Ecriture consonantique: Écriture alphabétique ou Écriture syllabique?
L’écriture phénicienne sarcophage d’Ahiram .
L’alphabet, mot proprement grec "On ne saurait trop insister sur le fossé qui sépare du point de vue technique tous ces systèmes <dits sémitiques occidentaux> du système grec. Il nous faut donc un terme qui désigne spécifiquement la découverte grecque; et puisque le terme «alphabet» n'est tout compte fait qu'un composé grec des noms des premières lettres de ce système, il semble tout à fait justifié de n'utiliser ce terme grec que pour désigner ce même système et ceux qui en sont issus en Europe occidentale, en Russie et en Amérique." (Havelock, Aux origines de la civilisation écrite en Occident, 1981, 38).
L’alphabet grec, et les syllabaires simplifiés "L'alphabet phénicien auquel les Grecs firent appel comptait vingt-deux signes notant chacun une consonne. L'innovation capitale des Grecs va être d'y introduire la notation des voyelles: ils transformeront ainsi en un véritable alphabet ce qui n'était en fait qu'un syllabaire simplifié. Par eux, et pour la première fois, se trouve noté avec précision ce qu'A. Martinet a appelé la deuxième articulation du langage" (Irigoin, «Les Grecs et l’écriture», 1982, 34).
«l’écriture phonétique égyptienne» et les «écritures dites hébraïques» "écritures que l'on pourrait nommer semi-alphabétiques, parce qu'elles n'offrent, en quelque sorte à l'oeil, que le squelette des mots, les consonnes et les voyelles longues, laissant à la science du lecteur le soin de suppléer les voyelles brèves" (Champollion, Lettre à M. Dacier, 34).
«le syllabaire égyptien» "Le syllabaire égyptien comprend vingt-quatre signes environ, chacun comportant une consonne initiale suivie d'une voyelle quelconque, comme mx qui a la valeur ma, me, mi, mu et m(x), plus quatre-vingts autres ou à peu près, qui ont chacun deux consonnes et une ou plusieurs voyelles quelconques, tels txmx qui a la valeur tama, timi, teme, tumu, tami, temi, tam(a), t(a)ma, etc." (Gelb, 1973, Pour une théorie de l’écriture, 86).
le «syllabaire sans voyelles» phénicien "Dans le système phénicien, la syllabe reste toujours en principe l'unité linguistique minimale, ce qu'elle n'est bien entendu pas. Par contre, on y a bien compris que les syllabes font partie d'«ensembles» qui peuvent être constitués à partir d'un trait commun, à savoir le bruit consonantique initial. Cela veut donc dire que le système phénicien tient compte du principe qui fait de «ba be bi bo bu» un ensemble de syllabes «à b », alors que les syllabaires antérieurs auraient utilisé cinq signes sans rapport entre eux pour ces cinq sons. Le système phénicien n'en utilise qu'un, qui est l'«indice» ou «entrée» consonantique de l'ensemble. En un sens, donc, il prépare le terrain pour la reconnaissance de la consonne en tant qu'élément théoriquement isolable du langage, et il parvient également à réduire le nombre de signes utilisés à un tout petit peu plus de vingt: c'est à cela qu'il doit d'être souvent salué comme un «alphabet»" (Havelock, 1981, 41-42).
les syllabaires 1. Ecritures syllabiques pures archado-chypriote linéaire B 2. Ecritures partiellement syllabiques (syllabo-alphabétiques) guèze (amharique) 3. Ecritures composites suméro-akkadienne
Ecriture syllabique arcado-chypriote
Linéaire B (4) Problèmes: consonnes finales de mot supprimées: pat»r «père» noté pa-te groupes de consonnes avec voyelle non prononcée: patroj noté normalement pa-to-ro, (mais aussi pa-ta-ro)
Ecriture éthiopienne (guèze et amharique)
Ecriture suméro-akkadienne 1) logogramme: DINGIR ilu «dieu» AN šamû «ciel, le dieu Anu» AN eliš «en haut» 2) syllabogramme: [an] dans la forme verbale ba-an-dù «il construisit» [il] dans il-qe «il prit».
le sheva de l’hébreu "Quand, sous l’influence grecque, les Sémites introduisirent un système vocalique dans leur écriture, ils créèrent non seulement des marques diacritiques pour les voyelles pleines, telles que a, e, i, o, u, mais aussi une marque nommée sheva qui, quand on l’attache à un signe, le caractérise comme consonne seule, ou consonne suivie d’une très courte voyelle ĕ <…> Le fait que les Sémites éprouvèrent le besoin de créer une marque qui indique le manque d'une voyelle signifie que, pour eux, chaque signe valait d'abord pour une syllabe complète" (Gelb, 1973, 164).
les hurūf d’Ibn Ğinni (1) "les unités phonétiques, au sens propre, ne sont que d'une seule classe: les hurūf. L'alphabet arabe ne contient que des hurūf (sing. harf)" (Fleisch, 1961, 204). un harf connaît deux états: ▪"mutaharrik, le harf est suivi immédiatement de l'un ou l'autre des trois haraka; ▪sākin, le harf n'est pas suivi immédiatement de l'un ou de l'autre de ces trois haraka" (Fleisch, 1961, 204). les trois haraka, qui sont les trois éléments vocaliques a, i et u du système phonologique sémitique,"sont essentiellement défi-cients; ils ne se soutiennent pas par eux-mêmes, ils ont besoin pour exister du support d'un harf sahih (ou agissant comme sahih: yā’, wāw" (Fleisch, 1961, Traité de philologie arabe, 295).
les hurūf d’Ibn Ğinni (2) "Ceci est une conception syllabique. Or, chose curieuse, les grammairiens arabes n'ont pas dégagé la notion de syllabe qui n'a pas de nom dans leur nomenclature" (Fleisch, 1961, 206).
l’écriture éthiopienne "Le caractère le plus important <…>, c’est que le signe de base, sans marque pour aucune voyelle, exprimait non la consonne seule, mais une syllabe, formée d’une consonne plus la pleine voyelle a. Sûrement, si l'écriture sémitique <avait été> consonantique à l'origine, on aurait pu légitimement attendre que le signe de base sans aucune sorte de marque exprime la consonne seule, et qu'une marque spéciale soit inventée pour la consonne accrue de la voyelle a" (Gelb, 1973, Pour une théorie de l’écriture, 164).
l’abécédaire ougaritique la première lettre: a = la syllabe [’a] l'avant-dernière lettre: u = la syllabe [’u] l'antépénultième: i = la syllabe [’i] a = la syllabe [a] u = la syllabe [u] i = la syllabe [i]
«Alphabets consonantiques» et syllabes Le lecteur "supplée à l'absence de voyelles par sa connaissance de la grammaire et du contexte qui lui permettent de lire, c'est-à-dire de placer mentalement les bonnes voyelles. Dans le processus de lecture, il passe par la formation mentale des syllabes du mot: il reconstitue les syllabes. Si lire c'est vocaliser, comme le pensèrent les Massorètes, qui fixèrent le texte biblique en notant les voyelles, vocaliser c'est reconstituer des syllabes" (Herrenschmidt, 1998, «Alphabets consonantiques, alphabet grec, cunéiforme vieux-perse », 124) "Les alphabets consonantiques sont des écritures dont l'unité d'analyse du son est la syllabe, mais dont les unités d'écriture sont à la fois le mot et le phonème consonantique" (Herrenschmidt, 1998, 125)
«Matres lectionis» de l’hébreu "Afin d’indiquer la nature exacte d’une voyelle longue, des signes syllabiques commençant par une «consonne faible» étaient fréquemment ajoutés à la précédente syllabe pour une unité connue sous le nom de scriptio plena ou écriture pleine. Par exemple, le nom «David» était écrit en vieil hébreu Dawid(i) en scriptio defectiva, mais Dawiyid(i) en scriptio plena. Le signe yi ne compte pas ici pour une syllabe indépendante. Sa seule raison d’être est de faire que la syllabe précédente sera bien lue wi et non wa, we, wu ou wo. Semblablement l’addition de wu dans l’écriture pleine de ’ašuwur(u) , par contraste avec la notation défective ’ašur(u) dans le cas de 'Aššūr, «Assyrie» , fait que la syllabe š, à tout le moins, sera lue avec la voyelle qu’il faut. Ces signes complémentaires, qui aident à déchiffrer la voyelle de la précédente syllabe, sont appelés matres lectionis" (Gelb, 1973, 185-186)
«Matres lectionis» et alphabet? (1) "Dans quelle mesure ce procédé pleinement sémitique de notation des voyelles est le résultat d'un développement naturel, dans quelle mesure il a pu subir l'influence des écritures classiques (latin et grec), voilà ce qu'il est assez difficile de trancher" (Gelb, 1973, 187).
«Matres lectionis» et alphabet? (2) "Dans ce domaine les Grecs n’ont très probablement rien créé, mais simplement ils ont repris tel quel le système consonantique à mères de lecture avec son mode d’emploi, c’est-à-dire, en utilisant ces dernières pour lever l’ambigüité, comme le faisaient les sémitophones; mais comme leur langue, à la différence des langues sémitiques, ne présentaient pas les traits énumérés précédemment 11 et que l’usage des seules consonnes aurait rendu l’ambigüité inévitable, ils ont utilisé les mères de lecture de façon constante. Ils l’ont fait sans originalité: les mères de lecture sont affectées aux mêmes fonctions et selon la même procédure probabiliste" (Masson, 1993, «A propos des écritures consonantiques», 35-36)
«Matres lectionis» et alphabet? (3) 11. "En particulier, il existe de fréquents amas de voyelles (du type aei «toujours»), de très nombreux mots commençant par une voyelle et de très nombreuses séquences consonantiques de sens totalement différents suivant le vocalisme (ex.: lógos «discours», lagōs «lièvre», lúgos «osier», lugaîos «obscur», légeis «tu couches», légeis «tu choisis», lēgeis «tu fais cesser», olígos «peu», álgos «douleur»). Enfin, l’ordre des mots est extrêmement souple et pour connaître la fonction des mots on s’en remet largement aux désinences; or, ces dernières ne se différencient la plupart du temps que par les voyelles." (Masson, 1993, «A propos des écritures consonantiques», 35-36)