Histoire des arts : l’engagement Etude d’un peintre engagé, Pablo Picasso, à travers le tableau Guernica « La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l'ennemi. » Picasso, à propos de Guernica. P. PICASSO, Guernica, 780×350 cm, Madrid.
Guernica : le contexte La guerre d’Espagne a duré de 1936 à Elle a opposé les républicains espagnols aux troupes du général Franco qui l’emporte finalement et met en place une dictature jusqu’en En 1937, le gouvernement républicain alors au pouvoir (juste avant d'être renversé par Franco) commande à Picasso une grande composition murale, pour le pavillon espagnol de l'exposition universelle de Paris. Alors que cette « commande » lui est faite, ses proches on raconté que Picasso ne sait pas quelle direction prendre pour y répondre. Mais quelques jours plus tard, l'actualité va créer le facteur déclenchant de cette œuvre : l'aviation nazie, la légion Condor, bombarde, le 26 avril 1937, la ville basque de Guernica faisant 1800 morts sur les 6000 personnes alors présentes (réfugiés républicains espérant pouvoir partir en France, personnes venues pour le marché). Pendant un moment, Franco tente de faire croire que ce sont les Républicains basques qui auraient effectué le bombardement pour faire de la propagande. Informé par la presse et par les photos du bombardement, Picasso trouve alors son « sujet » « La guerre d'Espagne est la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté. Toute ma vie d'artiste n'a été qu'une lutte continuelle contre la réaction et la mort de l'art. Dans le panneau auquel je travaille et que j'appellerai Guernica et dans toutes mes œuvres récentes, j'exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l'Espagne dans un océan de douleur et de mort. » Picasso Picasso voulut explicitement faire don au peuple espagnol de ce tableau mais seulement « dès que les libertés publiques seraient rétablies en Espagne ». Guernica y fut finalement accueilli en 1981 à Madrid.
Guernica composition un chef d'œuvre moderne nourri de tradition Le tableau est achevé en moins de 2 mois, il est le fruit d'une intense activité créatrice : Picasso a exécuté une centaine d'études préparatoires à l'œuvre. En cela, il se rapproche de la conception classique d'un chef d'œuvre. Le tableau est divisé en trois parties. Son élaboration est une synthèse complexe du cubisme, du surréalisme, des préoccupations picturales propres à Picasso, mêmes celles hérités des Anciens. La volonté de faire un chef d'œuvre «moderne » fait parti de son projet, tant par les dimensions du format que par l'enjeu esthétique qui le traverse Dans ce tableau, l'espace est incertain, les corps sont distendus, cassés par l'éclatement des plans, emboîtés autant que disloqués. Mais ce chaos apparent est contrebalancé par la hiérarchisation apportée par la gradation des gris et les forts contrastes noir/blanc qui apportent à la composition sa cohérence. L'œuvre est tendue entre destruction et construction.
Les personnages Le chœur des femmes : trois femmes sur le côté droit de la composition forme un chœur antique, pleurant la liberté du peuple espagnol qui disparaît Les yeux, en larme, et la bouche édentée (= personne désarmée) de la femme tombant dans les flammes (Guernica a été bombardé à la bombe incendiaire) exprime la mort d'un peuple désarmé, la lâcheté du bombardement. Au premier plan de la composition apparaît un combattant dont le corps est morcelé et décapité. Ce personnage porte sur son visage toute la violence de la guerre : la dentition précise, et la décapitation sont les signes de la brutalité.
La mère portant l’enfant La mère portant son enfant mort exprime une douleur universellement compréhensible, et traduit l'horreur de toutes les guerres. Ses yeux en forme de larme,, sa langue en forme de couteau, son visage tourné vers le ciel (d'où est venu le drame), tout en elle exprime la souffrance et le désarroi. la douleur et les hurlements de la mère sont perceptibles au premier abord, alors que le reste du tableau peut sembler plus difficile d'accès. L'enfant mort dans les bras de sa mère se rapproche d'une autre image à portée universelle : celle de la Vierge pleurant son fils mort.
Le cri de douleur ou l’image du sacrifice ? On peut rapprocher ce personnage du tableau de Goya, Tres de Mayo ou d’une photographie de R. Cappa prise aussi pendant la guerre d’Espagne. On peut interpréter le geste du personnage comme un geste de sacrifice (= bras en croix comme le Christ) ou comme un cri de douleur (= celui de l’artiste).
Le cheval et le taureau Le cheval blessé Placé au centre du tableau, Picasso a voulu représenter le peuple. Comme pour la mère portant l’enfant, la langue pointue comme un couteau symbolise la douleur. La lance rappelle celle qui a blessé la poitrine du Christ, on a encore un rappel du sacrifice. Le pelage du cheval, fait de petit traits serrés, réguliers et alignés rappelle les caractères typographiques de la presse (=importance du rôle d’information et de relais de la presse, liberté d’expression) Le taureau Le taureau est un symbole de la force brute, de la cruauté. Au milieu de la débâcle il apparaît impassible. Picasso a souvent utilisé cet animal dans ses tableaux
Le soleil, la fleur et l’épée La fleur et l’épée : ce sont aussi des éléments symboliques (alors que le surréalisme rejette l’idée de symbolisme). Par sa délicatesse et sa fragilité, la fleur représente la vie et l’espoir face au chaos et à la barbarie de la guerre que représente le tableau. L’épée brisée représente la paix. Le soleil en forme de lumière : représentation de l’espoir ou de la lueur des bombes éclatant dans le ciel ?