« Santé et développement durable : quels enjeux ? » Comment élaborer des politiques globales et cohérentes en matière de santé ? Myriam De Spiegelaere Observatoire de la Santé et du Social - Bruxelles « Santé et développement durable : quels enjeux ? »
De quoi parle-t-on? Politiques de santé Politiques de réduction des inégalités sociales de santé Politique des soins de santé Pour éclaircir le cadre de mon intervention: il est question des politiques de santé. La politique de soins de santé n’est qu’un des aspects de ces politiques. Les politiques de réduction des inégalités sociales de santé doivent couvrir bien d’autres domaines que les politiques de santé, en particulier elles doivent permettre une redistribution équitable des ressources, des conditions de vie et de travail correctes et un accès équitable aux services de base comme l’éducation ou le logement. Mais bien entendu les politiques de santé peuvent largement contribuer à la réduction des inégalités sociales de santé et entre autres via l’accès à des soins de qualité pour tous mais surtout par des stratégies de santé publiques qui combinent une efficacité en termes de santé et en termes d’équité.
Ce graphique montre combien l’impact du contexte socio-politique peut avoir un impact en termes de santé et d’équité en santé. Donc oui, les choix politiques et économiques peuvent faire une différence. (Particulièrement la protection sociale)
Éducation Statut légal Travail Famille Participation à la vie sociale Revenus Logement Contacts sociaux stress quartier Comportements Support social Hygiène Luc Bergmans vous parlera tout à l’heure des déterminants de la santé. Cette petite animation vise juste à donner un aperçu (non exhaustif) de la multiplicité des aspects sur lesquels on peut agir pour améliorer la santé de la population et la complexité des interactions entre tous ces facteurs. Certains, en vert sortent du champ des politiques de santé, d’autre, en rose peuvent être concernés par les politiques de santé au sens large, puisque les soins de santé ne sont qu’un outil d’intervention parmi d’autres. Alimentation Estime de soi Environnement soins Activité physique Santé Agressions physiques Ressources physiques internes
Les politiques de santé doivent pouvoir utiliser les nombreuses stratégies qui peuvent améliorer la santé de la population et la qualité de vie des personnes qui souffrent de problèmes de santé: la promotion de la santé, les différentes modalités de prévention (éducation pour la santé, dépistage, vaccinations, …), les soins curatifs, les soins supportifs, la revalidation, l’accompagnement humain et l’aide aux activités quotidiennes, etc. Pour que des politiques de santé soient efficientes, elles doivent pouvoir utiliser les outils les plus efficaces pour atteindre les objectifs. Cela signifie que les autorités compétentes pour les politiques de santé doivent pouvoir faire des choix de stratégies avec une répartition budgétaire correspondant à ces choix. Il doit donc y avoir une possibilité réelle de transférer des moyens budgétaires d’un type de stratégie à un autre. Inutile d’utiliser un outil coûteux et peu efficace pour aboutir à un résultat plus efficacement atteint par d’autres moyens. Les enjeux économiques (maîtrise du budget des soins de santé) ne sont pas les seuls enjeux cruciaux de l’évolution du système de santé. D’un point de vue de santé publique, notre système de santé doit évoluer pour être à même de relever les grands défis actuels de la santé de la population. Un premier défi est l’augmentation importante du poids relatif des maladies chroniques, caractérisées le plus souvent par une longue période pré-clinique vulnérable à la prévention, une longue période où des soins curatifs sont nécessaires mais également une longue période d’incapacités et de handicaps sans guérison vraie. Ces problèmes de santé se concentrent surtout aux âges avancés et les personnes âgées peuvent être atteintes de plusieurs maladies chroniques. Notre système de santé encore orienté de façon excessive vers les soins curatifs et le découpage des soins en spécialités étroites et disjointes, et caractérisé par une scission entre le curatif et le préventif n’est pas adapté à cette évolution. Un autre défi de taille est le poids de plus en plus important de la santé mentale: le suicide est la première cause d’années potentielles de vie perdues chez les hommes et la deuxième chez les femmes en région bruxelloise (sans doute idem ailleurs), les troubles de la santé mentale sont la première cause d’invalidité et en augmentation constante. Enfin, un des principaux défi de notre système de santé est de contribuer efficacement et équitablement à l’amélioration de la santé de l’ensemble des citoyens et donc de réduire les inégalités sociales face à la santé. Utiliser les outils les plus efficaces et investir dans les outils selon leur capacité à répondre aux grands défis actuels: 3 exemples : les maladies chroniques, la santé mentale, l’accès aux soins
Exemple 1 : Relever le défi du diabète Réduire l’incidence Eviter les complications Améliorer la qualité de vie Prévenir l’obésité Soutenir la perte de poids dépister soigner accompagner aider Support social Encourager une alimentation équilibrée (prix, accès, etc.) Accès aux soins Suivre un régime alimentaire spécifique Aides à domicile, aides sociales, etc. Politiques de prix, accessibilité, etc. Qualité des soins Encourager l’activité physique Permettre les activités de la vie quotidienne Continuité des soins Mobilité, aménagement du territoire, politiques sportives Réduction des inégalités sociales (revenus, éducation, etc.) Education du patient Illustration par un exemple, celui du diabète. Dans l’évaluation des stratégies les plus efficaces il faut aussi tenir compte de leur efficacité sur le plan de la réduction des ISS (ou de leur impact négatif éventuel) Par exemple des stratégies basées sur la responsabilisation individuelle (ex. sur les comportements) risquent d’accroître les inégalités sociales tandis que les stratégies plus universelles (ex. aménagement des espaces publics, vaccinations via les services de santé scolaires, interventions sur l’offre alimentaire etc.) sont en général plus efficaces en termes d’équité. Soins spécialisés Éducation pour la santé Soins de première ligne Santé communautaire revalidation Soins à domicile Dépistage opportuniste Promotion de la santé prévention Soins curatifs Soins supportifs Mise en réseau Invalidité (revenu)
Exemple 2 : la place des soins de santé dans la santé mentale Médicalisation de la souffrance psychique et morale: les soins de santé = la stratégie la plus efficace? Soins aux malades mentaux: Emprisonnement ou errance = stratégie la plus efficace? L’autre défi dont je vous parlais, la santé mentale pose d’autres types de questions. Par exemple: faut-il poursuivre dans la voie de la médicalisation des problèmes de santé mentale? Ne doit-on pas mener une réflexion globale ? Faut-il un psychologue ou un psychiatre à côté de chaque enfant qui est considéré comme « dysfonctionnant » dans nos écoles, chaque travailleurs qui s’épuise psychiquement dans un système économique qui dysfonctionne? Est-ce bien la bonne stratégie? N’a-t-on pas tendance à « détourner » le budget des soins de santé mentale pour tenter, en vain, de résoudre des problèmes qui sortent du champ des soins de santé et en même abandonner les malades mentaux qui trop souvent errent loin des soins dans nos rues ou nos prisons?
Exemple 3 : l’utilisation du budget soins de santé pour réduire les inégalités d’accès aux soins Pourcentage des ménages ayant du renoncer ou postposer des soins pour raison financière par région et quintile de revenus, Enquête de santé 2008 Même si l’accès aux soins de santé pour tous n’est pas la panacée pour réduire les inégalités sociales face à la santé, cet objectif reste important. Sur ce graphique on note la proportion importante de ménages qui ont du postposer ou renoncer aux soins pour raisons financière en 2008. Cette proportion est beaucoup plus élevée en région bruxelloise que dans le reste du pays, pourquoi? Par uniquement parce que la proportion de ménages pauvres y est plus élevée, puisqu’on compare ici des groupes de revenus comparables. Pas non plus parce qu’on y surconsomme des soins, les chiffres de l’INAMI montrent au contraire une moindre consommation des soins en Région bruxelloise. L’hypothèse la plus probable est que pour les habitants bruxellois d’autres coûts, et en particulier les coûts liés au logement amputent une part excessive du budget des ménages et donc cela renvoie vers la question de savoir quelle stratégie est la plus efficace pour améliorer l’accès aux soins: des mesures coûteuses pour le budget soins de santé qui impliquent une telle complexité que les obstacles financiers sont de plus en plus remplacés par des obstacles administratifs? Ou bien une augmentation des moyens disponibles pour les ménages : augmentation des allocations sociales, réduction du coût du logement et e l’énergie… Il s’agit donc pour mener des politiques cohérentes et efficace dans ce domaine de pouvoir politiquement décider de transférer des montants du budget des soins de santé vers d’autres politiques plus efficientes pour l’amélioration de l’accès aux soins.
Conditions nécessaires pour mener des politiques de santé globales et cohérentes? Un (ou des) niveau(x) de pouvoirs avec capacité d’action et débat démocratique sur les objectifs et les stratégies les plus efficaces pour les atteindre Pouvoir articuler les politiques de santé avec d’autres politiques ayant un impact sur la santé (y compris les aspects budgétaires) Pouvoir choisir et articuler entre elles les différentes stratégies des politiques de santé (y compris avec répartition budgétaire adaptée) Disposer d’un système d’information sanitaire pour éclairer les décisions Territoire et population identifiable (dénominateur) Il faut donc que plusieurs conditions soient réunies pour que des politiques de santé gobales et cohérentes puissent menées.
Conclusions Est-ce possible d’élaborer des politiques de santé cohérentes en Belgique? Existe-t-il encore un niveau de pouvoir où un débat démocratique puisse décider non seulement de priorités mais encore de mettre les moyens les plus importants pour les stratégies qui s’avèrent les plus efficaces et les plus équitables? A prendre en compte dans les discussions sur l’avenir institutionnel Est-ce possible d’élaborer des politiques de santé cohérentes en Belgique? Existe-t-il encore un niveau de pouvoir où un débat démocratique puisse décider non seulement de priorités mais encore de mettre les moyens les plus importants pour les stratégies qui s’avèrent les plus efficaces et les plus équitables? La répartition actuelle des compétences en matière de politiques de santé ne permet pas cela. Au niveau fédéral l’évolution institutionnelle a renforcé une approche quasi exclusivement orientée vers les soins de santé avec un accent important sur les aspects gestionnaires. L’INAMI est devenu un acteur de plus en plus important dans les politiques de santé au détriment du ministère de la santé publique, la confusion entre politiques de santé et politiques de soins de santé y est presque systématique. La scission du curatif et du préventif a des effets pervers importants, non seulement sur le plan de l’efficience mais aussi en termes d’équité puisque dette scission contribue à maintenir les ISS. La promotion de la santé qui par essence relève d’une multiplicité de politiques ne relève d’aucun niveau de pouvoir sur plan des textes mais est de fait gérée par les communautés. Or l’absence de territoire et de population identifiable au niveau des communautés est un obstacle à une articulation efficace avec différentes politiques essentielle en promotion de la santé comme l’environnement, l’aménagement du territoire, le logement,,.. On ne peut que plaider pour que les discussions sur l’avenir institutionnel du pays prennent en compte la nécessité de pouvoir mener des politiques de santé cohérentes et ambitieuses en Belgique. Le débat institutionnel ne concerne donc pas que des rapports de forces entre communautés mais devrait être utilisé pour débattre publiquement de ces enjeux essentiels.