UE 54HI 1011 Sources de l’Histoire Responsable: Mathieu Arnoux
L’historien, la mémoire et la loi L’historien entre la société et l’État
L’histoire avec la mémoire, la mémoire contre l’histoire Un des rares domaines de connaissance (avec la biologie) qui soient susceptibles d’être mis en discussion dans le domaine public, de la part d’acteurs politiques, de la part de certains groupes sociaux. Le seul qui soit soumis à des restrictions légales
Histoire et mémoire: un conflit? Distinguer entre la mémoire individuelle, compétence cognitive incorporée (les animaux en possèdent certains aspects) liée à l’imagination et à la capacité à se mouvoir dans son environnement (proprioception) Et la mémoire collective, essentiellement basée sur le langage.
Œuvre fondatrice de Maurice Halbwachs ( ) Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, 1925 (rééd. 1994) La mémoire collective, Paris, 1950 (posthume; rééd. 1997)
En 1925, dans Les cadres sociaux de la mémoire, analyse les dispositifs sociaux de formation de la mémoire comme activité de reconstruction du passé et distingue celle-ci des réminiscences oniriques ou nostalgiques, états où le souvenir est reçu de manière plus ou moins passive. La mémoire, liée au langage fait l’objet d’un apprentissage administré par le groupe: famille, communauté religieuse, classe sociale.
Dans le livre de 1950, La mémoire collective (en fait rédigé entre 1932 et 1944), la mémoire individuelle reçoit un rôle essentiel dans la formation de la mémoire de groupe. Celle-ci, même quand elle peut être qualifiée de « Mémoire historique », ne se confond pas avec l’Histoire.
La MC « ne retient du passé que ce qui en est encore vivant ou capable de vivre dans la conscience du groupe qui l’entretient. Par définition, elle ne dépasse pas les limites de ce groupe. » « Il y a plusieurs MC, qui se succèdent, mais aussi à un même moment. C’est un autre caractère par lequel elles se distinguent de l’histoire. En effet, l’histoire est une, et l’on peut dire qu’il n’y a qu’une histoire »
« Dans le tableau total de l’histoire de l’Europe, on trouve, non point la réunion de plusieurs points de vue nationaux sur les faits, mais plutôt la série et la totalité des faits tels qu’ils sont, non pour tel pays et tel groupe, mais indépendamment de tout jugement de groupe. Dès lors, dans un tel tableau, les divisions mêmes qui séparent les pays sont des faits historiques au même titre que les autres. Tout est donc sur le même plan. »
« Le monde historique est comme un océan où affluent toutes les histoires partielles. Il n’est pas étonnant qu’à l’origine de l’histoire, et même à toutes les époques on ait songé à écrire tant d’histoires universelles. Telle est l’orientation naturelle de l’esprit historiques. Telle est la pente fatale sur laquelle serait entraîné tout historien, s’il n’était pas retenu dans le cadre de travaux plus limités, par la modestie ou par le manque de souffle »
De la mémoire du groupe à l’histoire, et retour. L’enjeu essentiel de la concurrence entre mémoires collectives: faire entrer le récit collectif du groupe à l’intérieur du récit historique légitime, ou dominant. L’historien, en charge de la demande d’histoire du groupe, devient alors le « porteur de la vengeance des peuples » (Chateaubriand)
Une situation commune à beaucoup de sociétés clivées et marquées par l’héritage de situations de domination. Exemple en Inde, des Subaltern Studies menées par des historiens qui refusent de confondre l’Histoire avec la mémoire historique des élites intellectuelles. Un courant qui a fortement influencé en France les études d’histoire non-européennes, qui ne se placent plus dans une perspective explicitement ou implicitement coloniale et européo-centrée.
Si elle veut préserver sa légitimité par rapport aux récits concurrents fondés sur des mémoires collectives particulières, l’histoire doit donc accepter de se critiquer elle-même au risque de se déstabiliser. Quand un groupe estime ne pas pouvoir obtenir sa reconnaissance par un débat scientifique, il peut inscrire sa demande dans le débat politique et demander cette reconnaissance à la loi, dont l’observation s’impose aux historiens, par le biais des lois d’amnistie et des lois mémorielles.
La loi, l’Histoire et l’oubli Quand le conflit des groupes risque de mettre en danger la paix sociale, la loi peut imposer, temporairement, le silence et l’oubli pour interdire les affrontements. C’est ce qui motive les délais de communication des archives. C’est le sens des lois d’amnisties qui suivent les périodes de crise ou de conflit
Délais de communication des archives en France selon la loi de 2008
Qu’est-ce qu’une loi d’amnistie? Une loi qui dispose que des fautes passées devront être oubliées, et qui interdit à quiconque de les rechercher ou de les évoquer sous peine de sanctions (Wikipedia). Jusqu’en 2013 en France, réglée par la loi du 22 juillet 1881, sur la liberté de la presse, dont l’article 35, sur la diffamation, interdisait d’apporter la preuve d’un fait « lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite » (article annulé par le Conseil constitutionnel comme contraire aux droits de l’homme.
Les lois mémorielles Quand la loi vient donner une valeur ou une protection particulière à un événement historique défini. Des textes au statut mal défini: prescriptives et coercitives pour les unes, simplement déclaratives (donc sans application) pour d’autres
La loi Gayssot du 13 juillet 1990 Art. 24 bis. - Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis, soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 Article unique. La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915.
Loi Taubira du 21 mai 2001 Article 1er. La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XV e siècle aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. Article 2. Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage, sera encouragée et favorisée.
Loi du 23 février 2005 (abrogée par le Conseil constitutionnel en janvier 2006) Article 1. La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage […]. Article 4. Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.
Proposition de loi en discussion au Parlement contre la négation du Génocide arménien. Article unique. La loi n° du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 est complétée par un article ainsi rédigé : « Art Seront punis comme indiqué à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23 de ladite loi, l'existence du génocide arménien de »