de l’existence d’un équilibre général de marché

Le marché et la main invisible Le premier théorème du bien être : Tout équilibre de marché est un optimum de Pareto  Optimum de Pareto: On ne peut pas augmenter le bien-être d’une personne sans diminuer le bien-être d’au moins une autre personne Le deuxième théorème du bien-être: Toute distribution Pareto-optimale est un équilibre de marché pour une répartition donnée des allocations initiales

Le marché et la main invisible Les deux théorèmes du bien-être: - justifient le « laisser-faire » - justifient la séparation des questions de distribution et d’efficacité Mais: - comment arbitrer entre différents optimums de Pareto ? - conditions pas satisfaites en pratique => justifie l’intervention publique ?

Plan du chapitre I – Le marché et la main invisible II – L’allocation des ressources III – L’imperfection du marché

L’allocation des ressources Le modèle des choix sociaux d’Atkinson et Stieglitz (1980):  Soit 2 individus, « 1 » et « 2 »  U 1 et U 2 représentent leur utilité respective. Sur la bissectrice, par exemple en B, leur utilité est égale ; à droite, l’utilité de « 1 » est supérieure à celle de « 2 » ; à gauche, c’est l’inverse.

L’allocation des ressources  Tous les points du segments C-E sont pareto-optimaux  En B, la répartition est égalitaire, mais pas pareto-optimale  C est l’idéal pour 1  E est l’idéal pour 2  En D, la tangente est -1 : maximalisation de l’utilité globale  C est le « maximin »: la maximalisation de l’utilité minimale

L’allocation des ressources Quel optimum choisir ?  1. Faire confiance à la répartition initiale et laisser faire le marché: le libertarisme  2. Maximaliser l’utilité : l’utilitarisme  3. Maximaliser l’utilité des plus défavorisés: le libéralisme de gauche

Le libertarisme F. von Hayek, R. Nozick, M. Friedman Le marché comme principe de liberté  Liberté = Propriété de soi = donnée naturelle  Rejet de toute obligation (service militaire, obligation de vote, assurance obligatoire…) comme de toute prohibition (drogue, euthanasie, pratiques sexuelles, commerce d’organes, monopoles…)  Exceptions : interdiction de l’esclavage, éducation des jeunes enfants, sécurité publique (Etat minimal : protection des droits de propriété)

Le libertarisme Principe du juste transfert : tout titre de propriété acquis de manière juste peut être transféré d’un individu à un autre au moyen d’une transaction volontaire Principe d’appropriation originelle = premier arrivé, premier servi, mais :  Clause lockéenne : les autres personnes ne peuvent se trouver dans une situation pire que celle qui aurait été la leur en l’absence de toute appropriation privée  Taxe painéenne : comme chacun à un droit égal aux richesses de la terre, toute appropriation privée originelle doit être compensée équitablement Une mise des compteurs à zéro ? Egalité des droits : Pas de compensation pour les inégalités de talents ou de chance Parabole de l’île : liberté formelle ou liberté réelle ?  économie libérale ou économie capitaliste?

L’utilitarisme Bentham, Mill, Sidgwick, l’économie néoclassique Efficacité du marché: créer le plus grand bien-être possible  Utilité = indicateur de satisfaction des préférences Les différentes formes d’utilitarisme  Utilitarisme classique: somme des utilités individuelles  Utilitarisme moyen: moyenne des utilités individuelles  Efficacité vs. droits fondamentaux Problème de la mesure et de la comparaison interpersonnelle:  Bentham : l’argent comme moyen terme Une tendance égalitaire de l’utilitarisme ?  L’utilité marginale décroissante  Productivité et taille du gâteau

Le libéralisme de gauche Rawls, Dworkin, Sen, Van Parijs Intégration de la critique marxiste du formalisme des droits libéraux Rejet du collectivisme et de la planification marxiste (libre choix de son travail) Prise en compte de l’efficacité Un individualisme égalitaire : garantir à chacun une égale opportunité de réaliser le projet de vie qu’il se donne librement

Le libéralisme de gauche La position originelle et le voile d’ignorance :  Sur quels principes de justice s’entendraient des partenaires situés dans une position originelle (présociale) sous un voile d’ignorance ne leur permettant pas de savoir quelle place ils occuperaient dans la société, ni les talents ou caractéristiques personnelles qui seraient les leurs ?

Le libéralisme de gauche  Premier principe : égalité des libertés de base « Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous. »  Deuxième principe : Egalité des chances et principe de différence (maximin) « Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions: a /elles doivent d'abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste (fair) égalité des chances, et b / elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société ».

Plan du chapitre I – Le marché et la main invisible II – L’allocation des ressources III – L’imperfection du marché

La main invisible existe-t-elle ? 1. Présupposés implicites :  Paix civile: respect de la propriété privée  Dotations minimales : pas de problèmes de survie  Existence d’un marché pour tous les biens 2. Hypothèses de concurrence pure et parfaite :  Information parfaite : à la fois pour les producteurs et pour les consommateurs;  Atomicité des agents : en particulier nombre important d’entreprises en concurrence ;  Libre entrée et libre sortie : relativement facile de répliquer le modèle d’une entreprise et de se poser comme concurrent ;  Homogénéité des produits et des actifs traités ;  Mobilité des facteurs : en particulier pour les travailleurs qui peuvent facilement passer d’une entreprise à l’autre.

La main invisible existe-t-elle ? Théorème d’Arrow et Debreu  démonstration mathématique de l’existence théorique d’un équilibre général dans un système axiomatique de concurrence pure et parfaite  a contrario : équilibre incertain lorsque les hypothèses ne sont pas rencontrées Walras et l’impossibilité pratique de l’équilibre « Tel est le marché permanent, tendant toujours à l’équilibre sans y arriver jamais par la raison qu’il ne s’y achemine que par tâtonnements et qu’avant même tâtonnements ne soient achevés, ils sont à recommencer à nouveau frais (…). Il n’y a point [de jours] où l’offre effective des services et des produits soit égale à leur demande effective et le prix de vente des produits égal à leur prix de revient. » (Walras, Eléments d’économie pure)  le tâtonnement prend du temps et modifie l’état du marché  délai de la production et importance de la confiance : la demande anticipée influence la demande effective

Le libéralisme néoclassique 1. Le marché concurrentiel comme ordre spontané stable  imperfections négligeables et efficience des marchés  neutralisation des politiques économiques: les anticipations adaptatives de Friedman (basées sur le passé) et les anticipations rationnelles de Lucas (anticipant les effets futurs)  défaillance de l’Etat => inefficacité de l’Etat  « capture réglementaire » => menace pour la liberté M. Friedman et l’instrumentalisme théorique  irréalisme assumé des hypothèses : simplicité et idéalité des hypothèses  validité théorique dépend de son pouvoir prédictif: falsificationnisme popperien  tout se passe-t-il comme si l’individu maximisait son utilité sur un marché parfait ?

Le libertarisme 2. Hayek et le marché concurrentiel comme ordre spontané dynamique  rejet de l’homo oeconomicus: rationalité limitée des agents  les préférences des agents se révèlent dans leurs choix – elles ne sont pas anticipables, notamment parce qu’elles ne sont pas nécessairement rationnelles  impossibilité de centraliser l’information: primauté aux décisions locales  la concurrence ne conduit pas à l’équilibre de marché, mais la compétition stimule l’évolution (ex: les brevets)  l’économie du bien-être menace la liberté

L’ordolibéralisme 3. L’ordolibéralisme et le marché concurrentiel comme idéal normatif  nécessité de créer le marché concurrentiel afin d’assurer la meilleure efficacité possible Le marché est un ordre construit politiquement  délimitation et protection du droit de propriété  création politique de bien appropriables: la terre, le travail, les quotas de CO², les droits de propriété intellectuelle  création et légitimation de la monnaie  organisation de l’échange: l’échange n’est mutuellement avantageux que s’il est coordonné  commissaire-priseur: centralisation des offres et des demandes interdiction des échanges « hors marché »

L’ordolibéralisme Tâtonnements et pouvoir de marché  écart par rapport à l’équilibre et effets d’hystérèse  compétition comme recherche de pouvoir de marché  le marché laissé à lui-même tend vers des situations d’oligopoles « L’intérêt particulier de ceux qui exercent une branche particulière de commerce ou de manufacture est toujours, à quelques égards, différent et même contraire à celui du public. L’intérêt du marchand est toujours d’agrandir le marché et de restreindre la concurrence des vendeurs. Il peut souvent convenir assez au bien général d’agrandir le marché, mais de restreindre la concurrence des vendeurs lui est toujours opposé. » - Smith, La Richesse des Nations.  opposition entre une économie libérale et une économie capitaliste  importance d’une politique de concurrence  Le néolibéralisme: généralisation de la logique de marché à l’ensemble du social

Le libéralisme de gauche 4. Le libéralisme de gauche et le marché comme ordre imparfait  importance des interventions publiques biens publics: service public ou création de droits d’accès asymétrie d’information: assurance obligatoire ou régulation publique existence d’externalités : fiscalité pigouvienne, subventions publiques… rendements croissants: régulation publique ou entreprise publique rigidité du marché du travail : protection de l’emploi ou accompagnement des demandeurs d’emploi  libéralisme « de gauche » : l’Etat doit corriger le marché  socialisme: l’Etat doit se substituer (partiellement) au marché et le réglementer

Exemples de défaillances ProblèmeDéfinitionExempleRôle de l’Etat Biens publicsUn bien pour lequel il n’y a pas de rivalité et on ne peut exclure une personne de l’utilisation du bien Défense, lumière pour les rues L’Etat peut fournir le bien, privatisation via financement alternatif (accès, publicité, subsides) ExternalitésActions d’individus ou d’entreprises affectent le bien- être d’autre personnes sans compensation Pollution, filesTaxes, Subsides, Permis échangeables Information asymétrique Transactions dans lesquelles les deux parties ont des informations différentes Marché de la santé, marché des voitures d’occasion Régulation de la qualité, assurance obligatoire Rendements croissants Coût moyen diminue avec la quantité produite Monopoles naturels (eau, électricité, téléphone) Régulation des entreprises privées, entreprise publique