Paulo Freire et la Pédagogie de la Libération La solidarité et la justice sociale par la promotion du dialogue Campus St-Jean Mai 2007
L’idéal de l’Éducation Une grande philosophe de l’Education, le Dr. Nel Noddings de l’Université Stanford, est venue ici au Campus St-Jean donné une conférence. J’y ai assisté en compagnie de quelques collègues: Françoise Ruban, de Michèle Dick, de Larry Dick, de Cristin Raven-Jackson et de Carole Drew. Le Dr. Noddings, qui est aussi une grand-maman, nous a dit quelque chose qui nous a tous frappé parce que c’est vrai: Toutes les écoles font des “Mission Statement” des plans annuels, des “Vision Statement”, dans lesquels ont décide que “Tous les enfants dans nos écoles vont être capables de…” Mais, a-t-elle dit, je n’ai pas encoe vu une école qui a écrit dans son “Mission Statement”: Tous les enfants vont être heureux. Elle avait raison…
Décider ce que nos jeunes vont apprendre: le curriculum Nel Noddings avait raison parce que dans toute nos sociétés, des gens décident ensemble qu’est-ce que tous les jeunes doivent apprendre pour être capables de fonctionner dans la société. Ces gens décident que “pour être des bons citoyens, nos jeunes ont besoin de savoir…” Il y a un mot pour ce processus: le curriculum. Le curriculum c’est l’ensemble des connaissances, des habiletés et des attitudes que tous les jeunes devraient apprendre. L’idée du Curriculum date des Grecs de l’Antiquité. Vers 400 av.J.C. Platon avait déjà suggéré que tous les jeunes devraient apprendre les Arts du Languages, les Mathéma-tiques, les Habiletés Militaires et que, toujours, les jeunes devraient apprendre à agir de façon raisonnable.
Curriculum = Bonheur? Le curriculum n’a pas beaucoup changé depuis Platon.Aujourd’hui, on doit encore apprendre les Arts du language et les Mathématiques, de même que plusieurs autres choses. Toutefois, la grande question posée par Nel Noddings est très importante: Est-ce qu’apprendre tout le curriculum va nécessairement être une garantie de bonheur. Est-ce que quelqu’un qui aurait mémorisé tout le curriculum serait nécessairement plus heureux qu’un autre? C’est une question importante parce que, ultimement, le but d’une société c’est que tous les citoyens soient heureux. C’est ici que le discours d’un autre philosophe de l’éducation, Paulo Freire, devient important. Aujourd’hui, nous allons étudier ses réflexions.
Une critique de la société Attention: Paulo Freire ne critique pas l’éducation. Au contraire, il valorise l’éducation. Ce que Paulo Freire critique c’est la société et la conception du bonheur proposée par la société. Pour bien le comprendre, il faut savoir que Paulo Freire est un Brésilien qui a vécu en solidarité avec les plus pauvres du Brésil. Paulo Freire a passé sa vie a essayé d’aider les pauvres du Brésil à s’éduquer pour leur donner les moyens de critiquer la société. En un mot, Paulo Freire disait que la société comporte trop d’inégalités et que l’éducation doit nous aider à diminuer ces inégalités, pas à les augmenter ou les maintenir comme elles sont. Paulo Freire a écrit “La Pédagogie de la Libération” (1970) et “La pédagogie de l’Espoir” (1998). Voici l’essentiel de son message:
L’humanisation et le bonheur dans le partage Pour Paulo Freire, s’humaniser, réaliser pleinement notre potentiel humain, ca ne signifie pas devenir plus riche ou plus fort ou plus puissant. Pour Paulo Freire, on s’humanise et on trouve le bonheur dans le partage. Il s’inspire ici d’Oscar Romero, de Jon Sobrino et d’Ignacio Ellacuria. Une société qui définit le bonheur comme “posséder et posséder plus encore” n’arrivera jamais à offrir le bonheur pour tous ses citoyens. En fait, une telle société va continuer à créer plus d’inégalités et plus de division, de compétition, entre ses citoyens. Alors, pour Freire, l’éducation doit supporter l’idéal d’un plus grand partage, d’une plus grande solidarité avec les plus pauvres…. Freire décrit la société actuelle comme étant divisée entre les pauvres (les opprimés) et les riches (les oppresseurs). Et il nous parle des deux groupes.
Les Opprimés Pour Paulo Freire, une société qui se construit sur la « possession » est déshumanisante parce qu’elle mène à ce qu’il y a de pire en l’être humain: l’avarice, la jalousie, l’égoïsme… Paulo Freire, voit dans l’éducation le meilleur moyen de libérer les « oppresseurs » et les « oppressés » de cette déshumanisation. Pour les opprimés, cela signifie s’éduquer et développer un niveau de conscientisation qui leur permettra de devenir participants actifs à la libération de l’humanité. Il ne s’agit pas pour les opprimés de sombrer dans la violence et de prendre la place des oppresseurs. Il s’agit de s’éduquer et de changer la société pour permettre moins d’inégalités, permettre un plus grand partage. Dans les pays plus pauvres, Freire a d’abord commencé son travail par des programmesd’alphabétisa-tion. Si les gens peuvent lire et écrire, ils peuvent s’exprimer et critiquer pour changer les choses.
Les Oppresseurs Pour les oppresseurs, même si Freire indique que cette libération ne peut venir d’eux-mêmes, cela signifie une radicale solidarité avec les opprimés (et non une simple charité humanitaire et paternaliste qui, même si elle est louable, ne remet pas en question l’ordre social déshumanisant établi). Il ne s’agit pas pour les « oppresseurs » de se déculpabiliser dans différents efforts de charité qui ne remettent rien en question. Il s’agit pour les oppresseurs qui acceptent l’idéal exprimé par la pédagogie de la libération de développer cette radicale solidarité avec les oppressés en leur donnant la parole, en leur faisant confiance, en les intégrant au dialogue. Il s’agit pour les oppresseurs qui acceptent « l’utopie d’une civilisation de partage » de briser la culture du silence. Paulo Freire écrit ce qui suit sur les « oppresseurs »:
Les Oppresseurs « Conditionned by the experience of oppressing others, any situation other than their former seems to them like oppression. Formerly, they could eat, dress, wear shoes, be educated, travel, and hear Beethoven; while millions did not eat, had no clothes or shoes, neither studied nor traveled, much less listened to Beethoven. Any restriction on this way of life, in the name of the rights of the community, appears to the former oppressors as a profound violation of their individual rights – although they had no respect for the millions who suffered and died of hunger, pain, sorrow, and despair. For the oppressors, « human beings » refers only to themselves; other people are « things ». For the oppressors, there exists only one right : their right to leave in peace, over against the right, not always even recognized, but simply conceded, of the oppressed to survival. »
Conscientisation Le point de vue de Paulo Freire nous oblige à nous questionner sur la situation actuelle. Nous vivons dans un monde où il y a beaucoup d’inégalités et ce qui est le plus effrayant, nous dit Freire, c’est que, tous, pauvres et riches, en sommes venus à penser que cette réalité est immuable. Nous en sommes venus à croire qu’il y aura toujours des pauvres et des riches et qu’on ne peut rien faire pour changer ca. Beaucoup de gens aimeraient que ca change. Beaucoup de gens aimeraient qu’on retrouve un plus grand partage dans notre société mais la plupart d’entre nous ont appris à croire qu’on ne peut rien faire. Ca c’est un mythe, nous dit Paulo Freire, et la première chose qu’il faut faire c’est “briser la culture du silence.” Et c’est ici qu’on commence à parler d’éducation.
Briser la Culture du silence Briser la Culture du silence! Qu’est-ce que ca veut dire? Pour Freire, ca veut dire que trop souvent l’éducation et l’apprentissage des objectifs du curriculum se fait dans un environnement où on ne donne jamais la chance de critiquer. Il écrit ceci: « Banking education (…) attempts, by mythicizing reality, to conceal certain facts which explain the way human beings exist in the world; problem-posing education sets itself the task of demythologizing it. Banking education resists dialogue; problem posing education regards dialogue as indispensable to the act of cognition which unveils reality. Banking education treats students as objects of assistance; problem posing education makes them critical thinkers. Banking education inhibits creativity and domesticates (…) the intentionality of consciousness by isolating consciousness from the world, thereby denying people their ontological and historical vocation of becoming more fully human. Problem posing education bases itself on creativity and stimulates true reflection and action upon reality, thereby responding to the vocation of persons as beings who are authentic only when engaged in inquiry and creative transformation. »
Briser la Culture du Silence Ce que Paulo Freire veut nous dire c’est que l’éducation devrait nous donner la chance de critiquer les inégalités sociales. Pas critiquer nimporte quoi… Critiquer ce qui empêche les humains de partager plus, critiquer ce qui empêche les humains d’établir une plus grande justice sociale. Une éducation qui ne donne pas la chance de critiquer, une éducation bancaire, enseigne aux jeunes à “fermer les yeux” sur les injustices sociales. Paulo Freire a vu trop d’enfants misérables pour fermer encore les yeux… De plus Paulo Freire est un optimiste: Comme nous l’avons dit, pour les “oppressés” il s’agit d’apprendre à lire et pour avoir la possibilité de s’exprimer et d’être écouté. Pour les “oppresseurs” ca signifie apprendre à critiquer les injustices sociales.
Briser la Culture du Silence Apprendre à critiquer les injustices sociales. Je dirais aussi apprendre à ne pas avoir peur de critiquer les injustices sociales… Et apprendre aussi que le changement vers une plus grande justice sociale, vers un plus grand partage, ne se fera pas en fermant les yeux. Ce changement commence avec des gens qui disent…”Moi, je ne suis pas d’accord…” Et ce changement commence aussi avec des professeurs qui permettent de critiquer. Encore une fois, pas critiquer nimporte quoi nimporte comment. Il s’agit d’apprendre à critiquer dans un dialogue dans lequel la motivation est un plus grand partage, une plus grande justice sociale. L’exemple de Craig Kielburger est un excellent exemple.
Briser la culture du silence Comment on brise la culture du silence? Il y a des tas de possibilités mais il faut un prof qui dit oui! Ecrire son point de vue, valoriser vos idées. Apprendre au sujet des peuples défavorisés. Apprendre sur les causes de l’injustice sociale. Questioner les causes de l’injustice sociale. Lettres aux députés, au maire, au premier ministre. “Issue Fair” (un peu comme un Heritage Fair mais avec un but de justice sociale) Paulo Freire appelle tout ca la Pédagogie de la Libération parce que c’est une façon de se “libérer” de l’idéal de la consommation présenter comme étant la source du bonheur.
Briser la culture de silence Qu’est-ce qui se passe lorsqu’on commence à s’engager dans cette critique dans le but de réaliser un plus grand partage? Il se passe exactement ce que Paulo Freire décrit comme “the emergence of consciousness”. Plus encore, je pense que ce qui se passe c’est la réalisation de l’utopie de Jon Sobrino: “And this sharing achieves what the First World does not offer : fellowship and, with it, meaning to life.” Trouver un plus grand sens d’appartenance, trouver une plus grande signification à la vie que simplement consommer et posséder des richesses. Peut-être que Freire a raison: Se libérer du désir de vouloir toujours plus pour soi même et travailler pour un plus grand partage mène à un plus grand bonheur que “fermer les yeux de façon” individualiste.
Briser la culture du silence Bien sur, partager l’idéal de Paulo Freire relève de votre décision: Si vous êtes complètement en accord avec le rêve américain (consommer pour avoir plus et plus encore) alors je ne pense pas que le projet de pédagogie de libération va influencer votre approche en éducation… même si on ruine la planète avec le problème de surconsommation… Mais si vous faites partie de ceux qui pensent qu’il y a plus dans la vie que l’appropriation de biens matériels et si vous faites partie de ceux qui pensent qu’il importe d’être solidaire avec nos frères et sœurs dans l’humanité… alors il y a beaucoup à tirer de cette approche.
Briser la culture du silence C’est ici que votre travail commence: Et la première partie de ce travail commence aujourd’hui: Nous voulons savoir ce que vous pensez: Comment est-ce qu’on peut encourager l’idéal de Justice sociale de Paulo Freire dans votre école ou dans votre communauté? Est-ce que vous êtes d’accord avec cet idéal? Quel est votre point de vue sur la justice sociale? Est-ce que vous avez déjà eu l’occasion de participer à des activités dans lesquelles on encourage un plus grand partage et une plus grande solidarité? Est-ce qu’il ya une cause qui vous tient à coeur?