Chapitre 2: Le récit en sciences humaines et sociales: de l’objet culturel à la pratique scientifique Marc MARTI —LIRCES, EA3159
Introduction: le récit et les LSHS Le récit objet scientifique en littérature, sciences sociales (sociologie, ethnologie, psychologie). Au croisement de l’individuel et du collectif. Le récit comme énoncé scientifique en sciences sociales et en histoire
1. Les bases du questionnement narratif 1.1. La logique du récit ou étude de l’histoire Paul Ricœur (1983), postulat d’une narrativité ontologique: « Il existe entre l’activité de raconter une histoire et le caractère temporel de l’expérience humaine une corrélation qui n’est pas purement accidentelle, mais présente une forme de nécessité transculturelle. Ou, pour le dire autrement : que le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé sur un mode narratif, et que le récit atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l’existence temporelle ».
1. Les bases du questionnement narratif Jérôme Bruner (2002): Pourquoi racontons-nous des histoires? Pose aussi la question en creux des sciences sociales: « à qui racontons-nous ces histoires ? » et « comment circulent ces histoires ? » La narratologie pose la question de « comment fonctionnent ces histoires? » et « comment les racontons-nous? » Jérôme Bruner: le récit met en forme l’expérience individuelle et la rend collective.
2. Le récit: le point de fuite en psychanalyse Point de fuite : un point imaginaire permettant au dessinateur de construire sa perspective. Celui qui correspond à la direction du regard est appelé point de fuite principal ou centre de la perspective La construction subjective du récit: elle choisit (mais qui choisit?) sa perspective et son au-delà Une métaphore visuelle du récit
Photo: Ville de Durham, Caroline du Nord (source Wikipédia)
La Cène, par Léonard de Vinci (vers 1498)
2. Le récit: le point de fuite en psychanalyse Konichekis, Forest, 1999, Psychanalyse et récit: « L’informe devient forme et, par cette fonction, le récit manifeste sa force organisatrice et liante, unit, rassemble, et s’oppose ainsi aux tendances du psychisme à la désagrégation, à la dispersion, à l’oubli. Il procure la bonne forme et apporte des unités de sens qui résistent à l’insensé.
2. Le récit: le point de fuite en psychanalyse Simon Harel (2001), La démesure de la voix, parole et récit en psychanalyse : «le récit serait un outil coercitif, un contenant préformé qui camoufle, ou qui refoule, une structuration signifiante plus archaïque ». Le récit comme un acte défensif : « dans des formes narcissiquement satisfaisantes, maintenant les apparences et la construction d’un faux self » (Konichekis, Forest, 1999)
2. Le récit: le point de fuite en psychanalyse L’idée de co-construction narrative entre le patient et l’analyste, identifiée dans le processus du transfert et contre-transfert (Cabassut, Marti, 2014). L’analyste se positionne non comme un herméneute, mais comme un lecteur coopérant, qui rend possible la formulation du récit. Psychanalyse ≠ littérature: le récit est singulier à chaque moment temporel de sa formulation.
3. Le récit et le collectif : l’ethnologie et son regard sur l’Histoire Cas de l’ethnologue qui ethnographie l’Histoire Le récit est une intersection entre l’individuel et le groupe, sur lequel agit un travail de culture. J.Y. Boursier (2012): Le silence comme moyen défensif Le récit de mémoire ≠ Récit historique. Il peut même y avoir contradiction Difficulté d’aller contre la « mémoire officielle » (qui peut évoluer en fonction des circonstances)
4. La narrativité et l’Histoire 4.1. Un vieux débat : comment faire de l’Histoire ? Fernand Braudel (1946), Marc Bloch (1949): inadaptation du récit à certaines formes de l’histoire, défiance car idéologique René Chartier (1998): séparer le récit fictif du récit historique. L’Histoire produit un « savoir vérifiable ». Sartre 1947: « le récit explique et coordonne en même temps qu’il retrace, il substitue l’ordre causal à l’enchaînement chronologique »
4. La narrativité et l’Histoire En fabriquant un ordre causal dans la chronologie, l’historien engage une hypothèse explicative 4.2. L’écriture uchronique Penser ce qui n’est pas advenu: revient à s’interroger sur pourquoi ce n’est pas advenu. (Rowley, d’Almeida, 2009) Uchronie: exploration des possibles historiques