«Le français révolutionné» (1789-1914)
Quelques repères… À la fin du XVIIIe siècle, en particulier avec la Révolution de 1789, on prend conscience de l’importance de la langue comme outil essentiel à l’unité nationale. Au XIXe siècle, la langue traduit les transformations affectant les multiples niveaux de la société française (progrès scientifique, industrialisation, transformations urbaines, etc.) Le français se répand au dehors de l’Hexagone, en Europe (Belgique, Suisse), au Canada et dans les nouvelles colonies (Afrique, Asie, Océanie).
En outre, le XIXe siècle connaît un grand épanouissement de dictionnaires présentant les nouvelles formes lexicales ainsi que leur connotation sociale.
La révolution de la parole Entre la fin du règne de Louis XVIe et 1815, la langue ne comporte pas de changements significatifs. La Révolution transforme la langue en instrument de transmission d’idées et le français du roi devient le français jacobin qui veut remplacer les patois (occitan, breton, alsacien, basque, etc.) Le français sophistiqué des philosophes s’enrichit de nouveaux termes (noms romains, néologismes, emprunts). Des mots sont interdits (royaume, aristocrate)
Le Dictionnaire de l’Académie française de 1762 sera remanié pour donner naissance à une nouvelle édition en 1798, plus fidèle aux nouvelles idées. La lutte contre les patois se poursuit: en 1794, l’abbé Grégoire rédige son Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française. Ce document est révélateur de données sociales importantes: la plupart des Français ne connaissent pas leur langue, surtout dans les campagnes, et peu de citoyens sont à même d’écrire en français. L’abbé Grégoire soutient ainsi l’introduction d’une grammaire et d’un vocabulaire del la langue française pour éradiquer les langues locales.
En 1792, le rapport Lanthenais propose l’adoption du bilinguisme à l’école, mais cette proposition ne se concretisera pas et, en revanche, le latin aura un rôle secondaire dans le système scolaire.
Le français, un facteur d’égalité De nombreux débats animent la question de la langue nationale. De Tayllerand à Condorcet, on est d’accord à affirmer que tout citoyen doit pouvoir acceder à la langue française. À l’aube du Romantisme, une nouvelle sensibilité s’impose et on réhabilite le Moyen Âge. Une enquête imperiale complète l’étude de l’abbé Grégoire: le statisticien Charles Coquebert de Montbret, à l’aide de son fils, sonde la condition de la langue française dans les territoires de l’empire napoléonien (des Pays-Bas jusqu’à Rome).
Résultats de l’enquête: À la base de cette enquête, la traduction d’un même passage de l’Évangile de Luc effectuée dans chaque département du royame. Résultats de l’enquête: des dialectes sont parlés au Nord (wallon, picard), à l’est (francique, alsacien) et à l’ouest (breton) de la France. Trois cantons francophones et deux bilingues en Suisse. Diffusion de la langue française insuffisante en Savoie, à Nice et en Corse.
Langage et société: l’évolution du français en Europe Au cours de la première moitié du XIXe siècle, le développement de l’industrie et l’extension des villes accentuent les divisions sociales: le français parlé d’un bourgeois est forcément différent de la langue parlée par un paysan. La diffusion de la presse entraîne le déroulement de l’écriture et de la lecture. La littérature se fait porteuse des traits sociaux de la langue française, les personnages des romans adoptent ainsi des registres de langue différents (la Comédie Humaine d’Honoré de Balzac).
À partir de 1823, la collection Physiologies, introduite par l’éditeur Gervais Charpentier, aborde, à chaque issue, un type social différent. Le lecteur est donc confronté à une pluralité de mots et de registres linguistiques. Malgré la cohexistence des langues régionales, le désir d’un français unifié émerge En 1834, les frères Bescherelle publient leur grammaire «nationale». Le latin classique continue à faire partie de l’enseignement.
En Belgique, deux dialectes sont parlés: Le vallon d’origine française et le flamand d’origine néerlandaise. Cependant, le français s’affirme. En Suisse, la division linguistique des cantons reste invariée. En Savoie et dans le Val d’Aoste, on parle dialecte, italien et français. Sous la IIIe République, la langue devient un objet pédagogique et les manuels scolaires présentent de façon schématique les règles grammaticales.
La linguistique du français Entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe siècle, une science des langues prend forme. Pendant que les savants français étudient les langues classiques (Champollion, Rémusat, Chézy…), des recherches sur les langues indo-européennes sont menées par les allemands (Bopp, Schleicher, Grimm…). Le linguiste Ernest Renan, dans l’Avenir de la science, trace les traits caractéristiques d’une discipline fondée sur une nouvelle approche aux textes: la philologie.
Charles Nodier est le premier à utiliser le mot linguistique Charles Nodier est le premier à utiliser le mot linguistique. Dans son Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises (1808), une analyse de la langue française vue par les dictionnaires est établie.
Variations sociales Au XIXe siècle, à côté de l’intense production littéraire, une sensibilité pour les différents usages du français se profile. Des écrivains tels que Balzac, Stendhal et Hugo, mettent en évidence l’aspect social de la langue: elle est ainsi un marqueur social. Le roman-feuilleton et la chanson, appréciés par les classes populaires, temoignent d’un français plutôt scolaire. À l’oral, la prononciation du français enregistre des variations sensibles selon la région et l’éducation.
Les dialectes sont encore présents dans quelques régions, au moins jusqu’au début du XXe siècle (Lyon, Savoie, Suisse romande constituent un cas de bilinguisme). À la fin du XIXe siècle, les jargons populaires et paysans ralentissent la difussion du «bon français» enseigné à l’école. Au second Empire et pendant la IIIe République, l’école représente un instrument de cohésion sociale et de «civilisation» par l’enseignement de la langue française. Cependant, l’introduction d’une langue unique comporte l’élimination des parlers locaux et donc, des identités culturelles régionales.
L’enrichissement du vocabulaire Le vocabulaire s’enrichit rapidement de nouveau mots classés en fonction de leur usage et registre. Le monde rural trouve grandes difficultés face aux mots naissants, surtout si ceux-ci désignent des domaines techniques. L’innovation technique comporte l’introduction d’un vocabulaire spécifique. Des mots nouveaux apparaissent (automobile, cinématographe) et des emprunts (sport) sont vite adoptés par la langue courante. Dans ce contexte, l’adoption de néologismes est à l’ordre du jour.
Le nombre élevé de dictionnaires publiés au XIXe siècle (Boiste, Laveaux, Bescherelle, Larousse, etc.), preuvent l’attention croissante pour le vocabulaire. Pierre Larousse publie le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle en quinze volumes (1865-1876), ouvrage encyclopédique visant non seulement à la classification des mots, mais aussi à la diffusion des connaissances. À cette époque, la rédaction d’un dictionnaire ne suit pas de méthode scientifique rigoureuse, par conséquent, il existe non peu d’incohérences entre un dictionnaire et un autre.
Révolution industrielle et langage Les transformations du vocabulaire correspondent aux transformations sociales, techniques et économiques. En France, mais aussi en Belgique, en Suisse et au Québec, le vocabulaire se modèle en suivant les exigences des la communication. Les recherches de Darwin et de Pasteur dans le domaine de la biologie, favorisent l’insertion d’une terminologie spécifique. Ce besoin d’exactitude s’étend aux sciences humaines comme la sociologie introduite par Comte.
Des anglicismes entrent dans le vocabuire moderne pour indiquer les transports (chemins de fer, rails), le sport, etc. Le roman français reflète la grande variété de mots et d’expressions populaires, familiers, imagés, argotiques. Balzac, Hugo, Flaubert, Zola tiennent à une correspondace fidèle de la parole avec la réalité sociale.
Recueillir la parole La transcription de la parole populaire est souvent erronée. En 1911, Ferdinand Brunot, linguiste à la Sorbonne, à l’aide de son élève Charles Bruneau, mène une enquête pour analyser le français oral parlé dans les Ardenne et en Belgique wallonne. Brunot se sert d’enregistreurs pour son étude phonétique. Les dictionnaires offrent un vaste panorama de l’état du français: Émile Littré construit le meilleur français en regroupant une série de citations des auteurs classiques; Adolphe Hatzfeld et Arsène Darmesteter, auteurs du Dictionnaire général (1900), utilisent une approche rigoureuse pareille à celle de l’Académie française.
Le dictionnaire de Bescherelle et le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle