Behavioral economics Economie comportementale

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Behavioral economics Economie comportementale 2011-2012 Behavioral economics Economie comportementale Claudia Senik Université Paris-4 Sorbonne Paris School of Economics senik@pse.ens.fr

Plan I. Anomalies dans les choix I.1. en environnement certain I.2. en environnement incertain II. Anomalies dans les jugements III. Incertitude intra-individuelle et choix inter-temporels IV. Nudge V. Interactions sociales VI. Application aux marchés financiers VII. Leçons de « l’économie du bonheur »

I. Choix individuels en situation certaine Rappels: cohérence des choix, maximisation de l’utilité Choix en univers certain: l’individu prend ses décisions en connaissant parfaitement les caractéristiques des options possibles, des produits, etc. Il choisit en fonction de ses préférences. Modèle de maximisation de l’utilité: les préférences des agents sont supposées respecter un certain nombre de propriétés (axiomes): Complétude des préférences (des classements): l’individu peut classer les biens selon la satisfaction qu’ils lui procurent. Ce classement a une cohérence interne. Ordre complet sur les préférences (X>Y, Y>X ou X≈Y) et transitivité: X est préférée à Y, et si Y est préférée à Z, alors X est préférée à Z. « Le plus le mieux » (non saturation)  Fonction d’utilité (relation entre options et classement) mesurable, numérique

Les hypothèses de la théorie (économique) classique de la décision 1. Numéraire unique Choix entre différentes options (entre objets de nature différente) On convertit l’utilité offerte par chaque option en un même numéraire (utilité) pour pouvoir les comparer 2. Croyances précises sur les probabilités associées à chaque événement. Les choix devraient refléter ces croyances => moindre valeur pour des événements moins probables. 3. Intégration des résultats Évaluation des options par le niveau de richesse final total (stock + flux) que l’on obtient en choisissant telle option ou telle séquence d’options (peu importe l’ordre). 4. Planning decomposition Choix des options en fonction de leur utilité espérée inter-temporelle: somme des utilités futures (escomptées)

Les hypothèses de la théorie classique (économique) de la décision - suite 5. Bygones are bygones: indépendance des choix par rapport aux alternatives non pertinentes (notamment passées) L’homme bi-dimensionnel. 2 paramètres fondamentaux : attitude vis-à-vis du risque Préférence pour le présent (impatience) Ces deux paramètres sont supposés être indépendants entre eux

1. Choix individuels en situation certaine L’effet dotation (endowment effect) Knetsch (1989). Expérience: répartit les sujets en 3 groupes Groupe 1 reçoit une tasse de café (mug) à l’effigie de leur université Groupe 2 reçoit une barre de chocolat suisse Groupe 3 ne reçoit rien mais doit choisir entre mug et chocolat Groupe 1 et 2 peuvent échanger librement Résultats: 89% des sujets du groupe 1 choisissent de conserver leur mug 90% des sujets du groupe 2 choisissent de conserver leur barre de chocolat Dans le groupe 3: 56% choisit le mug et 44% le chocolat => les préférences révélées par l’échange sont sensibles aux dotations initales (au lieu d’être données a priori)

1. Choix individuels en situation certaine L’effet dotation (endowment effect) Kahneman, Knetsch et Thaler (1990): série d’expériences confirmant l’effet de dotation. Exemple: 2 groupes. Gr 1 reçoit mug; on demande à chacun s’il préfère conserver mug ou le vendre pour des prix allant de 0,5 $ à 9,5 $. Gr 2 ne reçoit pas de mug mais doit choisir entre en recevoir un et obtenir une somme d’argent déterminée entre 0,5 $ et 9,5 $. La théorie classique de l’utilité prédit que (si les préférences sont données et stables) le prix auquel les sujets voudront vendre ou acheter le mug devrait être le même dans les 2 groupes (en moyenne). Résultats: la valeur médiane du prix minimum demandé par le groupe 1 est de 7,12 $ alors que la valeur médiane d’achat du groupe 2 est de 3,12 $. Effet dotation: la perte d’utilité d’un individu lorsqu’il se sépare d’un bien est plus importante que le gain d’utilité lorsqu’il reçoit ce même bien.

1. Choix individuels en situation certaine L’effet dotation (endowment effect) Les expériences montrent qu’en général, il peut y avoir un écart conséquent entre prix de vente (willingness to accept) et prix d’achat d’un bien (willingness to pay) Surtout lorsque les acheteurs et les vendeurs sont des particuliers et moins quand ce sont des firmes (cf logement). Contradiction avec l’idée que l’évaluation d’un bien ne dépend pas du fait d’être acheteur ou vendeur. Problème pour le calcul coût-bénéfice des projets publics. Problème pour l’application du théorème de Coase: les détenteurs de droit manifestent une réticence à les céder. Plus généralement: aversion aux concessions: réticence renoncer aux acquis du passé. Peut conduire à des situations inefficaces héritées du passé. Exemple: entreprises anciennes peuvent avoir plus d’arrangements inefficaces que entreprises nouvelles. Conséquences sur la consommation, épargne et prix des actifs financiers. Volume d’activité sous-optimal sur les marchés de biens (Kahneman, Knetsch et Thaler 1990) Guillaume Hollard et Dirk Engelman (Econometrica, 2010): apprentissage du marché détruit effet dotation.

Interprétations psychologiques de l’endowment effect 1. Statu quo bias Attachement à l’option par défaut dont on dispose d’emblée Ex: les conducteurs du New Jersey paient moins cher leur assurance mais ont moins de possibilité de poursuivre des tiers en justice, à moins de payer un supplément d’assurance. Seuls 17% des conducteurs achetaient ce droit en 1988. En Pennsylvanie, l’assurance par défaut comportait ce droit supplémentaire (coût additionnel mais sans restriction): la majorité conserve ce contrat. Identification, incarnation, superstition (mugs, places d’avion, de train) 2. Les gens peuvent avoir une plus grande aversion à payer trop cher qu’à vendre trop bon marché Les gens ont une moins grande aversion pour les erreurs passives -par omission ou inaction- que pour les erreurs actives Payer trop cher = erreur active; Vendre trop bon marché = erreur passive (opportunité ratée). Crainte de l’erreur active => prix d’achat trop faible. Crainte de l’erreur passive => prix de vente trop élevé

Statu quo bias William Samuelson et Richard Zeckhauser Tendance des individus à vouloir conserver la situation existante. Conservatisme La plupart des étudiants s’asseyent toujours à la même place dans une salle de cours. Plan d’épargne retraite facultatif type 401(k)s: la plupart des gens choisissent un plan et le gardent. La plupart des professeurs d’université ne changent jamais le montant d’épargne retraite qu’ils mettent de côté chaque mois, malgré les changements de leur cycle de vie (étude des années 1980, cité par Thaler et Sunstein). Utilisation commerciale du statu quo bias: abonnements gratuits pendants les 3 premiers mois. Ex. carte American Express, magazines, etc. Explications : Manque d’attention Supériorité supposée des options par défaut

I.2 Choix en environnement risqué ou incertain Théorie de l’espérance d’utilité Incertitude liée au futur (quantité demandée, prix de vente) caractère inobservable de certains biens (qualité des voitures d’occasion). Théorie classique = utilité espérée (ou espérance d’utilité), von Neumann et Morgenstern (1944) Appliquée à de nombreux domaines: investissement, finance, assurance, etc. Mais nombreux anomalies (écarts/ prédictions de cette théorie) observées depuis (Allais, 1953).

Choix en environnement risqué ou incertain Choix en environnement risqué ou incertain. Théorie de l’espérance d’utilité Une situation risquée peut être représentée comme une loterie, i.e. ensemble d’évènements associés chacun à une probabilité. Exemple: une loterie L où l’on peut gagner 100 € avec une probabilité de ½ et 0 € avec une probabilité de ½. L’espérance de gain de cette loterie = gain moyen probable = E(L)=50 € E(L)=espérance mathématique. L’espérance de gain est-elle vraiment le critère de choix des individus? Pb: ne tient pas compte de l’attitude des individus face au risque, qui peut varier d’une personne à une autre.

Choix en environnement risqué ou incertain Choix en environnement risqué ou incertain. Théorie de l’espérance d’utilité Supposons que l’on demande à différents individus ce qu’ils sont prêts à payer pour participer à cette loterie (à combien ils sont prêts à acheter un ticket pour cette loterie). Certains seraient prêts à payer 50 euros ou même plus, pour gagner 100 €; d’autres proposeraient moins de 10€ car ils risque de les perdre. Afin de tenir compte de ces différentes attitudes vis-à-vis du risque, la théorie de l’espérance d’utilité fait l’hypothèse que c’est l’utilité des gains qu’il faut prendre en compte et non les gains eux-mêmes. C’est l’espérance d’utilité qui compte et non l’espérance de gain. L’espérance d’utilité pour la loterie ci-dessus est égale à : E( U(L) ) = ½.u(100) + ½.u(0) Forme de u? Concavité. u(x+y) > u(x) + u(y)

Choix en environnement risqué ou incertain Choix en environnement risqué ou incertain. Théorie de l’espérance d’utilité Forme de u? Concavité. u(x+y) > u(x) + u(y): aversion au risque Convexité: u(x+y) < u(x) + u(y): attirance pour le risque Exemple: u(x) =√x = x1/2 u’(x)= 1/2. x-1/2 ; u’’(x)= -1/4. x-3/2 ; u(0)=0 fonction concave; aversion au risque L’espérance d’utilité de la loterie L sera alors E(u(L))=1/2. √100 + ½. √O = 5. Donc l’individu sera indifférent entre cette loterie et un gain tel que u(gain)=5  √gain=5 => gain = 25. Équivalence entre gain certain de 25 et gain de 100 avec une probabilité de 50%. Cet individu, dont la fonction d’utilité est représentée par la fonction √, pourra être prêt à participer à cette loterie si le ticket d’entrée est inférieur ou égal à 25 euros. Si le ticket coûte 10 € par exemple, il réalise un gain ex ante car l’utilité espérée de la loterie est supérieure à la désutilité du coût de participation.

Choix en environnement risqué ou incertain Choix en environnement risqué ou incertain. Théorie de l’espérance d’utilité Les fondements de la théorie EU (espérance d’utilité) ont été établis par von Neumann et Morgenstern (1944) en proposant un ensemble d’axiomes permettant de représenter les préférences des agents sur un ensemble de loteries. Selon cette théorie, un agent rationnel choisira une loterie qui maximise son espérance d’utilité. Deux axiomes sont essentiels pour décrire ce choix: 1) axiome d’indépendance: si la loterie X est préférée à la loterie Y, alors la loterie pX + (1-p)Z est préférée à la loterie pY + (1-p)Z quelle que soit Z et quelle que soit la valeur de p compris entre 0 et 1 (exclus). 2) axiome de transitivité: si la loterie X est préférée à la loterie Y, et si Y est préférée à Z, alors X est préférée à Z.

Von Neumann et Morgenstern (1944) - suite Von Neumann et Morgenstern (1944) ont montré que si les préférences respectaient ces conditions, elles pouvaient être représentées par l’espérance mathématique d’une fonction d’utilité. L’utilité d’une loterie est alors l’utilité espéré de ses résultats possibles.

Anomalies/ Théorie de l’espérance d’utilité Suivant les travaux de Maurice Allais (prix Nobel d’économie) en 1953, des anomalies ont été détectées. Notamment: violation de l’axiome d’indépendance, de l’axiome de transitivité et le phénomène d’aversion aux pertes. Axiome d’indépendance: paradoxe d’Allais (1953): enquête réalisée auprès des participants à une conférence; choix hypothétiques.

Anomalies/ Théorie de l’espérance d’utilité Axiome d’indépendance Paradoxe d’Allais (1953): enquête réalisée auprès des participants à une conférence; choix hypothétiques. Question 1: préférez-vous la situation A ou la situation B? Situation A: Certitude de recevoir 100 millions Situation B: 98 chances sur 100 de gagner 500 millions et 2 chances sur 100 de gagner 0 Question 2: préférez-vous la situation C ou la situation D? Situation C: 1 chance sur 100 de gagner 100 millions et 99 chances sur 100 de gagner 1 Situation D: 0,98 chances sur 100 de gagner 500 millions, 99 chances sur 100 de gagner 1 et 0,02 chances sur 100 de gagner 0 Résultats une majorité de gens ont choisi les situations A et D.

Paradoxe d’Allais - suite Résultats une majorité de gens ont choisi les situations A et D. Mais cette combinaison est en contradiction avec l’axiome d’indépendance. En effet, définissons Z comme la loterie garantissant avec certitude un gain de 1. Les loteries C et D peuvent se réécrire: C=0,01.A + 0,99.Z D=0,01.B+0,99.Z. D’après l’axiome d’indépendance, un individu qui préfère A à B dans la question 1, devrait préférer C dans la question 2. Choisir A et D est en contradiction avec cette prédiction. La plupart des gens préfèrent A à B car le risque de A est moins grand et la somme non négligeable. Ils préfèrent D à C car les deux loteries ont des probabilités de gains très faibles mais le gain de D est 5 fois plus élevé.

Anomalies/ Théorie de l’espérance d’utilité Axiome d’indépendance Paradoxe d’Allais confirmé de nombreuses fois par la suite, avec des expériences mettant en jeu des gains réels. Explication possible: les individus ont une déformation subjective des probabilités qui les conduit à accorder plus de poids aux événements les moins probables. Surpondération des faibles probabilités. Cf Kahneman et Tversky (1979)

Anomalies/ Théorie de l’espérance d’utilité Axiome de transitivité Résultat: une majorité de sujets préfèrent la loterie A dans question 1, la loterie B dans la question 2 et la loterie C dans la question 3. Préférences « cycliques » non transitives. La transitivité impliquerait que si A<B et B > C alors A >C Interprétation: choix multi-critères. Les loteries diffèrent dans 2 dimensions: risque (probabilité du gain) et taille du gain. L’individu choisit sur la base de la combinaison de 2 critères. Il choisit la loterie la moins risquée tant que les gains sont semblables (question 1), mais est prêt à prendre plus de risque si l’écart de gains est plus important. Expérience de Loomes, Starmer et Sugden (1991) Question 1. Choisissez entre: A. 18 £ avec probabilité 30% et 0 £ avec proba 70% B. 4 £ avec proba 100% Question 2. Choisissez entre: C. 8 £ avec proba 60% et 0 £ avec proba 40% Question 3. Choisissez entre: C. 8 £ avec proba 60% et 0£ avec proba 40% A. 18 £ avec proba 30% et 0 £ avec proba 70%

Aversion aux pertes (loss aversion) Kahneman et Tversky: Les individus perçoivent les pertes plus intensément que les gains Problème 1. Supposons que vous soyez plus riche de 300 €, préférez-vous: A. un gain certain de 100 € [72%] B. 50% de chances de gagner 200 € et 50% de chances de ne rien gagner [28%] Problème 2. Supposons que vous soyez plus riche de 500 €, préférez-vous: A. une perte certaine de 100 € [36%] B. 50% de chances de perdre 200 € et 50% de chances de ne rien perdre [64%] 126 personnes interrogées (expérience de 1986). La majorité manifeste une aversion à prendre des risques en situation de gain, mais une propension à en prendre en situation de perte. Pourtant, dans les 2 problèmes, les positions finales sont identiques: 400 € avec certitude ou une chance 50-50 d’avoir 500 € ou 300 €.

Aversion aux pertes - suite Les gains et les pertes sont valorisés non en niveau, mais en variation par rapport à une situation de départ ou de référence. Les individus perçoivent ces gains et ces pertes par rapport à une situation de référence, de statu quo, plutôt que par rapport au résultat final. Propension plus grande à prendre des risques pour éviter une perte certaine.  Loss aversion (aversion aux pertes) Recherches expérimentales ultérieures: pour des enjeux modérés, les individus sont deux fois plus sensibles à une perte qu’à un gain de même montant. Ex: pile ou face. Pile vous gagnez X, face vous perdez 100€. A combien faut-il fixer X pour que vous acceptiez de jouer. Réponse moyenne: 200€ (Thaler et Sunstein).

Utilité espérée subjective Distinction risque/incertitude: Situation où les probabilités objectives sont connues: risque Situation où les probabilités objectives sont inconnues: incertitude Différence de comportement dans les deux situations. Neuro-économie: les zones du cerveau activées pour les décisions face au risque ou à l’incertitude sont différentes (Smith et al. 2002) En situation d’incertitude, les individus doivent former des probabilités subjectives. on devrait pouvoir déduire ces dernières des choix opérés ou des préférences exprimées par les agents. Exemple: un individu qui préfère le pari 1= « gagner 100€ si une pièce tombe sur face », plutôt que le pari 2=« gagner 100€ s’il pleut demain » révèle que sa probabilité subjective qu’il pleuve demain est < 50% (autrement il aurait choisi le pari 2).

Utilité espérée subjective - suite La théorie de l’utilité subjective peut être construite à partir de comparaisons de ce type. Mais le paradoxe d’Ellsberg (1961) remet en cause l’hypothèse selon laquelle les préférences des sujets expriment bien des jugements probabilistes.

Choix: Utilité espérée subjective Le paradoxe d’Ellsberg (1961) Imaginez une urne contenant 90 boules. 30 sont rouges, les autres sont soit noires soit jaunes, dans des proportions inconnues. Choisissez de participer à un des jeux suivants: A. Le tirage d’une boule rouge rapporte 100€ B. Le tirage d’une boule noire rapporte 100€ C. Le tirage d’une boule rouge ou d’une boule jaune rapporte 100€ D. Le tirage d’une boule noire ou d’une boule jaune rapporte 100€ La majorité des sujets préfère A à B et D à C. Contradiction avec l’hypothèse que les agents forment des jugements compatibles avec les règles de calcul des probabilités. Car s’ils choisissent A plutôt que B, c’est qu’ils pensent que proba(rouge)> proba(noire) et s’ils choisissent D plutôt que C c’est qu’ils pensent que proba(noire)>proba(rouge).

Choix: Utilité espérée subjective Le paradoxe d’Ellsberg (1961) Les options A et C sont identiques, sauf pour l’événement « jaune », de même que les options B et D. Un sujet qui préfère A à B devrait donc aussi préférer C à D (l’événement « jaune » n’est pas pertinent ni discriminant). En fait, les sujets semble se méfier des options B et C en raison de l’ambigüité correspondant à ces choix. Comme la proportion noire/jaune est inconnue, les sujets manifestent une aversion à choisir une option pour laquelle les chances de gagner sont inconnues. aversion à l’ambigüité. Ambiguité = information dont on sait qu’elle est indisponible Interprétation: les probabilités subjectives ne sont peut être pas additives: p(AuB) ≠p(A) + p(B) – p(AnB) car les individus ont tendance à attacher une probabilité subjective plus faible aux états « ambigus ».

Vers une nouvelle théorie des choix? Deux grandes tendances: 1) étendre la théorie de l’espérance d’utilité (EU) afin de prendre en compte certaines anomalies de comportement détectées par l’expérimentation; 2) démarche inductive (observations théorie) visant à fonder une théorie alternative des comportements face au risque.  théorie des perspectives (Prospect theory) proposée par Kahneman et Tversky (1979).

La théorie des perspectives (Prospect theory) 3 hypothèses fondamentales directement issues de l’observation expérimentale: Hypothèse 1:dépendance à un point de référence (reference point theory): les individus évaluent les perspectives en termes de gain ou de perte par rapport à un point de référence (statu quo) plutôt qu’en terme de résultat net final. Hypothèse 2: sensibilité décroissante: la valeur marginale perçue d’un gain (ou d’une perte) est décroissante. Hypothèse 3: aversion aux pertes: une perte a davantage d’impact psychologique qu’un gain de même montant. Les 3 hypothèses impliquent que les individus sont plus sensibles aux pertes qu’aux gains. Conséquences: statu quo bias, effet de dotation, effets de formulation, loss aversion. Compatible avec anomalies telles que paradoxe d’Allais ou renversement des préférences. Même anomalies et hypothèses en univers certain.

La théorie des perspectives (Prospect theory)- suite Théorie des perspectives repose sur 2 concepts: La fonction de pondération qui transforme les probabilités en pondérations subjectives des événements surpondération des événements peu probables et sous-pondération des probabilités fortes La fonction de valeur: qui transforme les gains et les pertes en valeurs subjectives Change d’allure à partir du point de référence. Concave pour les gains (risquo-phobie pour les gains):v’’(x)<0 pour x>0 et convexe pour les pertes (risquo-philie pour les pertes): v’’(x)>0 pour x<0 V plus pentue pour les pertes que pour les gains: v(x) < v(-x) pour x >0 (aversion aux pertes)

La théorie des perspectives (Prospect theory)- suite (schéma p 50 in Eber et Willinger)

Expérience de Rietz (1991) Tickets de loterie attribués à des sujets. 1 ticket bleu gagne 1000 francs avec probabilité 0,3. 1 ticket vert gagne 1000 francs avec p=0,7. 1 portefeuille composé d’un ticket vert + un ticket bleu rapporte 1000 francs (espérance de gain). Les sujets reçoivent initialement 2 portefeuilles de tickets (2 bleus et 2 verts) + 4 tickets bleus ou 4 tickets verts alloués à certaines périodes. Ensuite ils échangent librement leurs tickets avant tirage au sort. Double enchère. 16 périodes d’échanges. Prix moyen pour le ticket vert=850; prix pour ticket bleu=350 francs (somme des deux=1200 > gain espéré du portefeuille). Prix anormalement élevés. Les sujets ne vendent pas assez leurs tickets => prix plus élevé que équilibre. (under-selling). Théorie: les sujets rationnels devraient se retrouver, à la fin de chaque période, avec les tickets qui correspondent à leurs préférences, indépendamment de leur dotation initiale. Réalité: ceux qui reçoivent 4 bleus en plus finissent avec davantage de bleus que ceux qui commencent avec 4 verts en plus.

Conclusions Que faire de la théorie de l’utilité espérée? Même si les individus ne sont pas rationnels ou efficaces, peut-on encore considérer que « tout se passe comme si » ils l’étaient (Friedman)? L’économie expérimentale montre que les sujets, pris isolément, ont des comportements qui contredisent certaines hypothèses de rationalité, mais lorsqu’ils interagissent en collectivité, ils se comportent souvent comme s’ils étaient rationnels (de manière prévisible par la théorie). Cf. expériences de marché. La théorie de l’utilité espérée reste pertinente dans la plupart des cas. Question: où passe la ligne de division? Théorie des perspectives = alternative crédible à la théorie de l’utilité espérée.