De la traduction des chengyu, phrasèmes brachylogiques du chinois Colloque « La Nouvelle Brachylogie : écriture scientifique, littérature, traductologie, didactique et interdisciplinarité » Université de Mons, 28-29 avril 2017 De la traduction des chengyu, phrasèmes brachylogiques du chinois Kevin HENRY 韩晋文 Université libre de Bruxelles (Faculté de Lettres, Traduction et Communication) Shanghai International Studies University (Département de Français)
Présentation phraséologique
Présentation des chengyu 杯弓蛇影 bēi-gōng-shé-yǐng {coupe-arc-serpent-reflet} « S’alarmer vainement, se laisser abuser par son imagination » 破釜沉舟 pò-fǔ-chén-zhōu {briser-chaudron-couler-navire} « Être décidé à vaincre ou à mourir, brûler ses vaisseaux, franchir le Rubicon » 言而无信 yán-ér-wú-xìn {parler-mais-non-sincère} « Manquer à sa parole, se dédire » 多如牛毛 duō-rú-niú-máo {nombreux-comme-vache-poil} « Innombrable, considérable »
Présentation des chengyu 關雎 guān-jū Les mouettes 關關雎鳩、在河之洲。 guānguān jūjiū, zài hé zhī zhōu À l’unisson crient les mouettes dans la rivière et sur les rocs ! 窈宨淑女、君子好逑。 yǎotiǎo shūnǚ, jūnzǐ hǎoqiú La fille pure fait retraite, compagne assortie du Seigneur ! 參差荇菜、左右流之。 cēncī xìngcài, zuǒyòu liú zhī Haute ou basse, la canillée : à gauche, à droite, cherchons-la ! 窈宨淑女、寤寐求之。 yǎotiǎo shūnǚ, wùmèi qiú zhī La fille pure fait retraite : de jour, de nuit, demandons-la ! 求之不得、寤寐思服。 qiú zhī bù dé, wùmèi sī fú Demandons-la !... Requête vaine !... de jour, de nuit nous y pensons ! 悠哉悠哉、輾轉反側。 yōuzāi yōuzāi, zhǎnzhuǎn fǎncè Ah ! quelle peine !... Ah ! quelle peine !... De-ci, de-là, nous nous tournons !... 參差荇菜、左右采之。 cēncī xìngcài, zuǒyòu cǎi zhī Haute ou basse, la canillée : à gauche, à droite, prenons-la ! 窈宨淑女、琴瑟友之。 yǎotiǎo shūnǚ, qín-sè yǒu zhī La fille pure fait retraite : guitares, luths, accueillez-la ! 參差荇菜、左右芼之。 cēncī xìngcài, zuǒyòu mào zhī Haute ou basse, la canillée : à gauche, à droite, cueillons-la ! 窈宨淑女、 鍾鼓樂之。 yǎotiǎo shūnǚ, zhōng-gǔ lè zhī La fille pure fait retraite : cloches et tambours, fêtez-la ! 《诗经·国风·周南·关雎》 Classique des vers, Partie I « Guofeng », Livre I “Zhounan”, Chant I ; traduction de Marcel Granet [1919/1982 : 111-112]
Définition des chengyu Malgré l’ancienneté et l’importance de ce fait phraséologique, les chengyu du chinois ont fait l’objet de peu d’études approfondies dans les langues occidentales (en français, uniquement Sabban 1980). Chez les auteurs chinois, l’absence de consensus règne quant aux caractéristiques définitoires des chengyu. Nos recherches nous ont amené à qualifier les chengyu de phrasèmes « hybrides », à mi-chemin entre les expressions idiomatiques et les parémies, dans le sens habituel de ces termes en phraséologie fonctionnelle occidentale.
Définition des chengyu Les expressions idiomatiques sont des séquences polylexicales à contenu catégoriel verbal qui se caractérisent sémantiquement par leur non-compositionnalité, au moins partielle, qui peut être le résultat d’un procédé tropique (essentiellement la métaphore ou la métonymie). Elles se définissent syntaxiquement par un degré minimal de fixité et lexicalement par une fermeture, au moins partielle, des classes paradigmatiques. (Bolly 2011) Les parémies sont des unités polylexicales phrastiques véhiculant un contenu sémantique autonome (signifié global). […] Une parémie est un énoncé : autonome, générique, c.-à-d. une phrase « ON-sentencieuse » ; minimal, c.-à-d. qui « ne peut être subdivisé en deux sous-énoncés dont un au moins serait aussi une parémie » ; à caractère sentencieux ; avec une structure rythmique. (Anscombre 2003)
Définition des chengyu Points communs des chengyu avec les parémies Très fortes contraintes métriques et syntaxiques, notamment dues à leur quadrisyllabicité prototypique ; « Parallélisme » ou « symétrie » très courants ; Parataxe et décrochage référentiel (y compris en présence de numéraux) ; Respect des structures syntaxiques générales du chinois moderne — du moins dans sa norme écrite —, mais ajustement avec le rythme quaternaire obligatoire ; Abondance du redoublement et/ou de patrons récurrents, proches des « matrices lexicales » (Anscombre 2003, 2011) ; Existence de variantes idiolectales.
Définition des chengyu Points communs des chengyu avec les expressions idiomatiques Phrasèmes non phrastiques rarement employés isolément ; Dotés d’un « sens idiomatique » analysable, plutôt que d’un « sens proverbial », sens compositionnel couplé à un sens formulaire non analysable (Tamba 2011) ; Figement diachronique et présence résultante de morphèmes lexicaux « archaïques », c’est-à-dire non libres. Caractéristiques propres aux chengyu Fonctions syntaxiques très hétérogènes, variables d’un chengyu à l’autre : actants, prédicats, circonstants, ou emploi épiphonémique (Sabban 1980), c.-à-d. proverbial, dans le discours argumentatif ; Origine dans la tradition de la koinè littéraire, d’où un caractère normalement « écrit » ou « savant ».
Définition des chengyu Particularités dignes d’intérêt pour les traductologues : Les chengyu, « voix de la tradition », sont des phrasèmes fortement conventionnalisés et répondent à un mode d’interprétation citatif. Très fréquemment (mais non obligatoirement), ils condensent un évènement historique ou une légende populaire ou résument/citent directement des textes anciens ; ils introduisent de la sorte des connotations spécifiques et constituent un éminent ressort d’intertextualité. Les chengyu, rétifs à toute classification dans une nature, ont la capacité d’occuper une multiplicité de positions fonctionnelles, que ce soit au sein de la phrase ou comme déterminant de l’énonciation ; les emplois proverbiaux comme phrases autonomes, bien que rares, sont attestés. Prenant leur source dans la langue classique, les chengyu s’inscrivent dans un registre élevé et formel et s’emploient préférentiellement dans un discours écrit, littéraire sinon savant.
Définition des chengyu Particularités dignes d’intérêt pour les traductologues : L’immense majorité des chengyu (plus de 95 %) présentent une scansion quadrisyllabique et répondent souvent à un schéma de bipartition phonologique et syntaxique [2-2]. Plus largement, ils possèdent une structure rythmique distinctive qui s’ancre dans la poétique chinoise. Ce trait prosodique se manifeste particulièrement dans les suites de chengyu. Ces unités sont caractérisées par un certain degré de figement, qui se manifeste sur les plans syntaxique (blocage des propriétés transformationnelles et ordre des constituants généralement inaltérable), sémantique (non-compositionnalité au moins pour une partie d’entre eux) et lexical (restriction paradigmatique). Nonobstant les variations idiosyncrasiques, ils se situent au sommet du continuum des contraintes qui pèsent sur les phrasèmes du chinois. La nature intrinsèquement figée (dans tous les sens du terme) des chengyu implique immanquablement la possibilité du défigement et, ce faisant, celle de faire l’objet de jeux de mots, manipulations dialogiques et autres transmutations ponctuelles.
Définition des chengyu Notre propre définition pratique des chengyu, inspirée notamment des travaux de Ma Guofan 马国凡 (1978), Wen Duanzheng 温端政 (2006) et avec l’éclairage de Van Raemdonck et coll. (2011) : Les chengyu sont des structures intégratives du chinois mandarin, pouvant, contrairement aux autres phrasèmes de la langue, occuper n’importe quelle position fonctionnelle. Inscrites dans le patrimoine mémoriel des locuteurs et comportant fréquemment un fort contenu allusif, ces expressions originellement de registre élevé ou formel sont fortement conventionnalisées et présentent un éminent caractère citatif. Elles ont pour autres spécificités d’être relativement figées (fixité syntaxique, blocage lexical et éventuelle non-compositionnalité) et de suivre dans une écrasante majorité des cas un rythme quaternaire.
Traitement en traduction
Traitement en traduction 接下去宋钢捧着成语词典翻来覆去地读着,他在里面找到了另外五个成语后,得意地伸出了五根手指,告诉李光头:“要用五招战术,方可破解林红的欲擒故纵。” “哪五招?”李光头欣喜地问。 宋钢把五根手指一根一根弯下来说:“旁敲侧击,单刀直入,兵临城下,深入敌后,死缠烂打。” 宋钢向李光头解释,前两招战术已经用过了。昨天让几个孩子先去喊叫,这是旁敲侧击;今天李光头亲自出马,这是单刀直入。第三招为什么叫兵临城下?就是不能再一个人去了,李光头应该把福利厂的全体员工都带去,让林红领略一下李厂长的风采。第四招深入敌后,宋钢说这是关键一役,成败与否都在这里了。 李光头眼睛闪闪发亮地问:“怎么深入敌后?” “去她家。”宋钢说,“深入敌后,就是深入到她家里去,去把她父母征服了,这叫擒贼先擒王。” 李光头连连点头,他问:“死缠烂打呢?” “天天去追求她,锲而不舍,直到她以身相许。”宋钢说。 (余华,《兄弟》,第258页) Puis Song Gang compulsa à nouveau son dictionnaire. Il dénicha cinq autres expressions et annonça fièrement à Li Guangtou, en écartant les cinq doigts de sa main : « Pour déjouer la stratégie de Lin Hong, il faut utiliser cinq stratagèmes. — Lesquels ? » demanda Li Guangtou, heureux d’avance. Song Gang replia les doigts l’un après l’autre : « Attaquer de côté ; foncer tout droit armé de son seul sabre ; se poster sous les murs de la ville ; pénétrer à l’arrière des lignes ennemies ; harceler sans relâche. » Song Gang expliqua à Li Guangtou qu’il avait déjà utilisé les deux premiers stratagèmes : la veille, quand il avait envoyé les gamins crier, c’était comme s’il avait attaqué de côté ; et aujourd’hui, en entrant personnellement en action, c’était comme s’il avait foncé tout droit armé de son seul sabre. « Se poster sous les murs de la ville », qu’est-ce que cela voulait dire ? Cela voulait dire qu’il ne fallait plus monter à l’assaut tout seul et que Li Guangtou devait emmener avec lui tous les employés de l’usine d’assistés sociaux afin que Lin Hong le voie paré de tout son prestige de directeur. Quant au quatrième, « pénétrer à l’arrière des lignes ennemies », c’était, à ce qu’affirma Song Gang, l’opération-clé, celle dont l’issue de la guerre dépendait. Li Guangtou avait les yeux qui brillaient : — Comment fait-on pour « pénétrer à l’arrière des lignes ennemies » ? — Il faut aller chez Lin Hong, répondit Song Gang. Pénétrer à l’arrière des lignes ennemies, cela veut dire s’infiltrer chez elle, pour conquérir ses parents. C’est ce qu’on appelle « capturer d’abord le chef pour s’emparer ensuite de sa bande ». Li Guangtou hocha la tête à plusieurs reprises : — Et « harceler sans relâche » ? — Il faut la courtiser jour après jour, sans se décourager, jusqu’à ce qu’elle capitule. (Yu Hua, Brothers, p. 393-394)
Traitement en traduction 每个地方都有自己的传奇,邓少香的传奇扑朔迷离[1]。关于她的身世,一个最流行的说法是其父在凤凰镇开棺材铺,她是家中唯一的女孩子,所以人称棺材小姐。棺材小姐邓少香是如何走上革命道路的?说法版本不一。她娘家凤凰镇的人说她从小嫉恶如仇[2],追求进步。镇上别的女孩嫌贫爱富[3],她却是嫌富爱贫[4],自己相貌出众,家境也殷实,偏偏爱上一个在学堂门口卖杨梅的泥腿子果农。概括起来,这说法与宣传资料基本保持一致,她出走凤凰镇,是为了爱情,为了理想。 Chaque lieu a ses légendes, mais celle de Deng Shaoxiang est complexe à souhait [1]. Selon la version la plus répandue, son père vendait des cercueils dans le bourg de Fenghuang et, comme elle était fille unique, on l’appelait Mademoiselle Cercueil. Comment Mademoiselle Cercueil avait-elle emprunté les sentiers de la révolution ? Il y a plusieurs variantes. D’après les gens de Fenghuang, elle avait toujours, depuis l’enfance, abhorré le mal et prisé le bien [2] ; au contraire des autres filles du bourg, elle préférait la pauvreté à la richesse [4]. Bien que d’une beauté peu commune et de famille aisée, elle était tombée amoureuse, envers et contre tout, d’un cul-terreux qui vendait des fruits à la sortie de l’école. Cette leçon correspond à peu près à celle de la propagande, selon laquelle elle aurait quitté Fenghuang par amour, par idéal. (Su Tong, La berge, p. 12)
栩栩如生 xu-xu-ru-sheng 栩栩如生 xu-xu-ru-sheng Parabole du papillon de Zhuangzi : “昔者莊周夢爲蝴蝶,栩栩然蝴蝶也,自喻適志與!不知周也。俄然覺,則蘧蘧然周也。不知周之夢爲蝴蝶與,蝴蝶之夢爲周與?周與蝴蝶,則必有分矣。此之謂物化。” « Zhuang Zhou un jour rêva qu’il était un papillon froufroutant qui, tout à sa joie, donnait libre cours à ses désirs, sans savoir qu’il était Zhuangzi ; puis brusquement il s’éveilla, retrouvant la lourdeur de son corps, il se demanda s’il était Zhuangzi qui avait rêvé d’un papillon ou un papillon qui se rêvait Zhuangzi. » (《庄子·齐物论》 Zhuangzi, chapitre II « Discours sur l’identité des choses », traduction de Jean Levi [Zhuangzi 2006]). 一间宽敞的大房子。一张床。一条黑被子。两把铁皮暖水瓶。一个硕大的铁炉子。一堆大如狗头的黑亮煤块。一个举着寿桃的粉红色裸体男娃咧着小嘴巴哈哈笑,在墙上,在年画上,他的美丽的小鸡儿像一粒粉红的蚕蛹,蠢蠢欲动,栩栩如生。丁钩儿的心紧了一下,肛肠又是一阵痉挛。(莫言,《酒国》,第11页) Une vaste pièce. Un lit. Une couverture noire. Deux thermos métalliques. Un énorme poêle. Un tas de boulets de charbon gros comme une tête de chien, d’un noir luisant. Accrochée au mur, une estampe du Nouvel An représentant un bébé de sexe masculin tenait à la main une pêche de longévité, débordant de vie, son corps rose tout nu, riant de sa petite bouche, son joli petit zizi rose comme une chrysalide de ver à soie. Ding Gou’er tressaillit, ce qui provoqua une nouvelle contraction de son anus. (Mo Yan, Le pays de l’alcool, p. 21) 8 occurrences dans Le pays de l’alcool : « avoir l’air vivant » : 3 « palpiter de vie » : 2 « déborder de vie » : 1 « rayonner de vie » : 1 Implicitation : 1
谢谢诸位的聆听! Merci de votre attention ! Questions et remarques : kehenry@ulb.ac.be