Les crimes contre l’humanité et le génocide 1er mars 2017 jacques.fierens@unamur.be
CHAMBRE PRÉLIMINAIRE I, Premier mandat d’arrêt – 4 mars 2009 ATTENDU, par conséquent, qu’il y a des motifs raisonnables de croire que, peu après l’attaque d’avril 2003 contre l’aéroport d’El Fasher et jusqu’au 14 juillet 2008, des forces du Gouvernement soudanais, notamment les Forces armées soudanaises et leurs alliés des milices janjaouid, les forces de police soudanaises, le Service du renseignement et de la sécurité nationale et la Commission d’aide humanitaire, ont commis dans l’ensemble de la région du Darfour des crimes contre l’humanité consistant en actes de meurtre, d’extermination, de transfert forcé, de torture et de viol, au sens respectivement des alinéas a), b), d), f) et g) de l’article 7-1 du Statut, DÉLIVRE : UN MANDAT D’ARRÊT à l’encontre d’OMAR AL BASHIR, de sexe masculin, ressortissant de la République du Soudan, né le 1er janvier 1944 à Hoshe Bannaga
CHAMBRE PRÉLIMINAIRE I, Deuxième mandat d’arrêt – 12 juillet 2010 ATTENDU, par conséquent, qu’il y a des motifs raisonnables de croire que, peu après l’attaque lancée en avril 2003 contre l’aéroport d’El Fasher et jusqu’à la date à laquelle l’Accusation a déposé la Requête, des forces gouvernementales soudanaises, notamment les Forces armées soudanaises et leurs alliés des milices janjaouid, les forces de police soudanaises, le Service du renseignement et de la sécurité nationale et la Commission d’aide humanitaire, ont commis les crimes de génocide par meurtre, de génocide par atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale et de génocide par soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique d’un groupe, respectivement au sens des articles 6‐a, 6‐b et 6‐c du Statut, à l’encontre d’une partie des groupes ethniques four, massalit et zaghawa, (…) DÉLIVRE : UN MANDAT D’ARRÊT à l’encontre d’OMAR AL BASHIR, de sexe masculin, ressortissant de la République du Soudan, né le 1er janvier 1944 à Hoshe Bannaga
Les crimes contre l’humanité Qualification : opération intellectuelle consistant à prendre en considération les faits pour les faire entrer dans une catégorie juridique préexistante (G. Cornu) Des actes « in-qualifiables »
Juger avant de définir un concept ?
La première définition L'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux [ou religieux], lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison avec ce crime. Art. 6, littera c, du Statut du Tribunal de Nuremberg et art. 5 du statut du Tribunal de Tokyo sauf [ ] Robert H. Jackson (1892-1954)
« Il ne s'agit pas de savoir si ces lois étaient rétroactives - puisqu'elles l'étaient nécessairement – mais si elles étaient adéquates, si, en d'autres termes, elles ne s'appliquaient qu'à des crimes inconnus jusqu'alors. (…) Traduit en allemand, cela donne Verbrechen gegen die Menschlichkeit - comme si les nazis avaient seulement manqué de gentillesse, ce qui est assurément l'euphémisme du siècle. » Hannah ARENDT, Eichmann à Jérusalem
La différence entre les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité n'est pas claire Il est significatif que le jugement de Nuremberg les traite ensemble L'exigence d'un lien de connexité avec un crime contre la paix ou un crime de guerre Or le Tribunal estime que la preuve de cette relation n'a pas été faite, si révoltants et atroces que fussent parfois les actes dont il s'agit. Il ne peut donc déclarer d'une manière générale que ces faits, imputés au nazisme, et antérieurs au 1er septembre 1939, constituent, au sens du Statut, des crimes contre l‘humanité. Une définition d’une remarquable instabilité, de 1945 au statut de la CPI ou du Tribunal pour la Sierra Leone…
Le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie Article 5 Crimes contre l’humanité Le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables des crimes suivants lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit : a) assassinat ; b) extermination ; c) réduction en esclavage ; d) expulsion (et non déportation); e) emprisonnement ; f) torture ; g) viol ; h) persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses ; i) autres actes inhumains
Jurisprudence Les crimes contre l'humanité couvrent des faits graves de violence qui lèsent l’être humain en l'atteignant dans ce qui lui est le plus essentiel : sa vie, sa liberté, son intégrité physique, sa santé, sa dignité. Il s’agit d’actes inhumains qui de par leur ampleur ou leur gravité outrepassent les limites tolérables par la communauté internationale qui doit en réclamer la sanction. Mais les crimes contre l’humanité transcendent aussi l’individu puisqu’en attaquant l’homme, est visée, est niée, l’Humanité. C'est l'identité de la victime, l'Humanité, qui marque d'ailleurs la spécificité du crime contre l’humanité. Chambre de 1ère instance du TPIY, 29 novembre 1996, Erdemovic, § 28.
Le Tribunal international pour le Rwanda Art. 3 du statut Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes présumées responsables des crimes suivants lorsqu'ils ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse : a) assassinat; b) extermination; c) réduction en esclavage; d) expulsion; e) emprisonnement; f) torture; g) viol; h) persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses; i) autres actes inhumains. Version en anglais : « a widespread or systematic attack »
La Cour pénale internationale Pour la première fois, la définition est donnée avant la commission des faits Art. 7, § 1er Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a) Meurtre ; b) Extermination ; c) Réduction en esclavage ; d) Déportation ou transfert forcé de population ; e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; (…/…)
i) Disparitions forcées de personnes ; j) Crime d'apartheid ; f) Torture; g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable; h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; 3. Aux fins du présent Statut, le terme «sexe» s'entend de l'un et l'autre sexes, masculin et féminin, suivant le contexte de la société. Il n'implique aucun autre sens. i) Disparitions forcées de personnes ; j) Crime d'apartheid ; k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.
§ 2 Aux fins du paragraphe 1er : Par « attaque lancée contre une population civile », on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque ; b) Par « extermination », on entend notamment le fait d'imposer intentionnellement des conditions de vie, telles que la privation d'accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d'une partie de la population ;
c) Par «réduction en esclavage», on entend le fait d'exercer sur une personne l'un quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des être humains, en particulier des femmes et des enfants; d) ... e) Par «torture», on entend le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle; l'acception de ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles; Cf. Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, mais pas de but particulier et l’agent ne doit pas être un agent public
f) Par «grossesse forcée», on entend la détention illégale d'une femme mise enceinte de force, dans l'intention de modifier la composition ethnique d'une population ou de commettre d'autres violations graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s'interpréter comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse ; Cf. Intervention de l’Etat du Vatican g)… h) Par «crime d'apartheid», on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime ;
i) Par «disparitions forcées de personnes», on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l'autorisation, l'appui ou l'assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d'admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l'endroit où elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.
Les éléments des crimes (art. 9 du statut) Les éléments des crimes aident la Cour à interpréter et appliquer les articles 6, 7 et 8. Ils doivent être adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée des États Parties. Des amendements aux éléments des crimes peuvent être proposés par : a) Tout État Partie ; b) Les juges, statuant à la majorité absolue ; c) Le Procureur. Les amendements doivent être adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée des États Parties. Les éléments des crimes et les amendements s'y rapportant sont conformes au présent Statut.
Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone Article 2 Crimes contre l’humanité Le Tribunal spécial est habilité à poursuivre les personnes accusées d’avoir commis les crimes ci-après dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre les populations civiles : a) Assassinat ; b) Extermination ; c) Réduction en esclavage ; d) Expulsion ; e) Emprisonnement ; f) Torture ; g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée et toute autre forme de violence sexuelle ; h) Persécutions pour des raisons politiques, raciales, ethniques ou religieuses ; i) Autres actes inhumains.
Le génocide La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 Un terme proposé par Raphaël LEMKIN en 1944 La résolution 96 (I) du 11 décembre 1946 de 1'Assemblée générale des Nations Unies : « génocide » « un crime de droit des gens, condamné par le monde civilisé »
Le génocide n'est pas qualifié comme tel par le statut du Tribunal de Nuremberg (Accord de Londres du 8 août 1945) Mais acte d'accusation : « Ils se livrèrent au génocide délibéré et systématique, c'est-à-dire à l'extermination de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire des races ou classes déterminées de population et de groupes nationaux, raciaux ou religieux, particulièrement les Juifs, les Polonais, les Tziganes. » + allusions au « génocide » pendant les débats
Art. II Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. Article III Seront punis les actes suivants : a) Le génocide; b) L'entente en vue de commettre le génocide; c) L'incitation directe et publique à commettre le génocide; d) La tentative de génocide; e) La complicité dans le génocide.
Il n’existe pas davantage de génocide culturel Une définition d’une remarquable stabilité : statut du TPIY, statut du TPIR, statut de la CPI (article 6), Code pénal belge (article 136bis) … L'intention de détruire un groupe politique ne peut constituer un génocide Il n’existe pas davantage de génocide culturel La référence à la « race » est malencontreuse 1915 : le génocide des Arméniens
Jurisprudence : TPIR, Akayezu, 2 septembre 1998 Les Tutsi constituent-ils « un groupe national, ethnique, racial ou religieux » ? Le "groupe ethnique" qualifierait généralement un groupe dont les membres partagent une langue ou une culture commune La définition classique du "groupe racial" serait fondée sur les traits physiques héréditaires, souvent identifiés à une région géographique, indépendamment des facteurs linguistiques, culturels, nationaux ou religieux Enfin, le "groupe religieux" serait un groupe dont les membres partagent la même religion, confession ou pratique de culte
Il apparaît, à la lecture des travaux préparatoires de la Convention sur le génocide que le crime de génocide aurait été conçu comme ne pouvant viser que des groupes 'stables', constitués de façon permanente et auxquels on appartient par naissance, à l'exclusion des groupes plus 'mouvants', qu'on rejoint par un engagement volontaire individuel, tels les groupes politiques et économiques. Ainsi, un critère commun aux quatre ordres de groupe protégés par la Convention sur le génocide est que l'appartenance à de tels groupes semblerait ne pouvoir être normalement remise en cause par ses membres, qui y appartiennent d'office, par naissance, de façon continue et souvent irrémédiable. (Akayezu, § 511)
Jurisprudence : TPIY, Krstic, 19 avril 2004 La chambre d'appel, statuant sur les appels formé contre un jugement de première instance du 2 août 2001 conclu à l’unanimité « qu’un génocide a été commis à Srebrenica en 1995 » La destruction d'un groupe « en partie » n'est constitutive de génocide que s'il s'agit d'une part substantielle, et que si la volonté d'annihiler celle-ci a un impact sur le groupe entier Le nombre d'individus ciblés ne doit pas être évalué en nombre absolu, mais par rapport à la taille du groupe dans son ensemble
L'intention de détruire les quelque 1. 400 L'intention de détruire les quelque 1.400.000 Musulmans de Bosnie-Herzégovine en ciblant quelques milliers d'hommes est démontrée par : Le fait que le contrôle de Srebrenica était essentiel pour aboutir à une Serbie exempte de Musulmans L'élimination des Musulmans de cette ville devait montrer que malgré l'intervention de la communauté internationale, le groupe était vulnérable et sans défense En raison du caractère patriarcal de la société musulmane de Bosnie, l'élimination d'un nombre important d'hommes devait aboutir à la disparition physique du groupe ; les morts seraient réputés « disparus » et que leurs épouses, ne pouvaient dès lors se remarier
Article IX de la Convention du 9 décembre 1948 Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d'une partie au différend. Cas unique d’application : C.I.J., 26 février 2007, Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Montenegro La Serbie, par l’intermédiaire de ses organes ou de personnes dont les actes engagent sa responsabilité au regard du droit international coutumier, n’a pas commis de génocide et n’a pas incité à commettre le génocide. S’agissant du génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, la Serbie a violé l’obligation de prévenir le génocide prescrite par la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.