L’héritage de Poincaré : qu’est-ce une modélisation ? Michel MIZONY Université Lyon1 Institut Camille Jordan et IREM de Lyon Or je soutiens que dans toute théorie particulière de la nature il n’y a de science proprement dite qu’autant qu’il s’y trouve de mathématique. E. Kant
Une nombreuse littérature sur la modélisation mathématique ! les mots ”relation”, ”lien”, ”interaction”, ”articulation” entre maths et autres disciplines apparaissent souvent et le mot ”modélisation” y est rarement défini clairement. ”La science et l’hypothèse” (1902), Poincaré donne sa position « Les théories mathématiques n’ont pas pour objet de nous révéler la véritable nature des choses ; ce serait là une prétention déraisonnable. Leur but unique est de coordonner les lois physiques que l’expérience nous fait connaître, mais que sans le secours des mathématiques nous ne pourrions même énoncer. » « Peu nous importe que l’éther existe réellement, c’est l’affaire des métaphysiciens ; l’essentiel pour nous c’est que tout se passe comme s’il existait et que cette hypothèse est commode pour l’explication des phénomènes. Après tout, avons-nous d’autre raison de croire à l’existence des objets matériels ? Ce n’est là aussi qu’une hypothèse commode ; seulement elle ne cessera jamais de l’être, tandis qu’un jour viendra sans doute où l’éther sera rejeté comme inutile. »
La question épistémologique qui est mise en évidence provient des flèches horizontales b), c) et e). Les flèches a) et d) sont claires, l’une relevant de la physique et l’autre des mathématiques. Pour b), c) et e) qui relèvent à la fois d’un travail de physicien et de celui d’un mathématicien, il y a choix et traduction donc toutes les possibilités de non-sens, contresens, fautes de syntaxe, faux amis etc.
Dans toute modélisation il y a un choix a priori de l’espace mathématique servant à repérer l’ensemble des phénomènes. En aucun cas il ne peut être identifié au réel de la physique. espace de repérage mathématique -------- domaine phénoménal, traduit (actualise ?) le dire de Kant « espace et temps sont les cadres a priori de toute description de notre expérience. »
Espace et temps n’ont pas de réalité physique - Zénon et Aristote, St Augustin Avicenne, Thomas d’Aquin - Leibniz, …. Kant Calinon, Poincaré, Rougier Puis presque plus rien depuis 1913 … Gonseth (1926), Souriau (1970) G. G. Granger (1992), J. Petitot
Paradoxes de Zénon Dans le numéro 463 du Bulletin de l'APMEP (Mars-Avril 2006), Michel Fréchet écrit "Achille ne rattrapera jamais la tortue". Il expose les arguments de Zénon (les quatre célèbres paradoxes) qui lui permettent d'affirmer que si le mouvement existe, alors l'espace et le temps ne peuvent être ni continus (divisibles indéfiniment) par la Dichotomie et Achille ni composés d'atomes (d'indivisibles) par la Flèche et le Stade.
existant uniquement dans la conscience » ARISTOTE : « Le temps est le nombre du mouvement » AVICENNE (930-1037) « L'espace est une forme déduite de la matière et existant uniquement dans la conscience » Thomas d'Aquin a repris les positions d'Aristote et d'Avicenne Pour Leibniz et Kant ces concepts de temps et d’espace sont liés entre eux et sont des méta concepts, ils ne peuvent s'exprimer qu'en référence à eux-mêmes. "L'ordre des successions reçoit sa raison d'être de ce qui se succède, l'ordre des coexistences reçoit sa raison d'être de ce qui coexiste". (Gilles Deleuze) Donc une vieille tradition qui affirme, de différentes manières, que les concepts de temps et d'espace sont des concepts issus de l'esprit humain, des mots d'un langage, pour se situer, décrire, échanger et transmettre des savoirs.
Tirages au sort et ”la loi des grands nombres”.
Plusieurs modélisations équivalentes de la relativité restreinte d’Einstein 1- Einstein a fait le choix en 1905 de prendre pour espace mathématique l’espace IR4, muni de la métrique dite de Minkowski. L’espace associé est un ”éther géométrique”. 2- Soit R4 sur lequel vit le lagrangien Ce lagrangien est invariant par les transformations de Lorentz et plus générale ment par le groupe de ... Poincaré. 3- et 4- R4 non standard de Leibniz avec métrique ou lagrangien. 5- On prend les décimaux à 10 chiffres, Dx à la place de dx, etc. 6- Varicak prend la géométrie de lobachevski, en 1910. Etc.
Et l’éther ? un éther est la réification (la chosification) d’un espace mathématique utilisé pour étudier un domaine phénoménal. Et si il y a unicité d’un domaine phénoménal, il y a multiplicité des espaces mathématiques pouvant exprimer un domaine de la physique (c’est ce que Poincaré nomme le pluralisme théorique),
La flèche admet une « flèche inverse » C’est l’apport de Poincaré, oublié par notre occident
Moralité ou conclusion Il existe toujours une multiplicité de modélisations d’un même domaine phénoménal. Ces modélisations sont mathématiquement équivalentes et expérimentalement indiscernables, mais conceptuellement très différentes; autrement dit elles s’éclairent l’une l’autre. Choisir une modélisation, c’est choisir un éther (au sens de Poincaré), support de l’intuition scientifique. C’est le sens profond du 5ème axiome d’Euclide (axiome des parallèles) comme l’a si bien exprimé G. G. Granger.