L’entrée par un événement : Bouvines

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Transcription de la présentation:

L’entrée par un événement : Bouvines Sophie Gaudelette

Évolution Historiographique autour de la notion d’événement L’école des Annales a longtemps rejeté « l’événementiel » dans l’illusoire, l’anecdote : l’évolution des stés n’est pas due à des accidents, des soubresauts, des catastrophes, mais à des forces profondes agissant sur la longue durée. S’il existe des évts, ceux-ci ne surprennent plus s’ils sont considérés dans une série, donc dans une structure. Une bataille gagnée ou perdue est le reflet de … Tournant épistémologique lié au retour de l’événement. Michel de Certeau : « l’événement n’est pas ce que l’on peut voir ou savoir de lui, mais ce qu’il devient ». Abandon du schéma causaliste et continuiste, qui rendait l’événement « inévitable » : il ne s’agit plus, pour l’historien, de replacer les faits dans un ensemble de causes et d’effets L’enjeu : l’indétermination de l’événement. L’incertitude du passé permet de redonner sens aux à l’action humaine, aux acteurs (actions, comportement, discours). L’avènement de l’histoire mémorielle. L’historien travaille sur la stratification du sens de l’événement dans ses différentes temporalités : dans Le Dimanche de Bouvines, G. Duby montre les métamorphoses de sens que cette journée a subies dans le temps. Renouveau historiographique, par une approche sociale de la mémoire : en dehors des traces qu’il a laissées, l’événement n’est rien ; certains événements sont passés à la postérité, uniquement parce qu’ils ont été entretenus dans les consciences collectives et la mémoire nationale. L’historien interroge donc désormais « le futur du passé », la postérité de l’événement, dans la mémoire qui n’est pas unique mais plurielle : mémoires de groupes qui peuvent s’entrechoquer, mémoire nationale… La portée historique de l’événement devient un objet d’histoire.

La démarche inductive et le retour du récit L’entrée par un événement significatif s’inscrit également dans la démarche inductive. Étudier un événement en classe, c’est lui restituer sa complexité, ses multiples facettes  c’est aussi « dézoomer » pour élargir la focale et envelopper l’événement dans son contexte, éclaircir une époque tout en soulignant le rôle central des acteurs. Le récit du prof sert à Problématiser contextualiser Critiquer les docts Montrer les enjeux mémoriels Mettre en perspective

Définir un événement ? Définir un événement est loin d’être une tâche aisée : par essence, un événement est multidimensionnel, complexe il est l’objet de multiples interprétations et sa nature même de fait exceptionnel n’est souvent liée qu’à la postérité que lui ont donnée ses contemporains et les générations postérieures -les historiens notamment. Georges Duby n’a-t-il pas dit de Bouvines que les « traces seules lui confèrent existence. En dehors d’elles, l’événement n’est rien » ? Georges Duby : Le dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 1985, p. 14

Comment l’évènement produit de l’histoire ? CONTEXTUALISATION Mise en récit L’événement Sa postérité, l’évolution de sa mémoire, l’évolution de son sens et de son usage Ses représentations, son récit : leur confrontation, leurs limites techniques, sa mise en scène Sa multidimen-sionnalité et sa complexité Sa portée dans la longue durée Ses acteurs : incertitude et indétermination du passé Sa nature : bataille militaire, attentat, progrès social, exploit technique, fin d’un symbole Sa temporalité, l’événement comme observatoire du contexte : société en guerre, manière de penser et d’agir Paradigme mémoriel Paradigme indiciaire

contextualiser Il convient d’abord de déterminer la nature de l’événement et le resituer dans son contexte, lui donner une temporalité. Contexte pol Une guerre ne règle rien, elle se résume en bravades qui affaiblissent l’adversaire et procurent du butin. Bouvines est une bataille : ce n’est pas une guerre. Elle met aux prises l’Angleterre alliée à l’Allemagne contre la France. Il est aussi nécessaire de replacer la bataille dans son contexte religieux : l’excommunication des souverains anglais et allemand, l’interdiction de combattre le dimanche. Bouvines se déroule un dimanche (27 juillet 1214), jour consacré au Seigneur

Insister sur les acteurs Identifier les acteurs de l’événement, à la fois individuels et collectifs, qui ont produit l’événement, est la partie centrale de la démarche. En évitant d’aborder, comme préliminaire, la question de la causalité de l’événement, on ne le réduit pas à un fait inévitable, et on ne tomber pas dans l’écueil du déterminisme. Rechercher les motivations des acteurs (et non « les causes de l’événement ») peut intervenir une fois qu’on les a fait agir. Bouvines a une fonction d’observatoire pour une analyse sociologique de la guerre. Les acteurs ici sont les chevaliers, les fantassins (qui recouvrent chacun une grande variété d’individus), les souverains. On peut dresser le portrait rapide d’un acteur individuel, Philippe Auguste ou un capitaine, comme Guérin et d’un acteur collectif, par exemple les cavaliers, les milices populaires. Il faut donc faire la part belle aux combattants. Mais pas seulement. Dieu joue un rôle déterminant (Guillaume Le Breton et les autres chroniques), il punit les orgueilleux (les souverains anglais et allemand et leur excommunication) et protège le sage, il choisit le vainqueur, qu’il légitime par le don de la victoire. Tous ces acteurs doivent être replacés dans leur rôle au XIII°S, notamment, les innovations majeures comme l’apparition des milices populaires, la piétaille, dont les récits parlent peu, privilégiant les hauts hommes, héros étincelants responsables des passes d’armes, estocades et désarçonnements.

Raconter Il faut raconter l’événement. On peut illustrer le récit par les vitraux de l’église de Bouvines qui décrivent en images séquentielles la bataille, de ses prémices au triomphe de Philippe Auguste. Replacer la bataille dans les pratiques guerrières du XIII°S permet à la fois de lui donner une autre dimension, et de l’inscrire dans une temporalité précise (repères chronologiques). On peut évoquer la « liturgie » de la bataille, que Bouvines respecte scrupuleusement : harangue des chefs, le rangement des armées en ordre de bataille, réunion du conseil ; puis les nouvelles armes défensives plus couvrantes ; enfin l’idéologie de la guerre et de la paix (paix de Dieu assurée dans la pratique avec des adaptations par les princes et souverains). Et évidemment, doit venir le récit de la mêlée : un duel élargi entre Philippe Auguste et Otton, faiblement mortel ; la fuite du souverain allemand : Dieu ayant fait son choix, il n’est pas poursuivi, Philippe Auguste ne veut pas sa mort (l’extermination n’est pas recherchée entre Chrétiens). Là, on élargit la focale en insistant sur la tradition du tournoi, réprouvé par l’Église mais admis par les princes comme un exutoire à la violence et les effets de l’inactivité des chevaliers. Pour montrer le caractère multidimensionnel de l’événement, on peut faire allusion au rôle de l’argent : rançons, financement de bandes armées, l’attrait du souverain allemand pour l’argent de son partenaire.

La mise en perspective Il faut ensuite interpréter et cerner la portée de l’événement : Bouvines est « une gerbe de signes évidents » (Georges Duby : Le dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 1985, p. 233) Une longue paix s’établit, toute l’action de Philippe Auguste est légitimée (conquêtes, intrigues, et même l’expulsion des Juifs). Le butin est considérable, le roi devient plus riche qu’aucun roi avant lui. Il rétribue ses collaborateurs, mais il tient surtout ainsi les principautés rétives. Bouvines, c’est la consécration de l’État territorial, et de la monarchie capétienne. La mise en perspective de l’événement doit venir compléter la démarche ; on n’étudie pas seulement l’événement pour lui-même, mais comme lieu d’observation d’une situation plus large : celle de l’affirmation de l’État français, qui assoit sa domination sur une base territoriale élargie, défend l’intégrité de son territoire, s’affirme face aux princes et assume un héritage (celui des Carolingiens).

La mémoire de l’événement On peut enfin étudier les représentations et l’évolution de l’image de l’événement en fonction du contexte : la lecture du passé dans les présents successifs. « J’ébauchai donc l’histoire du souvenir de Bouvines, de sa déformation progressive par le jeu, rarement innocent, de la mémoire et de l’oubli » (G. Duby). La naissance du mythe, dès les lendemains de la bataille, peut être soulignée par la vision manichéenne qu’en donnent les textes contemporains des événements, comme la Philippide ; La bataille est instrumentalisée au XIX°S et aux XX°S dans un climat marqué par l’esprit de revanche et la méfiance nationaliste contre l’Allemagne. Avec la paix en 1945, Bouvines disparaît. Georges Duby prévoit un maigre avenir à sa transmission : « que viendrait faire Bouvines dans un enseignement donné aux enfants d’une Europe rassemblée ? (…) Notre temps chasse les batailles de sa mémoire. Il a raison ». *Le retour de Bouvines a donc sans doute de quoi étonner le chantre de l’école des Annales. Pourtant il s’inscrit dans la veine de sa démarche historique et du tournant épistémologique qu’il a lui-même initié, à l’écart des Annales C’est à la fois à un retour de l’événement, fondateur une culture commune, et à un retour du récit, que l’on assiste aujourd’hui, sur le modèle du Dimanche de Bouvines.

Bouvines et l’histoire CONTEXTUALISATION Mise en récit Bouvines La mémoire et ses usages : des exemples pris aux XIX° et XX°S Ses représentations, son récit : Regards croisés : France et Allemagne Sa multidimen-sionnalité : le rôle de l’argent Sa portée dans la longue durée : affirmation de l’Etat territorial et de la monarchie capétienne Ses acteurs : souverains, chevaliers, piétaille, milices Sa nature : Une bataille militaire, et non la guerre, un duel élargi Sa temporalité, l’événement observatoire : la liturgie de la guerre, les interdictions religieuses, les nouvelles armes, Paradigme mémoriel Paradigme indiciaire