Dr Jean Dudler RMR-CHUV Mottex - Avril 2003 Rappel sur le traitement de la goutte et regard neuf sur l’hyperuricémie Dr Jean Dudler RMR-CHUV Mottex - Avril 2003
La goutte
Définition Groupe hétérogène de maladies résultantes de la déposition de cristaux de monosodium d’urate dans les tissus ou les liquides extracellulaires Manifestations cliniques variées Articulaires et périarticulaires: arthrite aigue intermittente arthropathie chronique tophus (accumulation tissulaire de dépôts cristallins) Rénales: Lithiases urinaires d’acide urique Néphropathie interstitielle chronique = néphropathie goutteuse
Historique 5ème siècle avant J-C Description de la goutte par Hippocrate 3ème siècle après J-C Galien décrit les tophus 13ème siècle après J-C Première utilisation du terme « goutte » 1683 Description classique par Sydenham 1814 Colchicine est le composant efficace de Colchicum autumnale 1961 McCarty démontre les cristaux d’acide urique dans le liquide synovial 1963 Allopurinol (Seigmiller)
Epidémiologie Prévalence: Incidence: 0.7 - 1.4% chez les hommes 0.5 - 0.6% chez les femmes en augmentation: alimentation? longévité et traitements concomitants? certaines ethnies particulièrement touchées anamnèse familiale dans 20 % des cas Incidence: annuelle: 1 - 3/100 ’000, bien plus bas pour les femmes cumulative sur 2 ans dans la « Framingham study » 3.2/1000 hommes 0.5/1000 femmes bémol chez la personne âgée: > 60 ans: autant de femmes que d ’hommes > 80 ans: que des femmes
Le cours clinique typique… Homme d ’âge moyen, hyperuricémique depuis de nombreuses années, plusieurs épisodes de monoarthrite goutteuse aiguë 60% des attaques initiales touche la MTP I, les membres inférieures sont le plus souvent touchés,… attaques de quelques jours à 2–3 semaines, résolution progressive avec des périodes intercritiques de plus en plus rare développement des tophus après > 10 ans
Les cas atypiques à ne pas manquer… Femmes: ~ 85% des femmes débute leur maladie après la ménopause âge de début pour les femmes: > 10 ans après les hommes Goutte > 60 ans: 50 à 60% de femmes, > 80 ans ~ 100% de femmes Goutte tophacée précoce Tophus: 44% de femmes âgées / 8% des hommes Dans une série 27% des femmes avec des tophus, dont 90% dans les doigts, aucun au coude Doigt et atteinte polyarticulaire Associée à une arthrose nodulaire Goutte à début tardif - atteinte initiale des IPP ou IPD chez 25% des femmes, aucun homme 30% des femmes goutteuses présente une atteinte des MS, généralement les doigts Atteinte doigts = femmes dans la septantaine Peut mimer une polyarthrite rhumatoïde
Diagnostic de l’arthrite goutteuse aigue Démonstration sans équivoque de cristaux d’acide urique dans le liquide synovial pdt une crise de goutte sous-cutanées (tophus) Présence de 6 critères sur 12: >1 épisode d’arthrite aiguë inflammation maximale en moins de 24h épisode de monoarthrite observation d’une rougeur articulaire Atteinte MTP I (douleur ou tuméfaction) Atteinte MTP I unilatérale Atteinte unilatérale du tarse Tophus probable hyperuricémie tuméfaction articulaire asymétrique radiologique kystes sous-corticaux radiologiques sans érosions liquide synovial stérile Selon Wallace et a. Arthritis Rheum 1977;20:895.
Plus qu’un traitement…une prise en charge Pas de traitement miracle, mais des traitements efficaces si appliqués correctement Associer traitement médicamenteux et non-médicamenteux Différencier prise en charge aiguë, chronique et prophylaxie Patients âgés: même traitement mais attention aux effets secondaires, aux interactions médicamenteuses, à l’insuffisance rénale et aux comorbidités….
Règles pour le traitement de la goutte aigue Ne pas essayer de modifier les taux sanguins d’acide urique lors de la crise!!! Prescrire des mesures générales non médicamenteuse Prescrire un traitement médicamenteux AINS Colchicine Corticoïdes Alternative aux traitements oraux Ne pas oublier: traitement purement symptomatique. Le but est de soulager.
GOUTTE AIGUE Mesures générales Ne pas essayer de modifier les taux sanguins d’acide urique durant la crise: Risque d’aggraver et de chroniciser la crise (crise subintrante) Mécanisme peu clair, mais vrai aussi bien lorsqu’on augmente que l’on diminue les taux d’acide urique C’est à dire: ne pas introduire ou interrompre une traitement avec l’allopurinol ou un uricosurique, mais attention aussi aux diurétiques, aspirine,… Repos et décharge articulaire (cannes anglaises) Application de glace « Coldpack » ou glace pilée : 20 minutes 3 à 4 fois par jour, au maximum toutes les 2 heures Lentilles et petits pois: meilleur marché et souvent plus simple à appliquer
GOUTTE AIGUE AINS et colchicine 1er choix = AINS: Plus rapide et plus efficace que la colchicine Dose adéquate, c’est-à-dire dosage maximum dès les premiers signes: indométhacine 3 à 4 x 50mg /j, diclofénac 3 x 50mg/j ibuprofen 3 x 600 ou 800mg/j Diminuer progressivement sur 7 à 10 jours, parallèlement aux symptômes. Continuer au moins 48 heures après disparition de toute douleur et signes inflammatoires Colchicine: US: 1 mg initialement po, puis 0.5 mg toutes les heures jusqu’à soulagement des douleurs ou apparition de diarrhées/vomissement (80% des patients) ou un dosage maximal de 8 mg Suisse: 1 mg per os initialement, puis 1 mg toutes les 4 heures. Dose maximal de 4mg le premier jour, puis 2 mg/j pendant 3 jours au maximum. Remarque: non enregistrée en Suisse
GOUTTE AIGUE Corticostéroïdes Prednisone po: Bonne alternative avec peu de contre-indication absolue à bien y réfléchir 10-15 mg (30 mg) par jour diminuer progressivement sur 1 semaine associer de la colchicine 1 mg/j (ou 0.5mg/j en cas d’insuffisance rénale) pour prévenir un effet « rebond » Corticoïdes parentéraux: une injection intramusculaire unique Diprophos® 7 mg (plus rapide que le Dépomédrol®) Dépomédrol®40mg ponction articulaire et infiltration ponction thérapeutique par elle-même infiltration de Dépomédrol® selon la taille de l’articulation
GOUTTE AIGUE COX-2 Étude randomisée en double aveugle 142 hommes et 8 femmes Goutte aiguë de moins de 48 heures Paramètres d’évaluation: Primaire: douleurs (VAS) Secondaire: évaluation globale du patient et du médecin
Etoricoxib (Arcoxia®) aussi efficace que l’indométhacine
Règles pour le traitement chronique Définir l’indication au traitement chronique Attendre la résolution de la crise aiguë Chercher et corriger les facteurs aggravants Traitement médicamenteux: Prophylaxie des crises aiguës Contrôler régulièrement l’efficacité , le but du traitement !!!
GOUTTE CHRONIQUE Indication et timing du traitement chronique Bien définir l’indication, ne pas oublier qu’il s’agit d’un traitement à vie Indication Goutte tophacée Erosions radiographiques secondaires à la goutte Néphropathie goutteuse lithiasique ou non lithiasique Episodes répétés de goutte aiguë (>3 annuels) Prévention d’un syndrome de lyse tumorale Timing: Attendre que la crise aiguë soit résolue (en général 3 à 4 semaines) Absence de symptômes ou de signes inflammatoires
GOUTTE CHRONIQUE Correction des facteurs aggravants Médicaments : diurétiques, cyclosporine, salicylates,… ethambutol, pirazinamide,… Régimes : riche en purines (ne pas accorder trop de valeur au régime…, baisse d’environ 60 µmol/l des taux d’acide urique) Alcool (beaucoup plus important que les aliments riches en purine, augmente la production et diminue l’excrétion d’urate) Traitement causal dans goutte avec hyperproduction 10% des cas (90% hypoexcréteur) syndromes myéloprolifératifs, anémies hémolytiques, syndromes dysmyélopoïetiques, … Paget et psoriasis
GOUTTE CHRONIQUE Traitement médicamenteux Allopurinol (Zyloric®) : dose moyenne de 300 mg/j, à prendre après le repas à adapter en fonction de l’uricémie, maximum 800 mg/j débuter à 50 - 100 mg/j, augmenter progressivement sur 3 à 4 semaines excrétion rénale, diminuer si IRC règle du pouce: clearance normale 90-100 ml/min: 300 mg, < 60ml/min: 200mg et < 30 ml/min: 100 mg Effets secondaires: Dyspepsie, céphalées et diarrhées: les plus fréquents Rash papulaire prurigineux: 3-10% des cas Néphrite, IRA, myélotoxicité, vasculite, hépatite granulomateuse, épidermolyse toxique,… Attention à la co-prescription d’amoxicillin: augmentation du nombre de problème cutané
GOUTTE CHRONIQUE Traitement médicamenteux Uricosuriques : Place à redéfinir, mais de plus en plus limitée Dans tous les cas, assurer diurèse >1500 ml/j et alcaliniser les urines en début de traitement (1g de bicarbonate de sodium/j) Benzbromarone (Desuric®): 100 mg 1x par jour Efficace, même si IRC Atteinte hépatique sévère Probénécide (Benemid®): 3 x 500 mg/j Plus disponible en Suisse Pas efficace si IRC Sulfinpyrazone (Anturan®) Pas disponible en Suisse Similaire benzbromarone, mais moins efficace
GOUTTE CHRONIQUE Prophylaxie des crises aiguës Des crises itératives aiguës vont survenir chez >50% des patients lors de la mise en route d’un traitement hypouricémiant Profil de tolérabilité/sécurité de la colchicine est supérieur aux AINS (COX-2?) Colchicine: 1mg/j (0.5 mg si IRC) à poursuivre pendant 6 mois après normalisation de l’acide urique et l’absence de crise diminue le nombre de crise d’environ 80% AINS: en réserve pour les crises aiguës
GOUTTE CHRONIQUE Suivi thérapeutique Vérifier régulièrement que le but du traitement soit atteint, c’est-à-dire une uricémie < 360 – 400 µmol/l Le cas échéant, adapter et intensifier le traitement
GOUTTE CHRONIQUE Quelques remarques complémentaires Fasturtec® uricase recombinante cher Immunogénique indication « exceptionelle », au coup par coup Losartan (Cosaar®) uricosurique Fenofibrate (Lipanthyl®) Traitement à vie ?
L’hyperuricémie
Résultat d’une déficience en uricase Deux mutations indépendantes expliquent la perte de l’uricase dans l’évolution des hominoïdes Avantage sélectif ? l’acide urique est un anti-oxidant Désavantage: pas de goutte sans hyperuricémie
Quelques chiffres Concentrations sériques d’acide urique: Fonction de l’age et du sexe Normales définies comme valeurs désirables et différent de < 2SD 420 µmol homme (7.0 mg/dl) 360 µmol femme (6.0 mg/dl) Prépubertaire: 210 µmol/l (3.5 mg/dl) Moyenne: 310 µmol/l homme (5.2 mg/dl) 240 µmol/l femme pré-ménopausée (4.0 mg/dl) à 280 µmol/l (4.7 mg/l) post-ménopausée Limite de solubilité dans le plasma à 37ºC: 6.7 mg/dl ! Marge de sécurité très faible pour les dépôts d’acide urique tissulaire
Prévalence Aux USA, 5% de la population adulte va présenter à au moins une occasion une hyperuricémie Moins de 25% d’entre eux vont présenter des manifestations cliniques de dépôts d’urate Taux à la limite de la norme Hyperuricémie transitoire par abus alimentaire ou ingestion de médicaments
Hyperuricémie et risque de goutte [urate] Incidence mg/dl µmol/l annuelle cumulative (5 ans) <7.0 420 0.8 5.0 7.0-7.9 420-470 0.9 6.0 8.0-8.9 480-530 4.1 9.8 >9.0 540 49 220 Recommandations actuelles: Pas de traitement de l’hyperuricémie Se poser la question à des valeurs très hautes au vu du risque cumulatif de goutte
Hyperuricémie et maladie cardio-vasculaire Associations multiples avec des atteintes cardio-vasculaires (syndrome polymétabolique) Hyperuricémie prédit le développement de l’HTA Association de l’hyperuricémie et de l’artériosclérose (maladie coronarienne) Association de l’hyperuricémie et morbidité cardio-vasculaire (events) Association de l’hyperuricémie et mortalité cardio-vasculaire, en particulier chez la femme Association de l’hyperuricémie et atteinte rénale chronique caractérisé par une artériolosclérose et une glomérulosclérose Facteur de risque indépendant ou dépendant Pour l’instant pas considérer comme un facteur de risque cardio-vasculaire majeur
Modèles animaux Souris: Rat: Knock-out pour l’uricase Acide urique augmente d’environ 1 mg/dl à 11 mg/dl Meurt très rapidement d’atteinte rénale (néphrolithiase et dysfonction rénale sévère) Rat: Modèle plus physiologique Inhibition partielle de l’uricase par l’acide oxonique Augmentation très modérée de l’acide urique d’environ 1mg/dl
L’hyperuricémie induit une HTA
L’hyperuricémie induit une sensibilité au sel
Maintien de la TA sous déplétion en sel grâce à l’hyperucémie
En conclusion L’hyperuricémie semble favoriser un maintien de la pression artérielle dans des conditions défavorables d’apport en sel restreint Hypothèse supérieure au rôle antioxydant pour expliquer la sélection d’une mutation du gène de l’uricase L’indication ou l’absence d’indication au traitement de l’hyperuricémie nécessite d'être réévalué en fonction de ces nouvelles données