La Turquie post-kémaliste (1938-1980) Le général Kenan Evren (à gauche), président de la République à la suite du coup d’Etat du 12 septembre 1980 et le général Tahsin Sahinkaya, chef d’état-major.
1) L’évolution politique de la République turque A) Entre tentatives de démocratisation et coups d’Etat militaires -Maintien d’un régime autoritaire par le président Inönü entre 1938 et 1945. -1945-1950 : Instauration d’un début de démocratisation et apparition du Parti démocrate. -1950-1960 : Le Parti démocrate au pouvoir avec Celal Bayar comme président de la République et Adnan Menderes comme Premier ministre. -27 mai 1960 : coup d’Etat militaire du général Cemal Gürsel pour en revenir au fondement du kémalisme et à une démocratie politique dont s’était éloigné le Parti démocrate. -Adoption de la constitution de juillet 1961. -1961-1971 : nouvelle tentative d’un régime démocratique avec Ismet Inönü Premier ministre du 20 novembre 1961 au 20 février 1965, puis, après le victoire électorale du Parti de la Justice, avec les gouvernements de Ali Suat Hayri Ürgüplü du 20 février au 27 octobre 1965 et de Süleyman Demirel du 27 octobre 1965 au 26 mars 1971. -Coup d’Etat militaire du 27 mars 1971.
Celal Bayar, président de la République (1950-1960)
Adnan Menderes, Premier ministre (1950-1960) Adnan Menderes, Premier ministre (1950-1960). Pendu le 17 septembre 1961.
Le général Cemal Gürsel, président de la République de 1960 à 1966.
-1971-1973 : régime mi-militaire, mi-parlementaire. -1973-1980 : retour à une tentative de régime démocratique avec la suite des élections d’octobre 1973 et l’alternance au pouvoir de cabinets de Bülent Ecevit (25 janvier-17 novembre 1974, 21 juin-21 juillet 1977, 5 janvier 1978-12 novembre 1979) et de Süleyman Demirel (31 mars 1975-21 juin 1977, 21 juillet 1977-5 janvier 1978, 12 novembre 1979-12 septembre 1980). -Coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980.
Süleyman Demirel
Bülent Ecevit
B) Les obstacles à la stabilité politique -Le rôle de l’armée, qui loin d’être monolithique, s’est érigée en garante de l’héritage kémaliste et encourage à l’intervention à Chypre en juillet 1974. -crise économique à partir de 1973 (inflation jusqu’à 100%) -La violence politique : cycle de violence en 1968 et 1971 entre manifestations étudiantes et ouvrières et répression du pouvoir ; action des milices d’extrême droite, Les Loups gris, entre 1975 et 1980. 5 713 morts de 1975 à 1980 (34 morts le 1er mai 1977, de 15 à 20 morts par jour dans les mois qui précèdent le coup d’Etat). -Clientélisme et corruption.
Résultats électoraux de 1946 à 1977 Parti démocrate Parti de la Justice Parti de la Prospérité (islamiste) Parti de l’Ordre national (extrême droite) Parti républicain du Peuple 1946 14,2 84,9 1950 52,6 39,4 1954 57,6 35,3 1957 47,8 41 1961 34,8 36,7 1965 52,9 28,7 1969 46,5 3 27,3 1973 29,8 11,8 3,4 33,3 1977 36,9 8,5 6,4 41,3
2) La « question kurde » A) Les désillusions kurdes de l’après Première Guerre mondiale -Découverte des gisements pétrolifères dans la région de Kirkouk par le géologue autrichien Emil Tietze en 1879. -30 juin 1915 : conclusion du rapport de la commission Bunsen demandant pour la Grande-Bretagne les régions de Mossoul, Bassora, Bagdad et un accès au port d’Haïfa. -Les accords Sykes-Picot envisagent une zone d’influence française dans la région de Mossoul. Celle-ci est cédée par Clemenceau, lors du sommet anglo-français de Londres de décembre 1918 en contre partie de la cession de la Deutsche Bank à la Compagnie française des pétroles et un soutien britannique aux revendications françaises envers l’Allemagne. -Séance du 30 janvier 1919 de la conférence de la paix où les Alliés décident de détacher de l’Empire turc la Syrie, la Mésopotamie, l’Arabie, l’Arménie et le Kurdistan.
Carte du Kurdistan
-Traité de Sèvres du 10 août 1920 qui envisage un Kurdistan indépendant mais avec des frontières encore à préciser définitivement et au statut politique imprécis. -Traité de Lausanne du 24 juillet 1923 qui abandonne l’idée d’un Kurdistan indépendant, les articles 37 à 45 ne reconnaissant que des minorités religieuses. -Révolte des nestoriens, dans la province de Hakkari, en août 1924 et des Kurdes de Turquie en février 1925, sous la direction de Cheikh Saïd Piran, pendu le 27 juin 1925.
La Turquie du traité de Lausanne
-Le 21 novembre 1926, en visite officielle à Ankara, Sir Henry Dobbs, haut-commissaire en Irak, assure le gouvernement turc que la monarchie irakienne est tout à fait hostile à tout séparatisme kurde. B) Résister à l’Etat turc -Politique répressive de Kémal par une administration militaire, l’interdiction de la langue kurde, des déplacements de population : mouvement de résistance quasi-continuel avec les grandes révoltes d’Ararat en 1927-1930 et de Dersim en 1936-1938. -Déportation de 55 chefs tribaux kurdes à la suite du coup d’Etat du 27 mai 1960. -Création des foyers culturels révolutionnaires de l’Est, en 1968-1970, afin de préserver la culture kurde et exiger un développement économique. -Fondation, en 1977-1978, du KUK (Libérateurs nationaux du Kurdistan) et du PKK (Parti ouvrier du Kurdistan) dirigé par Abdullah Ocalan. -Nouvelle répression des militaires au pouvoir, en septembre 1980, qui interdisent la langue kurde et renforcent l’état d’urgence.
3) Evolutions et blocages de la société turque A) Islam et laïcité en Turquie -Relative ouverture après 1945 : réintroduction de la prière en arabe, réouverture de certains mausolées de sultans, moindre censure sur les ouvrages islamistes, faculté de théologie à Ankara. -Création d’un parti islamiste en 1969, le Parti de la Prospérité. -111 lycées islamiques en 1970, 333 en 1980, introduction de cours facultatifs de religion en 1976 et du Manuel d’enseignement religieux du soldat dans les casernes. L’article 24 de la constitution de 1982 prévoit l’obligation de la culture religieuse et de l’éducation morale dans l’enseignement primaire et secondaire.
B) Le rôle marginal des femmes -1930 : droit de vote aux municipales. -1930 : droit de vote pour les législatives. -Prudence de Kémal vis-à-vis du voile sauf dans la fonction publique. -Rôle emblématique des filles adoptives de Kémal dont l’aviatrice Sabiha Gökçan et Âfet Inan, professeur d’Histoire à l’université. -Élection de miss Turquie, Keriman Halis, élue miss Univers en 1932. -Désignation de 17 femmes-députés en 1935, année où est organisé à Ankara le 12e congrès international des femmes. -Maintien des structures traditionnelles vis-à-vis des femmes : jamais plus de 2% de députés femmes entre 1950 et 1995, baisse du taux de femmes actives de 1955 à 1990 (de 72% à 42,8%).
L’aviatrice Sabiha Gökçan avec son père adoptif
Keriman Halis, élue Miss Turquie 1929
Bibliographie -Bozarslan (Hamit), Histoire de la Turquie de l’Empire à nos jours, Paris, collection Texto, Tallandier, 2015 ; Histoire de la Turquie contemporaine, Paris, La Découverte, 2016. -Vaner (Semih), La Turquie, Paris, Fayard-CERI, 2005. -Kazancigli (Ali), sous la direction de, La Turquie d’une révolution à l’autre, Paris, Pluriel, 2013. -Brunau (Michel), De l’Asie Mineure à la Turquie. Minorités, homogénéisation ethno-nationale, disporas, Paris, CNRS éditions, 2015. -Picard (Elizabeth), La question kurde, Bruxelles, Complexes, 1991.